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Société

Un EVJF féministe, ça existe ?

Est-ce que faire un enterrement de vie de jeune fille c’est forcément cliché et sexiste ? Des jeunes mariées nous donnent des pistes pour se réapproprier le concept, voire en faire un épisode de sororité !

« Avant d’aller aux EVJF de mes potes, j’avais ce cliché d’un truc passéiste, avec des meufs qui se baladent dans la rue en distribuant des gâteaux en forme de zizi, un truc sexiste quoi », se rappelle Lorraine, 30 ans et mariée depuis un an. « Et puis je me suis rendu compte que ça pouvait juste être l’occasion de créer du lien entre les personnes qui seraient là au mariage ».

Se réapproprier la tradition de l’EVJF, l’enterrement de vie de jeune fille, ça peut être une manière d’en faire autre chose qu’un rituel hyper genré. On peut faire un EVJF « féministe » en évitant de tomber dans les stéréotypes sexués qu’on connaît bien, décrit par des chercheuses comme Florence Maillochon :

[Les activités] célèbrent les supposés caractères féminins et masculins ainsi que les rôles sociaux attendus : spa, séances d’esthétique, cours de cuisine, dégustation sucrée, pour exalter la douceur, la beauté et la gourmandise des femmes ; saut à l’élastique, karting, dégustation de vins, pour mettre à l’épreuve le courage, la force ou l’expertise des hommes.

Sous tous ces points de vue, les EVJF et EVG — enterrements de vie de garçon, popularisés par les jeunes générations, prennent la forme d’un rite d’entrée dans le rang, non pas seulement conjugal […] mais aussi matrimonial, fondé sur la division sexuelle du travail domestique.

Elle remarque aussi que la célébration d’EVG et d’EVJF a progressé de 261 % entre 1984 et 2013 chez les 25-30 ans et estime que ces fêtes reposent pour l’instant encore sur « un ordre genré ».

EVJF : sortir des activités stéréotypées

Pourquoi pas, alors, prendre le contrepied de ces activités de la parfaite ménagère et s’autoriser à faire celles « réservées » aux mecs d’habitude (si ça nous plaît bien sûr) : une soirée poker, casino, karting, paintball, laser game, ou même escape game ! Qui en a déjà fait avec des hommes sait à quel point il peut être difficile de s’y faire entendre et de ne pas les laisser mener le jeu…

Léonie, jeune maman de 30 ans, avait choisi de faire du kayak avec ses camarades (« c’était sportif, c’était cool ! ») puis ses témoins avaient organisé une « chasse au trésor », ou plutôt « à la bière », dans la maison qu’elles avaient louée pour le week-end : « elles avaient mis des bouteilles dans tout le jardin, il fallait en rapporter le plus possible, et ça a tourné à la bagarre, les filles se plaquaient au sol et tout ! », sourit-elle.

Pour sa part, l’autrice de ces lignes se remémore une session de « lancer de haches » lors d’un EVJF à Bruxelles. Un super moment, sans trop d’esprit de compétition et dans la bienveillance. Les témoins de Lorraine, elles, avaient organisé une dégustation de vin menée par l’une des participantes œnologue, de quoi apprendre plein de choses et expérimenter sans se faire juger ou mansplainer sa dégustation !

Marion, trentenaire strasbourgeoise, garde un bon souvenir de l’EVJF d’une amie il y a quelques années, où elles avaient tout simplement enchaîné les bières et les tartes flambées dans une brasserie, avant de finir dans un bar-boîte jusqu’au bout de la nuit.

Le lendemain, elles avaient traité leur gueule de bois à coup de McDo :

Le lendemain, elles avaient traité leur gueule de bois à coup de McDo : « C’était vraiment histoire de faire un truc sans pression. Si ç’avait été labellisé « EVJF », ç’aurait été différent, plus stressant je pense ».

Elle pointe qu’il s’agit surtout de connaître sa pote et de ne pas partir sur les activités qui ridiculisent un peu la mariée, tout ça pour coller à l’image qu’on a des EVJF.

Elise, 29 ans, qui s’est mariée en décembre dernier, avait laissé carte blanche à ses témoins, mais elle leur avait juste bien rappelé qu’elle ne voulait « pas se balader dans la rue avec un déguisement ridicule, à distribuer des capotes ».

Au-delà de s’approprier des pratiques plutôt « masculines », on peut même, pourquoi pas, profiter de ce moment entre copines pour se déconstruire un peu et… réfléchir sur l’hétérosexualité ! C’est ce qu’avait fait notre Camille Abbey (qui vient de quitter Madmoizelle) à son décidément bien mal-nommé enterrement de vie de jeune fille :

« La première animation était d’aller écouter en live un épisode du podcast Camille sur Monique Wittig, qui avait écrit sur l’hétérosexualité comme régime politique et sur l’hétéropatriarcat… Tout en sachant que je me suis mariée avec un homme ! » ajoutait-elle en riant.

EVJF : l’occasion de célébrer sa copine, comme n’importe quelle autre étape de la vie

Sans aller jusque-là, nos témoins ont pointé les bénéfices d’un moment privilégié entre amies, comme Léonie : « Le concept « d’enterrer » sa vie d’avant est un peu « à l’ancienne », mais pour moi, c’était juste un prétexte pour un dernier gros week-end entre copines, avant que les choses changent un peu. C’est aussi un moment qui est centré sur toi. Ce qui peut être un peu gênant d’ailleurs » A charge des participantes d’en faire un moment de légèreté où tout le monde s’amuse.

Thorsten Tiggesa Piwabay CC
Pour certaines, l’EVJF est moins lié à leur futur statut d’épouse qu’à une occasion de faire la fête entre amies (Photo Thorsten Tiggesa/Pixabay/CC)

Elise s’est fait accompagner par ses amies « dans cette nouvelle étape de la vie », mais sans tout centrer sur le futur mari ou la conjugalité. Elle avait passé le week-end dans un chalet en montagne et sa sœur avait invité une professeure de yoga qui fait des sortes de « rituels » :

« On était positionnées en cercle et on se prenait parfois les mains. À la fin j’étais au milieu et les filles ont dû me toucher pour me « transmettre de l’énergie » pour m’accompagner dans une sorte de rite de passage. C’était puissant côté émotionnel ! ».

Léonie raconte qu’avec son groupe de potes, ça a été l’occasion pour tout le monde d’échanger des anecdotes sur elle, sur sa vie, son parcours. Lorraine, elle, a reçu en cadeau un livre de photos qui retraçait son enfance et sa jeunesse, comme un point d’étape : « Mes amies m’ont aussi offert un jeu « Qui est-ce ? » fait maison avec tous les visages des participantes en guise de personnages et un simili-pictionary où tous les thèmes avaient un rapport avec mes passions, mes engagements… »

Des cadeaux qui font plus honneur à la protagoniste du week-end, un peu à la manière d’un anniversaire ou d’un pot de thèse, qu’à sa dimension de future épouse. À propos de cadeaux, on peut aussi offrir des sex-toys pour que la mariée puisse aussi se faire plaisir toute seule, un saut à l’élastique ou en parachute pour qu’elle continue de partir à l’aventure, ou même des bouquins féministes, pour continuer à se déconstruire !

Un moment salutaire de non-mixité

Sceptique sur la division genrée des EVJF, Lorraine avait changé d’avis en parlant avec ses potes : « Moi je me disais qu’on aurait pu faire un week-end avec tout le monde, filles et garçons. Mais pour celles qui avaient fait leur EVJF avant moi, la non-mixité coulait de source, et au final, c’était trop cool. Ça fait du bien de temps en temps, un peu de sororité ».

Léonie se rappelle la super ambiance de la soirée barbecue, avec carafe de « Gin to » à volonté, avant de pouvoir se lâcher complètement sur le dancefloor :

« On était peut-être plus tranquilles pour danser, il n’y a pas à se préoccuper de nos copains qui sont là à s’ennuyer à côté, parce que c’est pas trop leur truc. »

Elle raconte que cette soirée a même fini avec des participantes à moitié nues dans la piscine, « ce qui ne serait jamais arrivé s’il y avait eu les mecs, nos mecs ».

Comme quoi, l’EVJF peut aussi être un moyen de s’affranchir du regard masculin le temps d’un week-end. Solène, une amie de Lorraine, se rappelle une partie de tennis sur le court qui appartenait à la maison, en pleine canicule : « certaines d’entre nous ont joué en soutif, et on pouvait le faire parce qu’on était à l’aise entre nous, il n’y avait pas cette peur d’être jugée sur nos corps ».

Cette absence de jugement permise par la non-mixité, cela libère aussi la parole, selon Léonie :

L’équilibre est différent, tout le monde n’a pas la même place, les grandes gueules du groupe (des garçons), n’étaient pas là… On pouvait discuter de ce qu’on voulait… Et notamment parler de cul !

Ou de tout ce qui touche au corps, sans complexe. Lorraine a apprécié pouvoir avoir une conversation où chacune était assez à l’aise pour montrer ses jambes, ses poils…

« L’EVJF, c’est un peu le Bechdel Test de la vraie vie »

Solène, participante de l’EVJF de Lorraine

Alors oui, on peut vivre ce genre de moments en-dehors des EVJF. Mais Léonie estime que c’est tout de même une occasion particulière, un tournant : « On a peut-être des discussions plus sérieuses entre nous, plus profondes qu’en soirée classique. On parle de ce qui va se passer après, si on veut des enfants, comment on voit l’avenir… Tu es quand même à un moment de changement de vie, tu abordes ces sujets-là ».

Pour Solène, qui a fait plusieurs EVJF dont certains étaient mixtes, la non-mixité est appréciable. Mais pour que ce soit un moment « féministe », « ça dépend de ce que t’en fais »  :

« C’est un peu le « Bechdel test » de la vraie vie : si tu es entre filles mais que tout est tourné vers l’homme et ta place dans le couple, et des activités comme du maquillage pour te préparer pour être bien pour ton mari… ça n’apporte rien. Mais si ça peut te permettre de te retrouver et de parler librement, on en sort revigorées, c’est cool ! ».

Mais finalement, selon elle, ça tient à la manière dont on voit les choses : « Si on y réfléchit, ça peut être féministe d’arpenter les rues avec des déguisements et des accessoires. C’est pas tous les jours que les femmes prennent de la place, qu’elles sont bruyantes, qu’elles se sentent légitimes dans la rue ».

À lire aussi : Pourquoi je déteste les EVJF (et ne suis clairement pas le seul, avouez)

Crédit photo image de une : Duke.Box / FlickR


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Les Commentaires

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Avatar de irinaperez
29 juin 2022 à 08h06
irinaperez
Pour le miens (y'a quinze jour) les copines et copains avaient choisi de faire en deux fois : rallye photo (refaire les photos qu'on avait prises quand on s'est rencontré, à peu près) et soirée en ville, dégustation de punch pour Monsieur. Le deuxième soir on s'est retrouvé tous et toutes ensemble pour faire un barbecue. On a passé un super weekend et les organisateurs et organisatrices ont trop bien géré. Je les aime pour ça
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