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Source : Pexels / Michelle Leman
Santé

Un cancer du sein de mère en fille : j’ai été diagnostiquée de la maladie en plein deuil

En 2022, alors qu’elle vient d’avoir 30 ans, Adèle* a été diagnostiquée d’un cancer du sein alors que sa mère venait de mourir de cette même maladie. Pour Madmoizelle, elle revient sur le parcours qu’elle a enduré, le choc de l’annonce et les premiers traitements qu’elle a reçus.

Je suis allongée dans le lit d’un Airbnb, en déplacement professionnel quand tout commence. Je touche mon sein droit, non pas dans une démarche d’autopalpation mais plutôt de « check-up » de mon corps après une petite perte de poids. La position allongée a facilité la démarche. C’est tout petit. Est-ce mon muscle ? Une côte ? Ou quelque chose d’habituel dans mon sein auquel je n’ai jamais prêté attention ? J’ai pleuré ce soir-là, non pas parce que je pense au cancer – ça m’a bien entendu effleuré l’esprit, mais ça me paraît invraisemblable. Je pleure parce que je suis seule, loin de chez moi pour le travail, alors que ma mère est en train de mourir d’un cancer du sein qui métastase depuis 6 ans et qui a désormais gagné l’ensemble de son corps et de son esprit.

Je suis quelqu’un de très angoissée et j’ai toujours tendance à penser au pire quand il s’agit de la santé. Mais cette fois-ci, je me suis limitée. Ce serait, il me semble, extrêmement déplacé que de paraître vouloir attirer l’attention sur moi-même et sur une maladie imaginée dans un moment pareil. J’en parle simplement à mon conjoint sur un ton assez détaché, ainsi qu’à une amie. Ils me poussent tout de même à prendre rendez-vous. Je suis allée seule à tous les rendez-vous, et j’ai pleuré à chaque fois en racontant ce qui arrivait à ma mère. Est-ce pour cela qu’ils ont minimisé ma maladie ? Ont-ils imaginé une forme de pensée magique qui faisait que j’adoptais la maladie de ma mère par un trop plein d’empathie ? Pour la sage-femme, ce n’est sûrement que le muscle. Pour le radiologue qui m’a fait une échographie, ce n’est qu’un kyste mais comme je suis stressée, il me dit qu’on pouvait envisager un contrôle dans 6 mois. Pour mon médecin, il est évident que ce n’est qu’un kyste. Et qu’il ne « fallait pas en faire toute une obsession ». Pour un autre médecin, que je suis allée voir pour un second avis, idem.

J’ai été rassurée, et ai pu alors me concentrer sur la fin de vie de ma mère, restée en soins palliatifs à la maison. La voir souffrir, ne plus être présente, la voir me regarder avec des yeux vides emplis de douleur m’a été insupportable et extrêmement traumatisant. Elle a été opérée il y a deux ans de métastases cérébrales et n’avait plus jamais été la même. Tout n’a été ensuite qu’un enchaînement d’examens malheureux et de protocoles qui perdaient en efficacité. J’étais, de plus, en burn-out depuis le milieu de ma thèse de doctorat. J’enchaîne les crises d’angoisse. Alors que le cancer commence seulement à évoluer en moi, il m’a déjà épuisée.

Elle est décédée une nuit fin septembre. Ça a été très étrange pour moi de la voir morte, elle qui ne pesait plus rien, était chauve et rongée par la maladie. La cérémonie a eu lieu à la maison, puis l’enterrement loin. Ce furent des moments où nous avons été bien entourés et je ne ressentais pas encore son absence, elle qui n’était déjà plus depuis un petit moment. Au contraire, j’ai été soulagée de ne plus la voir souffrir. Soulagée aussi de ne plus voir nos vies rythmées par les nouvelles hospitalières.

Quatre mois de diagnostic

J’ai rapidement repris le travail, les déplacements et les crises d’angoisse. En décembre, peu avant mes 30 ans, je retouche mon sein et j’ai le sentiment que la boule avait très subtilement enflé. Mon copain me demande de refaire le contrôle plus tôt. Je prends rendez-vous, mais j’attends que mon anniversaire soit passé. Je m’y rends seule. Certains m’ont demandé si je ressentais déjà que j’étais malade. Absolument pas. Je suis confiante, car nous avons cette tendance à penser que nous faisons face à un quota limité de malheurs qui puissent nous arriver dans un certain laps de temps. Encore une fois, je pleure en racontant que ma mère venait de décéder d’un cancer du sein. La radiologue me rassure : à mon âge, c’est rare. En passant la sonde d’échographie cependant, son regard change. Elle me dit que ça ne ressemble pas à un kyste. Elle commence à pleurer. Elle s’excuse et me dit que ça ne lui arrive jamais, mais qu’elle aussi a eu un cancer du sein. Comment ça, elle « aussi » ? Elle me dit d’attendre dans la petite cabine pour passer une mammographie. J’attends là, 20 minutes, seule et torse nu, choquée. Je passe la mammographie, elle me confirme que c’est préoccupant et classe l’imagerie ACR4. Je devrai passer une IRM et une biopsie la semaine suivante.

Le cancer du sein chez la femme jeune

Environ 10 % des cancers du sein sont diagnostiqués chez la femme de moins de 40 ans. Parce qu’elles n’ont pas accès au dépistage organisé dédié aux femmes de plus de 50 ans, et parce que les professionnels de santé éludent bien souvent la probabilité de la présence d’un cancer du sein, les retards de diagnostic sont assez fréquents et d’autant plus dangereux car les tumeurs ont tendance à être plus agressives. Grossesse, allaitement, fertilité, vie professionnelle et personnelle… Les femmes jeunes qui affrontent cette maladie font face à des problématiques spécifiques de plus en plus adressées par les professionnels et les associations. 

Je rentre dans ma voiture et je fais une crise d’angoisse. J’essaie d’appeler deux amies mais elles ne répondent pas. J’attends une demi-heure avant de pouvoir rentrer chez moi. De là, j’envoie un message à mon père lui demandant de passer. Il me trouve allongée sur un tapis, toujours en crise d’angoisse. Je finis par lui dire que j’ai une tumeur dans le sein. Il essaie de me rassurer, fait des recherches. ACR4 ne veut rien dire, juste qu’il y a quelque chose de suspect. L’IRM confirme la présence d’une masse de 9 millimètres, mais qu’elle est seule. Le radiologue me rassure : il suffira juste de la retirer et tout ira bien. C’est lui qui me fera la biopsie. Un premier acte invasif que j’ai trouvé violent. Je pleure, j’explique de nouveau que ma mère est décédée, comme pour justifier de mon état catastrophique qui est pourtant bien légitime. Il me répond sèchement : « Oui, ben ça, j’avais bien compris ». J’essaie de me calmer, de me ressaisir, je me trouve nulle et faible.

L’importance de l’auto-palpation

Quel que soit votre âge, il est nécessaire d’inspecter votre poitrine et de vous auto-palper tous les mois en début de cycle. Les symptômes à surveiller : une boule dans le sein, un écoulement, une déformation, un ganglion sous le bras ou sous l’omoplate. Au moindre doute, consultez un professionnel de santé (médecin généraliste, gynécologue, sage-femme) et ne pas hésiter à demander une échographie et/ou mammographie. 

Je vais voir mon médecin, qui regarde l’imagerie et me dit que ça ne ressemble pas à un cancer, pas d’inquiétude. Puis une autre, qui me dit qu’il faut malheureusement m’attendre à une année compliquée, et qu’elle transmet mon dossier au centre de cancérologie le plus réputé de ma région. Je suis en colère contre elle et le peu d’espoir qu’elle communique.

Nous passons entre-temps Noël chez la sœur de ma mère, où l’ambiance est assez morose. Je n’en parle à personne, mes frères et mon père sont les seuls au courant. Je sors toutes les heures pour pleurer. Tout le monde pense que c’est « seulement » pour ma mère.

Quelques jours plus tard, je suis en train de faire des courses. Un message vocal. Le centre de cancérologie qui m’appelle pour me donner rendez-vous. Je suis au magasin, sous le choc et en colère. Ok, super, j’apprends que j’ai un cancer par message vocal. Je rappelle, je m’énerve contre la secrétaire, lui dit que ce n’est pas très sympa d’apprendre cela comme ça. Elle s’excuse, pensait que mon médecin m’avait déjà communiqué les résultats mais qu’elle ne peut m’en dire plus. Je lui demande si je peux avoir rendez-vous avec l’oncologue qui suivait ma mère. Dans le même temps, je me dis que ce n’est peut-être pas une bonne idée. Elle me dit que je n’ai rendez-vous qu’avec une chirurgienne, et qu’étant donné mon jeune âge, le rendez-vous le plus tôt est le mieux. Je rentre chez moi, je pleure. Mon père, mes frères et mon conjoint restent optimistes, ça peut encore être autre chose. Moi je n’y crois plus. La situation est tellement invraisemblable que j’en rigolerais presque. Je rappelle la secrétaire le lendemain pour m’excuser de m’être énervée, elle s’excuse de même et me dit n’avoir pas été bien que j’apprenne cela de cette manière.

Je recommence mes recherches sur le cancer du sein. Je suis chercheure en sciences sociales, mais j’ai accès aux articles scientifiques et je suis bilingue en anglais. J’avais déjà commencé mes recherches pour mieux comprendre ce qui arrivait à ma mère et les pronostics. J’apprends alors qu’il y a plusieurs types de cancer du sein, certains plus agressifs que d’autres. Qu’il y a plusieurs grades et stades, tous associés à des pronostics différents. Je vois que mon jeune âge augure forcément quelque chose de négatif : c’est souvent plus agressif et de plus mauvais pronostic. J’ai le sentiment de reprendre le contrôle par ce savoir et me sens parée pour mon rendez-vous avec la chirurgienne. Je n’ai plus peur d’avoir un cancer du sein, je sais que j’en ai un, j’ai peur de sa forme et du temps depuis lequel il est dans mon corps.

Les différents cancer du sein

Il n’y a pas un mais de multiples cancers du sein qui varient selon le type de tumeur qui s’y développe, les plus fréquents étant :

  • Le cancer du sein dit hormono-dépendant : de type luminal A ou B, c’est le plus fréquent. C’est un cancer sensible aux oestrogènes et/ou à la progestérone et qui répond donc à un traitement ciblé particulier : l’hormonothérapie
  • Le cancer du sein de type HER2+ : les cellules cancéreuses expriment davantage de récepteurs à la protéine HER2, et impliquent donc que la tumeur est plus agressive, mais répond à un traitement par immunothérapie. 
  • Le cancer du sein triple-négatif : plus représenté chez la femme jeune, il est caractérisé par l’absence d’expression des récepteurs hormononaux et de surexpression de la protéine HER2, limitant ainsi les options thérapeutiques. 

De ces sous-types varient ainsi les traitements et le pronostic.

Chirurgie, discussions et mise en place d’un traitement

Le rendez-vous arrive, j’y vais avec mon conjoint. Ma mère m’avait toujours dit ne jamais aller seule aux rendez-vous, car elle ne retenait que le négatif. Nous arrivons dans une aile dédiée au cancer du sein, à l’accueil des nouvelles patientes et je suis la seule « jeune ». La chirurgienne nous reçoit. Elle confirme que c’est un cancer mais se veut rassurante : c’est tout petit. Maintenant, ce qu’on doit espérer c’est qu’il n’y ait qu’une lésion et que les ganglions ne soient pas atteints. Je dois refaire une échographie et une mammographie. Il faut qu’elle voit ma poitrine pour voir si mes seins ne vont pas être trop déformés par la chirurgie. Elle me rassure, me dit que je garderai un joli décolleté, qu’elle s’assurera que la cicatrice de la tumorectomie ne soit pas visible. Je suis décontenancée par la manière dont elle s’attache autant à l’esthétique. Je m’en contrefous, je veux juste ne pas mourir. Je lui demande de m’enlever mes deux seins, je ne veux plus les garder, je ne veux pas mourir. Elle me regarde avec effroi et me dit que ce n’est absolument pas le traitement adapté et que la chirurgie conservatrice est suffisante. Que je serai bien contente plus tard. Je m’en fous, je veux juste que ce « plus tard » existe. Elle en vient à l’analyse qui découle de la biopsie. Mon cancer est de grade II, ce qui est plutôt positif. Par contre, le KI-67, indicateur de la prolifération, est très élevé. Je lui demande si c’est un triple-négatif, ce qui me fait le plus peur. Non, le mien est hormono-dépendant, très peu positif au HER2. J’analyse. Un Luminal-B donc. Ce n’est pas si mal mais c’est le même que ma mère, et elle en est morte.

On me donne plein de documents, de codes d’accès à des plateformes. J’ai l’impression de m’inscrire dans une nouvelle école, que je vais rester des années avec eux, je n’aime pas ça. Nous repartons, j’ai la date de ma chirurgie, mais je dois veiller à ce que mes prises de sang soient bonnes. J’ai une maladie auto-immune qui pourrait faire retarder la chirurgie, ce qu’il s’est passé. Ma date a été repoussée d’une semaine. J’ai été opérée fin janvier. La douleur était un peu forte, mais je suis restée 5 jours à l’hôpital pour des raisons psychologiques. Je pense que j’ai pris conscience de ce qui m’arrivait à ce moment-là, j’avais des pensées morbides, je disais aux chirurgiennes que j’aurais aimé ne pas me réveiller de l’opération, que je n’ai pas envie de vivre tout ça, de souffrir comme ma mère. Une des chirurgiennes me prend la main. J’avais pleuré, je lui ai dit que je vais mourir de toute façon, que je ne pourrai pas avoir d’enfants, chose à laquelle je n’avais jamais vraiment pensé. Elle me dit que j’ai toute la vie devant moi, que ça va aller, que c’était tout petit. C’est certainement la médecin qui m’a le plus consolée et qui m’a vue comme un être humain, non seulement comme une patiente. 

« Je refuse de croire que mon cancer est un simple coup de malchance »

La psychologue veut me garder quelques jours de plus. Je souhaiterais rester aussi, je me sens en sécurité à l’hôpital et je sens que j’étais en plein « pétage de plombs » mais que ça ne me dérange pas car entourée de personnes qui semblent considérer cela comme une attitude normale. Auprès de mon entourage au contraire, j’ai l’impression d’être une enfant capricieuse, qui faisait du drama. Ils me disaient que je serai mieux chez moi, avec mes animaux. Je suis donc rentrée, un peu à contre-cœur. Il faut alors attendre les résultats de l’opération et de l’analyse des ganglions sentinelles. Toujours attendre.

Entre temps, je passe mon temps sur Google Scholar, à chercher les aliments, compléments alimentaires qui pourraient m’aider à survivre. Je me mets à une alimentation cétogène, sans aucun sucre donc. Très compliqué, surtout en étant végan. Je me nourris de salade, de brocolis, de noix et de chocolat noir. J’arrête totalement l’alcool. Je fais un jeûne de 6 jours. Je perds du poids et j’ai le sentiment de contrôler le cancer.

Je vais voir une psychologue, elle me fait comprendre qu’elle aussi a eu un cancer du sein. Elle me dit que pour l’instant ce n’est pas grave, mais que ça doit me forcer à changer. On travaille, je lui dis que j’ai toujours eu peur de tout, peur du chômage, peur du travail, de ne pas en faire assez, de ne plus avoir d’argent. Que mon rêve est de sauver et adopter un cheval mais je ne suis pas capable de le faire car j’ai peur. Elle me dit que pour le moment de toute façon, ce n’est pas possible. Que je serai terrassée par la fatigue des traitements. Je suis en colère, je ne veux plus attendre pour vivre, j’ai l’impression de ne plus avoir de temps.

Je vois des témoignages sur le cancer et les changements de vie. Il faut que je change la mienne pour guérir. Et que je me mette au yoga et à la méditation. Que je trouve mon vrai « moi ». Car depuis l’annonce, j’essaie de comprendre pourquoi. Est-ce les cigarettes que j’ai fumées en soirée ? La pollution et les perturbateurs endocriniens ? L’alcool que j’ai bu, et dans des quantités peu raisonnables depuis ma thèse ? Est-ce les hormones de la pilule et du stérilet ? Mon alimentation, certes bio et végan, mais pas du tout équilibrée ni réfléchie ? Est-ce mon burn-out et mon arrêt du sport associé ? La rechute de ma mère ? La génétique ? Ou peut-être tout ça à la fois ? Je refuse de croire que ce soit un simple coup de malchance, car cela signifierait que je ne peux rien faire pour éviter d’en avoir un de nouveau.

Je n’accepte pas bien du tout l’opération, je ne supporte pas de voir les cicatrices, les douches sont les moments que j’appréhende le plus dans ma journée. Je m’assois toujours en pleurant, je ne veux pas voir, pas toucher. Je refuse que mon copain voit mon sein. Je ne veux pas mobiliser mon bras, alors qu’il faudrait que je le bouge. Je suis à nouveau faible, pas capable de faire ce que toutes les patientes doivent faire, être dans l’action, portée sur l’avenir et sur le positif. Aujourd’hui encore, je ne touche pas mes seins. J’ai trop peur d’y sentir de nouveau quelque chose. Je sais pourtant que ça m’a potentiellement sauvé la vie.

Chimiothérapie, deuil et prise de recul

Le rendez-vous avec la chirurgienne arrive, et c’est un des rendez-vous les plus angoissants. Elle va m’annoncer si les ganglions sont atteints ou non, si les marges autour de la tumeur sont saines, et quel sera le protocole. J’ai rendez-vous avec le psychologue du centre après le rendez-vous. L’attente est longue, c’est insupportable. J’ai envie de pleurer mais mon copain me dit de me retenir. L’attente est telle que l’heure de mon rendez-vous avec le psychologue arrive. Il déboule et comprend que je n’ai toujours pas vu la chirurgienne. Il s’énerve, il va essayer de l’avoir au téléphone pour savoir s’il peut me prendre maintenant ou s’il vaut mieux me prendre après le rendez-vous. En gros, si elle compte m’annoncer une mauvaise nouvelle. Il s’éloigne de nous, revient 5 minutes après en courant, et me dit qu’il me prend de suite. Il me dit qu’il ne peux pas m’en dire plus mais que je ne devrais pas faire de chimiothérapie. Ouf ! Je ressors de la consultation et rejoins mon copain pour lui annoncer tout bas que normalement les ganglions ne sont pas atteints. C’est confirmé par la chirurgienne qui nous reçoit assez rapidement. La tumeur faisait bien 8 millimètres, les marges sont saines, pas de chimiothérapie mais de la radiothérapie, et je ne la revois pas avant un an. Par contre, une analyse génétique sera faite.

Je retourne à mes recherches. Je vois que si je vivais aux États Unis, je ferais de la chimiothérapie car la limite n’est pas à 1 centimètre mais à 5 millimètres. Je m’inquiète, j’ai envie de taper fort, de tout tenter pour ne pas avoir de métastases. Je prends un rendez-vous dans un centre parisien pour avoir un second avis sur mon dossier. J’ai peur de paraître odieuse vis-à-vis des médecins, mais c’est ma vie qui est en jeu. Le rendez-vous est deux semaines plus tard. Je me rends compte de la chance que j’ai de pouvoir me payer le billet de train, et d’oser creuser pour avoir le meilleur traitement possible. Je rencontre un chirurgien très aimable. Il me confirme la non indication de chimiothérapie, mais m’enjoint à réfléchir à la double mastectomie prophylactique. Je suis à la fois rassurée mais stressée par ce nouveau choix qui s’offre à moi. Énervée également car je l’aurais fait dès le départ si on me l’avait proposé. Mais là tout de suite, je ne sais pas si j’ai la force de repasser sur une table d’opération.

Arrive le rendez-vous pour débuter la radiothérapie, je ne m’attends plus à grand-chose au niveau de mon traitement. Je rencontre un jeune oncologue, qui s’étonne comme moi de la non indication de chimiothérapie. Avec mon accord, il demande à ce que la tumeur soit envoyée aux États Unis pour un test plus précis de l’agressivité de ma tumeur. Les résultats nous parviennent deux semaines plus tard, la tumeur est très agressive, ce sera donc de la chimiothérapie. Entre-temps, les résultats génétiques indiquent qu’en l’état des connaissances actuelles, mon cancer ne serait pas génétique. Bizarrement, je ne suis pas soulagée car un résultat positif m’aurait obligée à faire une mastectomie prophylactique et m’aurait enlevé le poids du choix que je dois faire.

La chimiothérapie débute trois semaines plus tard. Entretemps, j’ai rendez-vous pour une préservation de la fertilité. Bien que mon cancer soit hormono-dépendant, je me sens un peu poussée par le corps médical à entamer la démarche, qui implique des piqûres d’hormones tous les jours, une échographie tous les deux jours, et une montagne de rendez-vous dans un service où je rencontre uniquement des couples en attente d’un enfant, ce qui est assez difficile pour moi. Je vois des couples heureux, engagés autour du projet de donner la vie, quand moi je lutte pour garder la mienne. J’explique que je ne comprends pas pourquoi on s’attache tant à vouloir préserver ma fertilité alors que j’ai l’impression que mon espérance de vie est fortement réduite. Puis, je suis opérée : on me prélève des ovocytes et me pose un stérilet. C’est le seul point positif que je retire de la procédure : m’être fait poser un stérilet sous sédation. 

Puis vient la pose du PAC sous anesthésie locale. C’est un petit boîtier qui est implanté sous la peau, un peu en dessous de l’épaule, qui est relié à une veine par un cathéter et dans lequel est injectée la chimio. Censée être indolore, c’est finalement un des passages les plus difficiles de mon parcours. J’ai trouvé la procédure assez violente, et la douleur fût atroce pendant 3, 4 jours. Aujourd’hui encore, il me gêne quand j’essaie de positionner ma bretelle de soutien gorge, ou quand je porte un sac à dos. Aussi, comme je suis assez fine, j’ai l’impression de ne voir que ça quand je me regarde dans le miroir. Mon oncologue souhaite pourtant me le faire garder deux ou trois ans « au cas où ». Je trouve cela violent : comment se projeter dans l’avenir avec ce boîtier qui nous ramène toujours au cancer ? Pourquoi le conserver deux ou trois ans alors que le risque de rechute est linéaire tout au long de notre vie? 

J’entame alors le protocole le plus compliqué du traitement : la chimio. Celle qui fait vomir, perdre les cheveux, qui rétame et fait maigrir. Je devais faire 12 séances de chimiothérapie : 3 « fortes » toutes les 3 semaines et 9 plus supportables toutes les semaines. Contre toutes mes attentes, elles se sont à peu près « bien passées ». Étant donné que je souffre également d’une maladie auto-immune, je pensais me retrouver à l’hôpital pour des infections ou de gros déficits immunitaires. Mes prises de sang ont toujours été bonnes, je n’ai pas eu d’infections ni ai été malade. J’ai certes vomi et eu de grosses nausées les deux ou trois jours après les trois premières grosses mais globalement, je l’ai plutôt bien vécue. Au contraire, j’avais faim en permanence, mais je ne prenais pas de poids. J’étais contente car la diététicienne du centre m’avait prescrit des compléments, elle pensait que je n’allais pas pouvoir affronter les chimios sur le long terme à cause de mon alimentation végétale. Les infirmières du petit centre où j’allais étaient adorables. Elles voyaient mon angoisse et me permettaient de rester dans leur bureau et non dans la salle où étaient tous les malades. Comme partout, j’étais la plus jeune et je détonnais. Quasiment à toutes les cures, ma meilleure amie était présente et allait chercher notre « pizza chimio » : curieusement, j’en garde de bons souvenirs.

J’ai bien entendu perdu mes cheveux, mais le pire étant les sourcils et les cils, qui enlèvent toute expression du visage. J’avais de très gros sourcils noirs et de très long cils, et leur absence était assez surprenante, je ne me reconnaissais plus. Je n’ai jamais porté de perruque, j’avais l’impression de me déguiser. Tout cela ne m’embêtait pas et me semblait dérisoire par rapport à ce je risquais. J’avais toujours dit à ma mère « ce n’est que des cheveux, ça va repousser » quand elle s’inquiétait avant les chimios, et j’avais l’impression que je l’aurais trahie si je m’en étais inquiétée. Mais ce qui me dérangeait était le regard des gens, qui me ramenait toujours à mon statut de malade. Parfois, quand j’allais faire des courses, j’oubliais ma maladie, et il me fallait quelques secondes pour m’en rappeler quand je voyais les regards fixes des gens. 

Ma santé mentale, mon autre préoccupation

Aujourd’hui, j’ai commencé la radiothérapie, une des dernières étapes avant la fin des gros traitements et la prise d’hormonothérapie pendant 5 à 10 ans. Mes cheveux repoussent un peu et je peux enfin abandonner les bonnets-turbans que je ne supporte plus. 

Ce qui m’inquiète beaucoup, forcément, après une année comme celle que je vis, c’est ma santé mentale. Je fais énormément de cauchemars liés à ma mère et au cancer. Dans l’un d’entre-eux, par exemple, nous comparons nos IRM et elle m’annonce avoir des métastases au foie. Je lui dis que je n’en ai pas, et elle me répond « ça ne saurait tarder ». Difficile donc de me lever ces jours-là. Je me demande quelle place occupe le deuil de ma maman dans toute cette expérience : est-ce que mon « travail » de deuil a pu prendre place comme il le devait ? Est-ce que je vais m’effondrer quand tout sera « fini » ?

J’oscille alors entre des états de quasi-méditation, où j’arrive à penser à la mort de manière assez spirituelle, où je me dis que toute cette histoire peut résonner comme une forme d’expérience positive, comme un moyen de mieux me connaître, de me recentrer sur ce qui est important ; que le cancer est venu pour cette raison, et que si je suis mes plans, que je deviens mon vrai « moi », il ne reviendra pas ; et des états d’angoisses, de colère, et de profond désespoir. Ces derniers états n’occupent heureusement pas la majorité de mon temps. Je m’étonne moi-même d’arriver à rester debout, de continuer à ressentir du bonheur.

Juste avant de débuter la chimiothérapie, j’ai adopté un cheval qui risquait l’abattoir et a été réformé des courses de trot. Cela faisait depuis que j’avais 15 ans que c’était un rêve, et je me suis sentie poussée, comme par un élan de vie, à adopter celui-là. Dans sa vidéo de présentation, il était décrit comme doux, adorable, parfait pour de l’équithérapie. Quand j’ai appelé, j’ai tout de suite dit que j’avais un cancer et que je commençais les traitements. Je pensais qu’on allait me répondre que non, on n’adopte pas de cheval quand on a un cancer, que c’est irresponsable. Au contraire, la dame m’a dit qu’il serait parfait pour moi, car il a l’air de sentir quand les personnes ne sont pas bien. Il est à mes côtés depuis le début de la chimio, alors que beaucoup de personnes m’avaient conseillé d’attendre la fin de mes soins car un cheval, c’est beaucoup de temps et de travail. C’est une des raisons, avec mes autres animaux, qui ont fait que j’ai pour le moment su garder de l’élan : il me poussait à me lever quand je n’avais plus beaucoup de forces et je marchais beaucoup grâce à lui. 

Je n’ai jamais eu grande confiance en moi, mais aujourd’hui je suis fière de tout ce que j’ai parcouru, fière d’avoir lutté pour être diagnostiquée le plus tôt possible et pour obtenir le traitement le plus personnalisé, et d’avoir tout fait en oeuvre pour garder le sourire dans cette période. Aujourd’hui encore, malgré toutes ces étapes, j’arrive à rire et faire rire, danser dans mon salon, passer du temps à soigner et sauver des animaux non-humains sauvages ou domestiqués, conserver mon éthique vis à vis d’eux et travailler pour promouvoir une alimentation végétale. Dans le futur, j’aimerais poursuivre dans cette voie mais aussi accompagner des femmes qui sont frappées par cette maladie. 

* Le prénom a été modifié.

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Les Commentaires

4
Avatar de Neverland90
25 septembre 2023 à 08h09
Neverland90
Il y a énormément de cancer des poumons d'un côté de ma famille, oon a même eu un ou deux non fumeur. Et dans la totalité des cas le schéma c'était diagnostic --> 1 ou 2 ans après tous les traitements possibles décès de la personne.
Et ce qui me mets en rage c'est que les médecins, en tout cas ceux avec qui on a interagi, ont toujours réfuté l'hypothèse d'une tendance génétique.
Il y a des gens, ils vont fumer toutes leurs vies et ils ne vont pas avoir de cancer.
1
Voir les 4 commentaires

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