Une « pièce de l’écoute ». Voilà la nouveauté de la rentrée à l’hôpital Sant’Anna de Turin, au Piémont, dans le nord-ouest de l’Italie. Une pièce consacrée à l’accueil de toutes les femmes franchissant la porte de l’établissement pour obtenir un avortement. Son objectif ? Leur montrer toutes les alternatives possibles. À l’intérieur, les bénévoles d’une association « pour la vie », la FederviP.A., financée et soutenue par la région.
Depuis 2019, l’air au Piémont a changé. Région où le féminisme a fait des miracles et où l’hôpital Sant’Anna est connu pour être le premier à proposer l’avortement médicamenteux en Italie, le Piémont représente aujourd’hui toute autre chose. Les mesures et les financements en soutien des mouvements pour la vie s’y sont multipliés et la « pièce de l’écoute » n’en est que le dernier exemple.
Après la victoire aux élections régionales de la droite en 2019, le conseiller Maurizio Marrone, fidèle de Giorgia Meloni, s’est démené pour créer le « modèle Piémont » : sous prétexte d’offrir aux femmes le droit de « ne pas avorter », il limite et stigmatise de fait l’accès à l’avortement. Ce modèle a été revendiqué par Giorgia Meloni dès sa campagne électorale en 2022. Le Premier ministre — au masculin, comme elle aime bien le souligner — ne fait pas mystère de vouloir l’appliquer à toute la péninsule.
Giorgia Meloni, mamma de la patrie
Il y a un an tout juste, Giorgia Meloni prenait les rênes du gouvernement : cheffe du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia et première femme à endosser ce rôle, elle revendique son identité de « femme, mère et Italienne ». « Fasciste », ajoutent volontiers ses détracteurs. Une femme qui a des idées bien précises quant au droit à l’avortement en Italie, garanti par la loi 194 de 1978. Il y a tout juste 45 ans.
« Tout le monde me demande si je suis prête à gouverner », confiait Giorgia Meloni lors d’un meeting, le 15 septembre 2022. « Cela m’a fait penser à quand je m’apprêtais à devenir mère. Je pense que l’Italie a besoin d’être guidée avec le même sentiment. » Depuis, elle ne cesse de décliner ce sentiment, en mélangeant vie privée et rôle institutionnel. Famille et natalité ont toujours été au centre de son projet politique. La question de l’IVG est abordée dès le premier point de son programme. Elle y déclare vouloir appliquer « pleinement la loi 194, à partir de la prévention ». En interprétant la loi, Giorgia Meloni profite d’une zone grise et mine le droit à l’autodétermination des femmes.
« Derrière le modèle Piémont, critique Carla Quaglino, coprésidente de la Casa delle Donne de Turin, se cache le ‘Dieu, patrie, famille’ de fasciste mémoire. » Militante de 75 ans, Carla Quaglino a participé en 1978 aux manifestations pour obtenir le droit à l’IVG et est indignée par la situation actuelle : « La rhétorique de Giorgia Meloni est dangereuse pour les femmes. Comment avons-nous pu avoir de si belles victoires, pour après les voir s’effondrer de cette manière ? ».
Carla Quaglino est à l’origine du réseau « pour l’autodétermination », Più di 194 voci, qui rassemble 52 associations et mouvements féministes et LGBTQI+, ainsi que des associations culturelles de la ville. Ce réseau a été créé après la victoire de la droite aux élections régionales en 2019, afin de garder un œil attentif sur les mesures les plus conservatrices de la junte. Ainsi, à chaque fois qu’une mesure (financements des associations pro-vie avec le « Fondo vita nascente », création de la « pièce de l’écoute »…) est approuvée, le réseau se mobilise pour contacter les journalistes, organiser des manifestations et attirer l’attention de la population sur les conséquences de ces actions conservatrices.
Mais, si le Piémont connaît un militantisme historique, cela n’est pas toujours le cas dans d’autres régions, où le « modèle Piémont » pourrait bel et bien être appliqué.
La 194, une loi imparfaite et obsolète
Sous prétexte de vouloir aider les femmes, Giorgia Meloni rajoute des obstacles à un droit déjà difficile à atteindre. La loi 194 a toujours été une loi incomplète, le fruit d’un compromis entre l’extrême gauche et la démocratie chrétienne. Tout en dépénalisant l’avortement, elle insiste sur la prévention et garde l’IVG en dernier recours. Surtout, elle laisse aux médecins l’option de l’objection de conscience. Un droit légitime, mais aussi un obstacle réel, considérant qu’aujourd’hui 64,4 % des médecins italiens se refusent à pratiquer un avortement. Un chiffre qui atteint 80 % dans le sud du pays.
« Aujourd’hui, l’hôpital italien n’est plus un endroit sûr pour les femmes qui veulent interrompre une grossesse », précise Elisa Visconti, directrice de l’association humanitaire Médecins du monde en Italie : « Au contraire, il devient un endroit où se nichent les groupes anti-avortement et où les femmes sont maltraitées. L’hôpital italien, aujourd’hui, est un lieu de dissuasion ».
Giorgia Meloni ne veut pas toucher à la loi 194, car elle n’en a pas besoin pour limiter le droit à l’avortement. Elle est au gouvernement depuis un an et les associations féministes craignent pour le futur. Pourtant, insiste Carla Quaglino, « c’est nous qui militons pour la vie. Pas eux ».
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