L’uchronie. Le mot vous semble barbare ? C’est qu’il n’est pas employé si souvent, au contraire de sa thématique. On lui préfère en général l’expression « histoire alternative », directement empruntée de l’anglais (« alternate history »). Pourtant, son étymologie est assez claire : « chronos » pour temps et « u » pour la négation. « Uchronie » désigne un « non-temps », ou un temps qui n’existe pas.
Le terme est apparu pour la première fois en 1857 dans la Revue Philosophique. L’effort provenait du philosophe Charles Renouvier, qui cherchait à parler « d’utopie dans l’Histoire ».
Et effectivement, le néologisme est devenu le nom officiel pour désigner le genre littéraire qui s’emploie à réécrire l’Histoire. Pour en faire une utopie ? Bof. Disons plutôt pour le pire ou le meilleur. Mais toujours dans le but non innocent de mettre en avant les conséquences d’un monde dans lequel un morceau important de notre Histoire aurait complètement changé. Et c’est aussi fascinant que foisonnant de possibilités.
L’effet papillon dans la fiction (et l’Histoire)
« Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la Terre aurait changé. »
Cette citation de Blaise Pascal explicite si bien l’uchronie que le célèbre auteur Robert Silverberg s’en est inspiré pour son recueil de nouvelles sur le thème de l’altération de l’Histoire, Le Nez de Cléopâtre.
L’idée est que l’altération du plus infime détail peut influer sur le cours de l’Histoire dans des proportions aussi énormes qu’éloquentes. C’est le principe de l’effet papillon (ou effet domino), quoique le « détail » ne soit pas toujours si infime…
Et si Rome n’était jamais tombée ? Et si Napoléon avait remporté la bataille de Waterloo ? Et si la peste noire n’avait pas été endiguée ? Et si Jean-Marie Le Pen avait été élu en 2002 ? Et le roi au pays des scénarios catastrophes : et si Hitler avait gagné ?
The Man in the High Castle, adaptation télévisée du roman de Philip K. Dick
Vous voyez le tableau : le postulat de départ est rarement très sympa. Mais à partir de là, l’auteur est libre de réécrire l’Histoire sur la fondation de ses nouvelles altérations, aussi appelées « points de divergence ». Et si les possibilités sont effarantes, l’écrivain•e sait en général très bien où il/elle veut en venir.
Car l’uchronie est tout sauf un jeu de fanfiction historique et innocente. C’est un jeu des possibles dont le but est d’apporter ou de susciter une réflexion nouvelle sur notre présent. Parfois en penchant vers l’utopie, parfois en se noyant dans la dystopie noire et sans le moindre espoir (je vous jure, il y a de ces trucs parfois).
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Et à vrai dire, l’uchronie est peut-être davantage un outil littéraire qu’un genre. La faute à sa thématique qui, à partir du moment où tout est à nouveau possible, peut s’acoquiner avec tous les autres genres, du réalisme historique à la science-fiction, en passant par la fantasy et le cyberpunk.
À partir du moment où Hitler ne fait plus partie du tableau, qui êtes-vous pour dire que l’humanité ne parvient pas à créer la Porte des Étoiles ?
L’uchronie en quelques titres
Vous l’aurez compris, l’uchronie peut porter sur à peu près tout et n’importe quoi. De fait, tous les romans de ce genre ne vous parleront pas forcément. C’est pourquoi je vous propose une petite sélection la plus variée possible parmi les grands noms du mouvement, pour vous aider à trouver par où commencer !
- Roma Eterna, par Robert Silverberg
Dans une série de nouvelles qui se suivent de façon chronologique, Silverberg dépeint le monde tel qu’il serait si l’Empire romain n’avait jamais ployé devant l’invasion des barbares et l’expansion des religions monothéistes.
D’ailleurs, Moïse a raté son coup et son exode, ce qui a eu pour conséquence que Jésus n’est jamais venu au monde. Quant à Mahomet, il n’a jamais eu le temps d’exercer la moindre influence sur ses pairs. À partir de là, tout est possible pour les Romains, de la découverte du Nouveau Monde à la première fusée…
- Rêve de fer, par Norman Spinrad
Après la Première Guerre mondiale, Adolf Hitler émigre aux États-Unis pour échapper à la montée du communisme. Là-bas, il tente de survivre grâce à ses maigres talents d’artiste peintre, mais finit par se voir offrir l’occasion d’écrire un roman de fantasy. Et pas n’importe quel roman : Le Seigneur du Svastika.
C’est ce roman, fruit des obsessions maladives d’Hitler, que l’on découvre entre les pages du Rêve de fer.
- Le Maître du Haut Château, par Philip K. Dick
Référence parmi les références, cette uchronie particulièrement glauque a pour point de divergence la victoire des nazis sur les Alliés. L’Allemagne et le Japon ont envahi les États-Unis et dominent le monde en tant que premières puissances mondiales.
Un roman qui a été adapté en série TV récemment, dans une atmosphère sombre et inquiétante.
- Voyage, par Stephen Baxter
Et on arrête un peu avec le thème d’Hitler (même s’il y en a encore des tonnes) pour passer à un autre maître de la science-fiction. Dans Voyage, Stephen Baxter imagine ce qu’aurait pu être la conquête spatiale si le président John F. Kennedy avait survécu à sa tentative d’assassinat.
Vous ne voyez pas le lien entre les deux ? Alors j’imagine que si je vous parle de mission sur Mars, vous êtes perdu•e•s ?
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Les Commentaires
Je me demandais, du coup, si on pouvait considérer 22.11.63 de Stephen King comme une uchronie, vu les changements qu'effectue le héros, même minimes, dans le passé ?
Pour ceux qui ne l'ont pas lu, je mets la suite en spoiler