J’aime les mangas. Je tiens à le préciser, parce que je m’apprête à critiquer et à me moquer outrageusement, mais sachez que ce n’est que de l’amour. J’aime les mangas, et parmi mes préférés, il y a une grosse dose de ce que l’on appelle du « Shonen ». Alors, pour celles du fond qui a des points d’interrogation qui lui poussent sur la tête, prenons le temps d’une petite explication, parce qu’on n’est pas des bêtes.
Le Shonen manga (ou Shounen ou on s’en fout c’est écrit en japonais de toute façon) est un sous-genre initialement destiné aux jeunes garçons, « Shonen » signifiant « adolescent ». Alors comme on est d’accord sur le fait que diviser un genre en « c’est pour les filles » et « c’est pour les garçons », ça ne veut rien dire (même si c’est hélas ce que l’on fait pour le manga avec le Shonen et le Shojo), on va rester dans la réalité : le Shonen est lu partout dans le monde et possède un lectorat mixte et d’âges variés.
Et paf.
Sa caractéristique principale est que l’histoire se focalise sur un protagoniste qui sort un peu du lot d’une manière ou d’une autre (mystérieux, ténébreux, ou au contraire très extravagant, souvent d’une volonté à toute épreuve), assez charismatique pour que tout le monde le suive, et sur le point de sauver le monde grâce à sa super force hors du commun.
Ah, et il est souvent jeune, aussi. D’où la blague « au Japon si t’as pas déjà sauvé le monde à 12 ans, t’as raté ta vie ». Voilà. Mais nous y reviendrons.
L’action demeure un aspect essentiel : ben oui, faut bien l’occuper, votre héros, là. Du coup, parce qu’on part du principe que c’est un truc de garçons, le Shonen – et surtout le Shonen qui se vend bien – c’est de la baston. Et alors, la baston de votre bon gros Shonen basique, c’est particulièrement codifié, hein…
Le Héros Trituré
Pour être aussi charismatique et fort et tout et tout, le héros de Shonen a besoin d’avoir un grain. Sinon il n’est pas intéressant. Après, il y a plusieurs types de grains, mais le thème le plus utilisé demeure néanmoins celui du héros qui fait bonne figure mais qui a un passé soooooombre. Voire carrément horrible : plus c’est gros, plus ça prend.
Dans le but de faire durer un peu le suspense, le passé du héros n’est jamais intégralement dévoilé dès les premiers tomes ; on ponctue donc le déroulement de l’histoire jusqu’ici assez enjouée de…
- Cases en contre-plongée sur le héros de dos qui scrute l’horizon avec mélancolie (enfin, on pense, vu qu’il est de dos). Variante : la grande case avec le héros en tout petit au fond dans l’obscurité du soleil couchant avec la voix-off de l’un des faire-valoir, pardon, l’un des protagonistes secondaires qui fait une réflexion profonde du style « Ichigo ne se plaint jamais… mais il cache probablement une grande douleur dans son coeur »
- FLASHBACKS (oui, pffiouu, comme ça), en mode « si Kenshin réagit comme ça c’est parce que pffiouu FLASHBACK » (je vous avais dit que c’était violent) : quand il était petit, non seulement il n’était pas grand, mais en plus sa vie, c’était que sang, sabres, malheur, cases noires, et encore sabres, expliquant ainsi pourquoi il est capable de manier aussi bien son sabre (ce petit dégueulasse).
Mais surtout, fort de son expérience douloureuse, le héros de shonen, qui n’est pas forcément ténébreux contrairement à ce que l’on pourrait croire, peut changer ta vie. Oui, toi, la victime, l’impudent-e, qui a peut-être même provoqué le héros ou été méchant avec lui !
Toi, le perdant, le répudié, le méchant trituré : sache qu’il te pardonne. Et qu’après avoir rangé son gros sabre, il va te dispenser un enseignement aussi fulgurant que son coup de poignet, d’une seule phrase qui va moucher tout le monde dans l’émotion et te faire monter les larmes aux yeux tandis que tu réalises soudain que tu n’es plus seul :
« Tu n’es pas obligé de manger des crevettes dans la vie. »
Non, je suis désolée, c’est tout ce qui m’est venu à l’esprit, là. Mais vous voyez l’idée.
L’Attaque Fulgurante du Vol du Poulet
Bien, on peut donc passer à la baston, maintenant. Le Shonen et la baston. Dites-moi : est-ce que je suis la seule que ça agace passablement, les explications détaillées sur chaque mirifique mouvement de nos extraordinaires personnages pendant chaque combat ? C’est pas que ça fait durer le truc vingt plombes alors que ce n’est que le 45ème combat de l’après-midi, mais… Si, en fait. Et après on s’étonne que je m’énerve sur mon bouquin : mais PÈTE-LUI LA GUEULE à cet enfoiré, QU’ON EN FINISSE.
Tenez, reprenons Rurouni Kenshin, par exemple. Et « rurouni » c’est le nom japonais du manga Kenshin le vagabond, tu peux pas test.
Kenshin, donc, qui, je vous le rappelle, a eu un passé trouble et difficile, est en position, le sabre bien tendu. Il est selon toute vraisemblance sur le point de régler ses différends avec le monsieur ou la madame d’en face en ayant recours à la force physique. Tu te dis, bon, tout le monde répète depuis le début qu’il est hyper fort, c’est juste le 45ème péquenot à qui il doit rétamer le minois alors qu’ils disaient tous qu’ils étaient les plus forts de la Terre… Il lui sort une super technique et paf, emballé c’est pesé.
Tu pousses le bouchon un peu loin, Maurice.
Eh bien non. Pourquoi ? Parce qu’il lui
annonce la technique qu’il va utiliser. ÉVIDEMMENT QUE ÇA VA PAS MARCHER DU COUP, EH, PIGNOUF.
Oui, prendre un air hyper pénétrant avec son gros sabre et lancer d’une voix rendue grave par la concentration « Attaque du Dragon Céleste Mal Léché ! », ça en jette. Surtout qu’après, le héros est entouré, selon le mouvement de son épée, de gros tourbillons d’air ou de gaz, enfin, tu sais pas trop, et des fois ça fait même un dragon. Rapport que c’est l’attaque du dragon céleste. Suivez un peu.
Mais après, faut pas s’étonner que ça tue l’effet de surprise, hein.
Le Public Absorbé
Et puis, accessoirement, est-ce qu’on a vraiment besoin de savoir, en long, en large, et un peu en travers, que Gally dans Gunnm réalise une prouesse guerrière tout à fait hors normes parce qu’en exécutant ce qui ressemble à un triple salto arrière, elle redresse un peu les fesses à 45°, ce qu’elle ne peut avoir appris qu’auprès du grand maître truc qui était le seul à maîtriser cet art de combat ancestral mais qu’il est mort et hhhhh… Respire.
C’est bien mignon tout ça, mais Gally n’a pas fini son petit saut arrière qu’on y a déjà consacré 24 pages. Et ça, c’est le rôle des faire-val… ah mais non, que dis-je encore… le rôle des personnages secondaires, donc, qui restent sur le côté à rien foutre pendant le combat. Qu’ils soient tous copains avec le héros ou pas, d’ailleurs.
Non, là, il y a deux andouilles très occupées à faire s’effondrer des immeubles sans même réussir à se toucher pour régler un léger différend, leur copain il pourrait mourir, mais ils restent là. Ils discutent.
Le rôle de ce charmant public sur le côté de la scène est de décrypter ce qu’il se passe pour le commun des lecteurs, à qui la dimension épique et carrément trop forte du (énième) combat pourrait échapper. Un peu comme votre commentateur de foot lambda, quoi.
— Et c’est un magnifique coup de la part de Kurosaki Ichigo qui… Ohlàlà, mais que… Mais enfin c’est inouï Inoue, du jamais vu, un coup d’épée qui va pénétrer dans l’histoire !
— Tout à fait Ishida, il vient même de fracasser le nez de son adversaire par la seule force de sa volonté, et je souhaiterais que vous arrêtiez un peu les sous-entendus faciles, vous me mettez mal à l’aise !
Ou :
— Non ! Mais comment est-ce possible ! Je sais bien que ce combat n’a rien de réaliste depuis le début, ni même d’ailleurs cette histoire, mais son bras vient de s’allonger sous mes yeux !
— Ahaha, non, vraiment, on s’en rend compte depuis 9 tomes, mais Luffy n’est pas comme les autres ! Il est élastique !
Ou :
— Est-ce bien là une grosse queue qui vient de pousser à Naruto ?
— Tout à fait, ennemi que j’étais censé pulvériser il y a même pas une heure mais avec qui je bois le thé devant un match ! Je dirais même plus qu’il lui en a poussé sept !
Heureusement qu’ils sont là. On se dirait que c’est carrément du foutage de gueule, sinon.
Le Vazy Tape la Discute en Plein Combat
Ce n’est pas pour autant qu’il faut penser que ça papote sur le côté pendant que ça dégouline uniquement de sueur, de sang et d’effort surhumain dans l’arène. Nonon, on n’est pas des bêtes : on discute, aussi, dans l’arène.
En même temps, niveau timing, c’est normal : si à côté ils taillent la bavette pendant 20 pages pour un coup d’épée en diagonale, en attendant qu’ils terminent, il faut bien meubler. Alors le héros et le méchant s’échangent des politesses en guise de prologue dramatique. Situation type. Notez au passage des codes du Shonen évoqués plus haut.
— Ô vénérable obstacle à ma volonté de faire le mal, je m’apprête à te porter un coup dont tu ne te remettras point, car je vais frapper très fort avec mon gros sabre tordu en procédant comme ceci, comme cela, et puis comme ça.
— Ô vénérable méchant qui donne une raison d’exister à ce manga pour encore 2 tomes et peut-être même 1 arc d’anime entier selon le succès que tu obtiens, cela ne m’effraie point, car de mon côté j’ai prévu ce coup d’épée qui va te faire ça, et ça, en faisant ceci comme ça !
— C’est ce que nous allons voir. En garde.
— Hop.
— Oh, mais tu as esquivé mon coup ! Comment donc as-tu fait, être surhumain ?
— C’est l’enseignement de l’école ancestrale SuperPouletSayien, mécréant.
Évidemment, c’est pas toujours si facile. Rapport au bon vieux thème du retour du roi, ou du héros qui se relève. Je m’explique : parfois, pour rester « badass » (je sais que cet adjectif plaît), gagner haut la main ne suffit pas. Parfois, il faut éprouver sa volonté. Parfois, le héros doit se faire maraver. Voilà.
Comme ça, on ne se dit pas juste : « c’est un dieu », on se dit : « quel être humain admirable ! Moi je serai comme lui quand je serai grand-e », et ça c’est beau. Une fois qu’on lui a pété la cage thoracique, explosé la rate, déchiré l’oesophage et prélevé un gallon de sang en le traînant dans la boue… Et quand on croyait que tout était perdu… Eh bien, le Héros, Il Se Relève. Et il va cracher les dents qu’il lui reste à la gueule du méchant, car tel est pris qui croyait prendre.
Aaah, je me moque. Ça se voit que je me moque ? Mais vous savez, je les aime tellement, mes Shonens, que des fois je regarde même leur version en anime !
Oui, bon, pétez un coup, ça ira mieux.
Oui, car le shonen adapté en dessin animé jouit d’une formidable technique, qui existe en fait dans le manga mais rend moins bien puisqu’il suffit de passer les cases. La technique du « Je te regarde d’un air méchant pendant 4 minutes montre en main, le temps qu’on ait bien pu faire des gros plans sur mes yeux, sur mes cheveux, sur ma grosse épée, etc. », combinée à l’inévitable « ben si c’est ça moi aussi je te regarde d’un air hyper concentré, ouh tu vas voir la baston qu’on va se faire une fois qu’on aura fini de se regarder dans le blanc des yeux, mais au prochain épisode parce que là ça fait 20 minutes ».
Le Shonen, ou comment trouver le temps long dans une histoire pleine d’action et de grosses épées. C’est tout un art, j’vous l’dis.
Les Commentaires
perso je suis une fan absolue de samuraï champloo et soul eater du coup cet article est parfait