Des goûts et des couleurs, on ne discute pas… mais les goûts, on les juge aisément. Dans la vie, il y a plusieurs types de musique : celle estimée « bonne » par les professionnels et les magazines, et celle qu’il est mal vu d’aimer, et qu’on qualifie parfois de « trop commerciale ».
Bien que je défende haut et fort les couleurs de la première, je l’avoue, oui, il m’arrive, comme vous tout•e•s, d’aimer ce que d’aucuns appellent des « chansons pourries ». J’ai beau avoir un peu honte, je suis sensible à ces tubes du moment, calibrés pour plaire même si on ne les apprécie que d’un amour éphémère !
À lire aussi : Le snobisme musical, cette plaie de la vie en société
Si ces chansons commerciales rentrent dans la tête, c’est aussi parce qu’elles reposent sur des mécanismes bien précis. Les clips de la plupart de ces « titres de la honte » durent plus ou moins trois minutes. Quant ils dépassent les cinq minutes, c’est souvent à cause d’une coupure pendant laquelle les artistes étalent leur talent plus ou moins développé pour jouer les acteurs. À l’origine, ce format de 3 minutes était déterminé par la capacité technique des disques, qui ne pouvaient pas dépasser cette durée, mais aujourd’hui, les chansons se limitent à ce temps pour s’assurer un passage en radio.
Ces tubes difficiles à assumer en société sont aussi extrêmement répétitifs, et ce n’est pas un hasard. D’après une étude relayée par la BBC, réalisée en 2012 par la Goldsmiths University, les êtres humains, donc toi et moi, sont particulièrement sensibles aux chansons qui ont une structure simple et répétitive. En 2014, une conférence TED expliquait que nous aimons la répétition dans la musique à cause de l’effet de simple exposition, selon lequel nous préférons les choses qu’on connaît déjà.
Voici donc la playlist de ces chansons que j’ai du mal à assumer en public, mais qu’en mon fort intérieur, j’aime beaucoup trop, accompagnée d’un décryptage très rapide de leur contenu. Et n’oublie pas : si jamais on se moque de toi, tu pourras toujours dire que ce n’est pas ta faute, mais celle de ton cerveau.
Le monde de M. Pokora
Adieu l’époque Popstars et Elle me contrôle, M. Pokora a adouci son style pour passer du r’n’b aux ballades, et j’avoue que ceci ne me laisse pas insensible : M. Pokora fait un lover pas étonnant mais crédible.
Si objectivement, je sais très bien que l’orchestration repose sur quelques notes et que les paroles et l’histoire compilent tous les clichés des chansons d’amour, Le Monde a une très fâcheuse tendance à rester en tête. Je me demande à mon tour : « Doit-on se dire des mots qu’on n’pense paaaas »… et donc affirmer qu’on n’aime pas uniquement pour faire bien en société ?
- Nombre de fois où le refrain est répété : 4. Le refrain étant lui-même la répétition de quatre fois la même phrase.
- Tendance à répéter les choses en général : Environ une fin de phrase sur deux.
- Thème principal : L’amour. Il est ici question d’une rupture.
- Figures de style : De nombreuses anaphores, comme « Semblant de vivre / Semblant de s’aimer » et d’autres petites choses sympathiques type paronymie, deux mots à la prononciation proche : « nos courbes courber l’échine ».
- Vocabulaire dans une autre langue : L’anglicisme « happy-ending », autrement dit une fin heureuse comme il y en a dans les films de Disney en général.
- Style musical : R’n’b pop de lover.
- Intérêt du clip : Les ficelles de la vidéo sont épaisses comme un bouquin de Stendhal : au début, les deux monologues superposés de Matt et sa copine, qui répètent presque texto les paroles de l’autre, nous permettent de comprendre comment a démarré cet amour déchu. On assiste ensuite à toutes les stéréotypes de scène de couple. Puis Matt Pokora se retrouve sur les toits de Paris, lui qui ne veut plus que sa vie tourne autour du « toi » (tu l’as ?). Le clip se termine enfin dans un énième cliché : Matt qui essaie de casser la gueule au nouveau copain de son ex.
I really like you de Carly Rae Jepsen
J’ai, comme tout le monde, subi, puis adoré à un degré qui dépasse le second, puis dansé, puis subi de nouveau et enfin soupiré
le tube Call Me Maybe. Bien loin de l’époque où elle participait au télé-crochet Canadian Idol, Carly Rae Jepsen est désormais lancée sur sa trajectoire, et elle remet le couvert avec I Really Like You.
Ce tube me donne envie d’être en été et de secouer la tête d’une épaule à l’autre comme à la belle époque d’Avril Lavigne, et peu importe si mon quart de siècle approche.
- Nombre de fois où le refrain est répété : 7. Le refrain est lui-même composé d’une répétition de mots : « really » est redit 6 fois de suite, « do you want me » deux. À ce stade, j’ai compris que la chanteuse aimait beaucoup la personne dont il est question.
- Tendance à répéter les choses en général : Oui, fatalement.
- Thème principal : L’amour. C’est la phase d’incertitude : je t’aime bien mais… Qu’est-ce que t’en penses vraiment ?
- Figures de style : Une personnification de la tentation : « we could stay alone, you and me, and this temptation ». Et des palologies, ces figures de style qui consistent à répéter plusieurs fois le même mot.
- Vocabulaire dans une autre langue : Non.
- Style musical : pop sucrée du top 50.
- Intérêt du clip : La vidéo pourrait s’appeler « Une journée dans la vie de Tom Hanks sur fond de Carly Rae Jepsen », et c’est justement LA bonne idée qui fait que j’ai envie de me la repasser en boucle. Voir l’acteur américain faire du playback sur la voix adulescente de la chanteuse est un plaisir sans fin. On comprend que Tom Hanks est l’homme assailli par l’amour de Carly Rae Jepsen. Celle-ci le rejoint ensuite, pour une chorégraphie collective kitschouille mais pleine de bonne humeur.
Conmigo de Kendji Girac
Que les choses soient claires, Kendji Girac, ce n’est pas ma came. Je ne lui trouvais pas de charisme au temps de The Voice, je n’ai pas aimé ses précédents singles, ni Andalouse ni Gitano, et je trouve que ses clips versent dangereusement dans le sexisme.
C’est donc toute désemparée que je me suis retrouvée à onduler sur Conmigo, dont le flow me rappelle l’époque Un Dos Tres et risque fort de placer la chanson comme un titre de l’été. C’est inassumable, mais dans dix ans, il est possible qu’on danse dessus en se disant que c’est gentillet.
- Nombre de fois où le refrain est répété : 3. Encore une fois, le refrain repose sur la répétition de la même phrase 4 fois.
- Tendance à répéter les choses en général : un pré-refrain est repris deux fois : « Me laisse pas solo j’veux pas saouler ».
- Thème principal : La drague. Le chanteur demande à la fille ce qui lui plaît, puis ça se réchauffe, et il lui cause de son envie. Pas si vite, jeune homme.
- Figures de style : À la Matt Pokora avec une paronymie « Je veux juste un tango et te voir tanguer », mais aussi des allitérations en « s » et assonances en « en » : « Est-ce que t’aimer danser te balancer / Arrête un peu de penser et laisse-moi t’enlacer », et une métaphore, « Tu es un ange venu me tenter ».
- Vocabulaire dans une autre langue : Beaucoup d’espagnol. Quasi-bilingue. C’est la patte de Kendji : la jouer latin lover, et rappeler ses origines gitanes.
- Style musical : gitano-latino, avec un peu d’électro parce que c’est dans l’air du temps.
- Intérêt du clip : Cette fois, c’est non. Bien que tournée à Cuba, la vidéo accumule les clichés du r’n’b américain : le groupe de mecs qui traîne dans un stade puis pose devant une voiture, les ondulations sensuelles des corps en soirée pour draguer… Tout sauf révolutionnaire.
On s’en va de Shy’m
Shy’m, c’est un peu LA chanteuse de r’n’b qui dure en France. Je suis incapable de me souvenir de l’espace spatio-temporel entre son tube Femme de couleur et son nouvel album, et je me retrouve donc fatalement à fredonner les deux refrains à la suite sans transition. Sa capacité à collectionner les titres entêtants suscite chez moi une certaine admiration, même si les paroles tournent en rond autour de thèmes récurrents.
- Nombre de fois où le refrain est répété : 4. À noter qu’une fois de plus, le refrain est construit sur la répétition multiple d’un mot, « viens », ce qui rend le tout très injonctif.
- Tendance à répéter les choses en général : Légère mais bien là, avec un insistant « j’ai pas envie de pleurer » (mais qui a suggéré que c’était le cas ?)
- Thème principal : La lassitude de Paris. Le discours est assez clair : Shy’m veut s’échapper à tout prix du quotidien, sans même avoir choisi une destination. Mais avec qui ? Mystère.
- Figures de style : Une anastrophe « Triste est la Seine », des palilogies sur le « viens », la personnification de Paris.
- Vocabulaire dans une autre langue : Non.
- Style musical : Pop entêtante.
- Intérêt du clip : Là encore, l’illustration des paroles n’est pas très subtile, mais elle est cohérente. La vidéo démarre dans une atmosphère très Rihanna, avec Shy’m dans sa loge qui se fait pomponner. Elle a l’air lasse, et s’imagine donc voyager. Elle débarque à l’aéroport de la Nouvelle-Orléans et passe donc ses vacances dans un motel au soleil, avec la chanteuse américaine Aria Crescendo. Et comme Matt Pokora, Shy’m s’offre un petit tour sur les toits !
Somebody de Natalie La Rose et Jeremih
Aimer Somebody, c’est un peu se voiler la face sur le talent d’imagination de ses interprètes, puisqu’il s’agit d‘un sample d’I Wanna Dance With Somebody de Whitney Houston. Le remix de la chanteuse néerlandaise, ex-choriste de Flo Rida, et du chanteur américain Jeremih est très plan-plan, répétitif à un point incroyable et calibré comme il faut pour se balancer sur les pistes de danse.
Mais va savoir pourquoi, ça fonctionne, j’ai envie de secouer les bras en l’air et de chalouper des hanches de gauche à droite.
- Nombre de fois où le refrain est répété : 3. Et un pré-refrain est également répété trois fois. C’est logique.
- Tendance à répéter les choses en général : Oui. Le fond musical est par essence très répétitif, et les fins de phrase sont aussi répétées.
- Thème principal : L’amour et la fuite. Je comprends surtout que les deux protagonistes veulent se retrouver au night-club.
- Figures de style : Des épanaphores « I wanna rock with somebody / I wanna take shot with somebody », des onomatopées « hoah yeah » « shot, shot, shot, shot », « comm’on, comm’on ».
- Vocabulaire dans une autre langue : Non.
- Style musical : R’n’b à grosses basses.
- Intérêt du clip : On est ici dans le cas d’un clip de featuring un peu bateau, pas particulièrement sexiste mais pas très novateur non plus. Tout se passe dans un lieu impersonnel, tantôt un parvis de maison, tantôt un mur avec des néons, le tout dans des couleurs pastels. Un plan sur Jeremih qui rappe, un plan sur Natalie La Rose et ses danseuses, puis on prend les mêmes et on recommence. Histoire de pimper tout ça, la chanteuse et ses camarades ont été lookées façon années 1990, et livrent une chorégraphie que ne renieraient pas les meilleurs des girls-bands !
Allez, à toi d’avouer. Quels tubes pas très « quali » du moment te font twerker sous la douche ?
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires