Comme tout le monde je crois, il me suffit d’une chanson que j’aime dans les écouteurs et d’une dose de bonne humeur un peu expansive pour avoir terriblement envie de danser dans la rue. La plupart du temps, je m’arrange pour auto-réguler cette insoutenable tentation : je calque mon rythme de marche sur le bpm du morceau, je balance mes bras au gré des basses, et j’attends que le refrain reprenne pour traverser le passage piéton avec euphorie. Si bien que pour mes voisins de chaussée, je ne suis qu’une passante comme les autres et ma dégaine est peut-être un brin cadencée, mais finalement, ils ne voient rien de ce que je suis vraiment en train de faire : DANSER FRÉNÉTIQUEMENT. DANS MA TÊTE.
Faire semblant de vivre dans un clip a été un de mes hobbies préférés de 14 à 20 ans. Je le faisais plusieurs fois par jour : le matin (sur une chanson punchy qui me donnait l’impression d’être une jeune épicurienne à la recherche du sens de la vie – alors que je n’étais qu’une ado mal coiffée, l’air débile avec ses 99 porte-clés accrochés à son Eastpak peinturluré par les copains) et le soir (sur un morceau plus calme, genre « Wooohoooohoo ma vie est trop dure, ma vie est trop intense, je suis une héroïne de série torturée, mais heureusement j’ai des amis sur qui compter, haaaan« ).
Bref, les clips sont une certaine forme de sublimation de la vie dans tout ce qu’elle a de plus universel (l’amour, la haine, les ruptures, la famille, les amis, les soirées, la nature, l’espace urbain…). Mais certaines choses n’ont vraisemblablement cours que dans les vidéos musicales. Voyons lesquelles.
Le feu, le vent et la pluie sont des gages d’intensité que personne ne craint
Dans les clips, une explosion ou une bourrasque est toujours l’occasion d’un travelling, lent et langoureux, intense et dramatique.
Born to die – Lana Del Rey
En vérité, qui dans la vraie vie ne se barrerait pas en courant pour se cacher sous l’abri le plus proche ? Les Backstreet Boys, eux, aiment chanter sous une tempête de sable. Ils n’ont pas du tout mal aux yeux, et pas du tout l’impression de se prendre des gifles de vent. Ils sont très forts, les Backstreet Boys. Des années et des années d’entraînement sur la dune du Pilat, c’est certain.
Incomplete – Backstreet Boys
À part ça, ma maman m’a toujours dit de ne pas danser dehors quand il pleut, sauf si j’ai un parapluie (comme Mary Poppins, la plus punk des figures patriarcales, donc). Et la dernière fois que j’ai voulu faire une chorégraphie sous une averse, j’avais bu 3 pintes, mes copains m’attendaient sous un abribus en rigolant, et le lendemain j’avais un rhume. C’EST NUL, LA VRAIE VIE.
It's raining men – Geri Halliwell
On peut chanter à tue-tête dans la rue sans se faire toiser
Ce qu’il y a de pratique aussi, dans les clips, c’est que la pression sociale est un détail : tu peux te déhancher dans la rue, personne n’ira pointer un doigt goguenard en ta direction. Ainsi, si l’envie te prend d’avoir les cheveux rouges, un mini-short, des bas couleur chair et de descendre une avenue en chantant, tu pourras le faire comme si tu étais the only girl in the world
. Dans la vraie vie, va hurler « Oh nananaaa, c’est quoi mon prénoomm, oh nanaaaa c’est quoi mon prénooom ? » dans la rue un coup, et tu auras une brève définition de l’expression « sentir le lourd poids du regards des gens sur soi ». N’hésite pas, c’est une expérience très enrichissante.
What's My Name – Rihanna
La dernière fois que j’ai voulu sortir acheter une baguette avec mon pyjama et des charentaises aux pieds (mots-clés : gueule de bois, dimanche, envie de tartine au Nutella), trois quadragénaires assises sur un banc m’ont foudroyé du regard. J’ai levé les sourcils, l’air le plus fièrement jemenfoutiste possible, puis j’ai marché dans une crotte de chien diarrhéique. Depuis, j’use souvent de cet exemple pour justifier mon athéisme : c’est clair, Dieu, si tu existais, pourquoi m’infligerais-tu ces petites hontes de la vie quotidienne alors que je ne jette jamais mes chewing-gums par terre et donne très régulièrement 2 euros au SDF en bas de chez moi ? REP A SA.
L’âme soeur ? On la trouve en la bousculant dans la rue
Objectivement, si je devais faire des statistiques, je dirais que 70% des couples recensés autour de moi se sont rencontrés sur les bancs du lycée ou de la fac, et les 30% restants bourrés dans une boîte de nuit, mus par une très forte envie d’échanger ses fluides corporels avec son prochain. Malgré ce constat, l’opinion publique a décidé que la rencontre la plus romantique du monde, c’est celle de deux inconnus qui se bousculent dans la rue. AH OUAIS.
Nobody But You – Nadeah
Si tu es célibataire et que tu cherches à tout prix à te mettre quelqu’un sous la dent, je te recommande donc de te mettre sur ton 31 et d’aller à Châtelet entre 17h et 19h un vendredi où il pleut (heures de pointe pour les salariés + badauds qui cherchent un abris au sec). Ensuite, tu veilleras à marcher très lentement, les yeux rivés au plafond du métro. Je te garantis que tu vas en bousculer, des gens. Oh, pas sûr que tu ne te fasses pas aussi insulter au passage, en revanche. Mais ça, je te laisse le régler toute seule, tu es débrouillarde, lectrice de madmoiZelle.
On peut porter une robe bouffante achetée en friperie et chanter dans la forêt sans avoir l’air d’une sorcière à abattre ou d’une patiente tout juste échappée d’un hôpital psychiatrique
La dernière fois que j’ai porté une robe bouffante et chanté dans les bois à tue-tête en faisant des pas chassés, j’avais 7 ans et c’était au mariage de mon oncle, près de la forêt de Phalempin, dans le Nord de la France. Je chantais « pomme de reinette et pomme d’api » dans une mini-robe de demoiselle d’honneur et toute la famille se relayait pour faire ce truc insupportable mais admis dans la société qu’est pincer la joue d’un enfant en prononçant cette absurde combinaison de syllabes, le célèbre « gouzi gouzi ». Pour couronner le tout, on m’avait même surnommée « meringue » le temps des festivités – ma robe était blanc crème et mon parfum, une eau de toilette de supermarché intitulée « sucre d’orge ».
Tri Martolod – Nolwenn Leroy
Soyons honnête : si je devais reproduire la scène aujourd’hui, je crois que les familles se baladant dans le coin, les chasseurs et les ramasseurs de champignons auraient très très très peur de moi. Mais quand Nolwenn Leroy le fait, elle, tout va bien. En chantant en breton, en plus. C’est terrorisant.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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