Il y a des choses qu’on ne sait pas faire, et c’est normal. Je ne sais pas diviser un atome d’uranium et je le vis plutôt bien au quotidien. Mais il y en a d’autres qui font de moi une paria aux yeux du reste du monde, des tares qu’avec le temps j’ai appris à masquer mais jamais à assumer.
Aujourd’hui, il est temps de me mettre à nu.
Je ne sais pas faire la roue
Je ne sais pas faire la roue tout simplement parce que pendant longtemps je n’y ai jamais pensé. Franchement qui se dirait naturellement : tiens, je vais me pencher, passer mes pieds par-dessus ma tête, retomber de l’autre côté et ça va être super fun ?
La roue en soi n’est pas cool, mais les gens qui savent faire la roue, avec ce petit air prétentieux-m’as-tu-vu, arrivent à la rendre hype. Et je ne dis pas du tout ça parce que je suis une énorme jalouse, merci de ne pas remettre en cause ma déontologie journalistique !
Jean-Eude avait toujours été un paon plutôt prétentieux
- Degré d’exclusion sociale encouru : moyen
La hiérarchie sociale du cours de sport obéit à ses propres lois. Il y a ceux qui savent faire, les rigolos qui font rire tout le monde en faisant mal, et ceux qui font mal ET pitié. J’étais beaucoup plus familière de cette troisième catégorie que des deux premières. Autant vous dire que les idées de stratagèmes pour éviter d’aller faire du sport, je les ai écumées.
La roue fut mon calvaire de l’acrogym, discipline dans laquelle l’originalité des déplacements compte au barème. Se départagent alors deux équipes : celle-des-nanas-qui-font-de-la-gym et la tienne, celle-des-nanas-qui-font-des-roulades.
Les nanas qui font de la gym sont alors au zénith de leur condition physique et de leurs charmes puisqu’elles n’ont même pas encore 20 ans et ignorent les maux de dos, la cellulite et la flemme qui accompagnent cette barre fatale. Aussi, véritables nymphettes des gymnases, elles s’épanouissent en petits sauts de cabris, portés, virevoltes et bien sûr, la base, la roue, avec une facilité déconcertante.
Et donc je me baladais dans la rue et je me suis dis à moi même : tiens, Marie-Anne, et si tu prenais une pose aussi élégante que spontanée ?
Parfois, généreuse, elles se tournent vers toi et te gratifient d’un « Allez, essaie, je suis sûre que tu peux le faire ! » que tu prends comme une insulte à tort ou à raison.
Car toi, dans ton coin, tu fais des roulades. Rou-la-deuh, même le mot est sans grâce. Et quelle roulade ! De biais, lente, laborieuse, avec un petit « gniii » caractéristique des efforts laids. Tu es à la gymnastique, la beauté et l’élégance ce que la coupe mulet est à la coiffure : une souillure.
Cependant il faut bien reconnaître qu’à part ça les occasions de faire la roue se raréfient avec l’âge et que les divinités des gymnases de ta jeunesse feront beaucoup moins les malignes quand elles tenteront de reproduire l’exercice à 40 ans après deux accouchements et une ostéoporose précoce. Et encore une fois je ne dis pas du tout ça parce que je suis une personne mauvaise et revancharde.
Je ne sais pas (bien) nager
Alors que j’étais encore une petite fille de cinq ans je me suis retrouvée au bord d’une piscine olympique, pour la première fois, sans mes gros brassards : il me fallait apprendre à nager.
Je regardais au loin ma mère au pied du petit bassin que je regrettais amèrement. J’avais l’impression de perdre une partie de mon innocence en plongeant vers cet inconnu aqueux.
En réalité je n’ai pas eu le temps d’hésiter longtemps : sans me demander mon avis, le maître nageur me poussa d’une forte tape dans le dos et je coulais vers les abysses quand je sentis la perche salutaire au-dessus de ma tête. Sur le moment je crus qu’elle était destinée à me forcer à rester dans les profondeurs, et encore aujourd’hui, je panique quand je sens une main sur ma tête alors que je suis dans l’eau.
Après je peux faire des efforts hein…
Il m’aura fallu de longues années pour, à l’orée de ma majorité, arriver à une brasse à peu près correcte, mon crawl étant toujours à faire hurler de rire un croque-mort. Forcément, vu que je m’arrange pour garder la tête hors de l’eau…
- Degré d’exclusion social encouru : moyen à fort
Le degré d’exclusion sociale, lorsqu’on ne sait pas nager, atteint un pic au moment du collège et son apothéose au lycée. Au collège, tu trimballes déjà tes mini-pyramides sous cet emballage moulant de plastique moche qu’est ton maillot de bain, la ficelle de ton premier Tampax dépasse sur les côtés et tu as du poil aux pattes. Mais en plus tu es dans ce groupe maudit : celui des nuls.
Les gens populaires et cool apprennent le papillon alors que toi tu tentes désespérément de ne plus ressembler à un chiot en phase terminale d’une maladie nerveuse dégénérative en train d’éviter la noyade. Rassure-toi, au lycée ce sera pire.
La piscine idéale selon mon coeur : la piscine Molitor avant les travaux
Car au lycée
arrive la notation de l’épreuve du bac : la natation. Faire partie des losers de la natation ne te fais plus rien : tu es résignée. Mais maintenant tu fais également partie des losers de l’éducation nationale avec ton 9,5 humiliant qui vient détruire au cutter la moyenne de bonne élève que tu t’étais patiemment bâtie.
Le prof n’aura pour toi aucune pitié, tu fais honte à ses statistiques, et à l’épreuve de sauvetage c’est toi qu’on a dû aller sauver vu que tu t’es noyée avec l’unijambiste de plastique qui sert de cobaye.
Une fois adulte cependant, c’est la libération : tu prétextes les mycoses pour éviter le calvaire du grand bassin et lors des sorties en mer, tu bouquines sur la plage en faisant semblant d’être une intellectuelle qui entretient son bronzage alors que tu sues tel un goret et que tu meurs d’envie d’un peu de fraîcheur.
Je ne sais pas faire de vélo
Petite, je gambadais dans la rue quand soudain un vélo fonça sur moi, m’explosant le nez au passage. Quand on sait l’amour que je porte à mon grand tarin, on comprend l’ampleur du traumatisme. Néanmoins, comme tout enfant, je devais apprendre à faire du vélo : je devais maîtriser la bête, affronter mes peurs et rouler vers l’inconnu.
Dans la maison de mes grands-parents, il y avait une allée. Droite, lisse et d’environ 10 mètres de long. Après de nombreux efforts, j’ai fini par savoir la parcourir dans un sens. Puis je descendais du vélo, le retournais, et reprenais l’allée dans l’autre sens. Jusque là rien de honteux : j’avais officiellement appris à faire du vélo.
Sauf que j’en suis restée au même niveau depuis. Le moindre sol granuleux, le moindre virage, la moindre dénivellation et je perds immédiatement tout mes repères. Je ne parle même pas de faire du vélo en ville, au milieu des voitures où je serais un véritable danger public.
Moi sur un vélo, vue réaliste
Aujourd’hui encore, le fait de démarrer, m’arrêter puis redémarrer me demande une intense réflexion : je tangue, je pose mes pieds au sol avec fermeté avant d’hésiter à chevaucher à nouveau la créature, puis je m’élance péniblement, le guidon encore de travers. Pour ce qui est du passage de vitesses, je n’ai toujours pas vraiment compris le principe alors je teste un peu au hasard.
- Degré d’exclusion sociale encouru : hard core
Le vélo ne quittera jamais ta vie. Jamais. Et la honte non plus. Jeune lors des balades en famille, adolescente pour tes virées entre potes, adulte au moment où toi-même tu devras transmettre le flambeau de ton incompétence, c’est sans fin.
Le Vélib’ si populaire à Paris est comme un rappel de tes échecs et te condamnes au métro, même à 4 heures du matin quand les rues sont vides et que tu aimerais bien ne pas marcher trois heures à travers Châtelet.
Nulle en vélo à l’insu de mon plein gré
Mais la maladie est contagieuse. Puisque tu ne sais pas faire de vélo, tu ne sais pas non plus faire de scooter et tes rêves de virée en moto sont compromis. Lors de l’entretien avant de t’inscrire au permis, on te demande le fameux « Mais vous avez déjà conduit un peu ? Un véhicule quelconque, même un vélo ? » : ta grimace en dit long et avec un soupir mais une lueur vénale dans les yeux la monitrice coche la case « heures supplémentaires » de ton forfait 20 heures.
Il y a ces choses que je ne saurais jamais faire et qu’on n’apprend vraiment que lorsqu’on est enfant. Je ne sais pas non plus siffler ou faire des bulles de chewing-gum. Peu à peu, je me suis résignée : on ne refait pas le passé et je ne serais jamais la plus populaire du cours de gym.
Mais je peux toucher ma tête avec mes pieds lorsque je me tords en arrière et ça fait toujours son petit effet. À bien y réfléchir, je peux aussi faire un salto avant pour plonger, toucher mon nez avec ma langue, lacer mes chaussures et compter deux par deux.
Au fond, faire la roue, du vélo et nager : c’est pas un peu mainstream ? Ou alors je suis de mauvaise foi. Ah oui tiens, ça je le fais très bien : être de mauvaise foi !
Mais on a tous notre petit talent rien qu’à nous, vous pouvez les découvrir en direct sur le forum dans cette discussion sur vos talents cachés et insolites qui changent de la roue !
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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