Aujourd’hui, je vous parle d’un roman qui m’a complètement secouée. Il s’agit de Trop tôt, de Jo Witek, aux éditions Talents Hauts.
L’ivresse, l’insouciance… l’accident
Pia a quinze ans, et avec son âge vient naturellement l’envie de plaire, de se sentir femme, de se laisser vivre et de ne plus être confinée dans son rôle de petite fille modèle. Alors quand sa cousine Marthe, avec qui elle passe ses vacances, lui suggère de faire le mur et de se rendre dans la boîte de nuit du camping, elle n’hésite pas longtemps. Le parfum de l’interdit est enivrant, les deux jeunes filles se laissent étourdir par le moment, par les lumières vacillantes et les corps qui s’abandonnent en rythme…
Et puis il y a ce garçon qui sourit à Pia, qui l’entraîne sur la piste, qui la fait se sentir belle et désirable. Ils quittent la boîte pour une intimité insouciante et sensuelle. Il y a dans ses baisers une ivresse qui lui fait perdre pied, qui lui fait oublier ses certitudes de jeune fille, celles qui lui chuchotaient d’attendre « le bon » pour sa première fois. Pia découvre le désir, ce tsunami intérieur, ce déchaînement émotionnel. Pia avait envie de cette nuit d’amour. Éprise, elle ne savait pas, à ce moment-là, que le garçon la rejetterait avec dédain le lendemain. Surtout, elle ne savait pas que l’urgence du moment lui coûterait son insouciance… et qu’elle tomberait enceinte.
Un roman juste et humain
J’aurais aimé vous faire une chronique composée uniquement de citations tellement certaines phrases sont d’une beauté et d’une clairvoyance imparables. Les confidences de Pia sont troublantes de lucidité. La narratrice revient au fil des pages sur cet abandon d’elle-même lors de sa nuit d’amour et du déchaînement d’émotions qu’elle n’a pas su contrôler. Elle se remémore ce désir foudroyant qu’elle a ressenti et qui lui a fait perdre ses moyens… et ses principes de précaution.
À aucun moment il n’y a de regret d’être passée à l’acte, d’avoir franchi le pas et perdu sa virginité avec cet inconnu dont elle ne savait rien mais qu’elle a profondément désiré. Pia garde de cette expérience un souvenir intense, et elle y puise la force et le courage de surmonter les épreuves qui l’attendent.
Cataloguer Trop tôt de simple « roman sur l’avortement » serait réducteur tant il est profondément humain. Il relève le pari de ne pas être moralisateur, de ne pas chercher à faire culpabiliser, de ne pas accabler ni juger Pia qui, comme toutes les jeunes filles qui se retrouvent dans la réalité de cette situation, ont besoin de soutien plutôt que de reproches, ont besoin d’aide pour construire l’avenir et non de jugements qui enferment dans le passé. Il ne prend pas pour autant la situation à la légère en faisant, d’une part, de Pia un personnage frivole et irresponsable, et d’autre part de l’avortement une décision de facilité.
Le roman dépeint avec simplicité et honnêteté ce récit de la vie d’une adolescente, avec ses émois, ses expériences, ses souffrances, notamment vis-à-vis des changements dans les rapports avec sa famille, et enfin avec ses prises de responsabilités. En plus de saisir avec finesse la naissance et la violence du désir, il installe une forte proximité entre le lecteur et Pia dans ses moments de troubles, de désespoir, d’apitoiement, de peur, puis de détermination à assumer ses actes et à prendre les mesures nécessaires pour ce qu’elle considère comme ce qu’il y a de mieux à faire pour elle-même.
L’adolescence et le slut-shaming
Trop tôt aborde des questions cruciales autour du jugement des comportements des femmes, prises pour cible avec violence quand leur corps peuvent porter la trace d’une nuit insouciante, une nuit à deux, qu’on leur demande parfois d’assumer seules. Pia regrette de ne pas s’être protégée, mais elle dénonce aussi la honte, cette honte stupide d’avoir un préservatif dans son sac au risque de se faire traiter de « salope » s’il était découvert.
Cette honte d’avoir recours à une IVG à quinze ans et de passer pour une traînée sous prétexte qu’elle a couché — alors qu’elle en avait envie, alors que l’erreur n’est pas là. Cette honte aussi de parler de sexualité avec les adultes, au risque que les discours soient punitifs au lieu d’être accompagnateurs, dénués de toute psychologie, de compréhension émotionnelle, au profit de paroles crues sur les actes mêmes et les risques encourus.
« Capote-pilule-MST. Tu parles d’un triptyque ! C’est comme ça qu’on nous parle de la première fois. Rien sur les frissons, les émotions, rien sur la force des désirs. »
Trop tôt fait partie de ces romans qui sont d’une nécessité absolue et dont on se réjouit de les voir exister. Parce que n’importe qui peut être concerné de près ou de loin par cette situation, le livre, en plus d’être très beau et de sacrément chambouler, sensibilise sur un thème délicat. Il revendique en filigrane le droit des femmes à disposer de leurs corps comme elles l’entendent, sans jugement et avec tout le soutien qu’elles méritent.
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Les Commentaires
Je ne pense pas le trouver ici, mais je l'ajoute à la liste des livres à me procurer à mon retour.
Je crois que j'aime bien Jo Witek, je trouve que sa manière d'écrire est accessible mais en même temps poignante.