Internet est un endroit où il se passe des choses plus ou moins chouettes. Parmi elles, les trolls arrivent en bonne place… On en cause ?
Comment reconnaître un troll ?
Dans les conversations courantes, nous utilisons parfois le terme de « troll » pour désigner des comportements qui ne sont pas malveillants (des blagues entre amis…) : ce n’est pas de ce type d’interactions dont nous parlons ici.
Pour les chercheurs et chercheuses en sciences sociales, le « trolling » se définit comme un comportement en ligne « antisocial » qui provoque des conséquences psychologiques négatives chez les cibles : poster des commentaires incendiaires, malveillants, mal intentionnés, avec la volonté de bouleverser et/ou de provoquer celui ou celle qui les lit.
Plusieurs recherches ont été menées sur le sujet et suggèrent que les trolls ont quelques caractéristiques communes :
- Plutôt de genre masculin,
- Avec un score plus haut que les autres à des échelles de mesure de la psychopathie (sans forcément atteindre le niveau d’un trouble de la personnalité) et du sadisme,
- À l’inverse, des scores plus bas à des échelles de mesure de l’empathie, de la culpabilité et du sentiment de responsabilité lié à leurs actions.
Les trolls étudiés à la loupe
La chercheuse Erin Buckels a décidé d’observer les trolls à la loupe.
Via un questionnaire en ligne, l’universitaire a souhaité étudier la présence (ou non) de la « triade noire de la personnalité » chez les trolls — pour les scientifiques, cela regroupe trois traits de personnalité : le narcissisme, le machiavélisme et la psychopathie (pour en savoir plus, rdv ici et là).
Dans les réponses obtenues par Erin Buckels et son équipe, 59% des personnes indiquent commenter activement et régulièrement des sites web. Et un dixième d’entre elles déclarent que leur activité favorite est le trollage…
En analysant les résultats de chaque participan·te aux tests de personnalité de la « triade noire », Buckels s’aperçoit que les trolls auraient effectivement plus tendance que les autres à obtenir de plus gros scores aux traits narcissisme, machiavélisme et psychopathie.
BON.
Pour dépasser ce premier constat, le groupe de scientifiques décide de construire un questionnaire pour mesurer à quel point les trolls apprécient troller — et je vous le donne en mille : les trolls aiment ça.
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Les trolls et leurs traits de personnalité
La chercheuse Evita March a également réalisé une étude pour explorer le phénomène du « trolling » et comprendre les profils de personnalité des trolls.
Cette fois, l’expérience sollicite 415 participant·es, d’un âge moyen de 23,37 ans, via un questionnaire en ligne.
Comme dans l’expérience précédente, les volontaires sont interrogés sur deux axes : leurs comportements en ligne (par exemple, si quelqu’un adhère à l’affirmation « même si certains pensent que mes commentaires sont offensants, je pense qu’ils sont drôles », il pourra être considéré comme un troll potentiel) et leurs traits de personnalité.
Evita March et son équipe étudient également deux formes d’empathie chez les participant·es :
- L’empathie cognitive (qui désigne la capacité à reconnaître les émotions d’autres personnes, à « prédire » comment pourrait se sentir un·e autre),
- Et l’empathie affective (qui se définit comme la capacité à ressentir et internaliser les émotions des autres, à partager une expérience émotionnelle).
Une nouvelle fois, les résultats suggèrent :
- que les personnes de genre masculin auraient plus tendance que les autres à s’adonner au trolling,
- qu’elles auraient des scores plus hauts aux échelles de mesure de la psychopathie et du sadisme (ici encore, sans atteindre le niveau d’un trouble de la personnalité),
- qu’elles auraient un score plutôt haut d’empathie cognitive (les trolls sauraient donc utiliser des stratégies d’empathie cognitive pour prédire et anticiper les souffrances de leurs cibles),
- et des scores d’empathie affective plutôt bas (ces personnes ne partageraient pas la peine de leurs victimes).
Autrement dit, les trolls sauraient que leurs comportements en ligne peuvent blesser… mais ça ne les arrête pas.
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Mais pourquoi les trolls trollent ?
Les recherches d’Erin Buckels et Evita March apportent quelques éléments de compréhension sur la démarche des trolls. Leurs personnalités ainsi que leur faible empathie affective peuvent expliquer pourquoi ces internautes trollent.
Par ailleurs, pour d’autres spécialistes, les trolls seraient motivés par des « récompenses sociales atypiques ».
Je m’explique : les récompenses sociales peuvent être une motivation pour chacun·e d’entre nous. Par exemple, en écrivant des articles en ligne, je peux m’attacher à créer un environnement social positif — en lisant des retours positifs sur mes écrits, j’obtiens une « récompense sociale ».
La différence avec le troll réside dans l’aspect négatif de la récompense : perturber un évènement, obtenir des réactions émotionnelles de leurs cibles… Tout ceci pourra être une récompense sociale pour le troll.
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Le trolling est-il dangereux ?
La réponse peut sembler évidente : le trolling peut avoir des effets psychologiques (et physiques) très négatifs chez les cibles (estime de soi, troubles du sommeil, dépression…).
Trolling… ou harcèlement en ligne ?
La frontière peut être mince entre le « trolling » et le harcèlement en ligne.
Parfois, comme ça, « pour la blague », pour l’ironie, vous pouvez lancer un tweet à propos d’une tierce personne — un truc que vous pensez sans trop de conséquences, destiné à votre seule audience.
Le problème c’est que, parfois, la tierce personne devra faire face à une masse de tweets « pour la blague » — soudain, les conséquences psychologiques peuvent apparaître, le mal être aussi.
Est-ce que ce trait d’esprit vaut vraiment la peine d’être énoncé, si c’est au détriment de quelqu’un ?
Que faire pour éviter les trolls (et pour qu’ils ne deviennent plus des trolls) ?
La question amène deux types de réponses : une réponse à court terme (comment faire cesser le troll ?) et une réponse à long terme (que faire pour que personne n’ait envie de se comporter en troll ?).
À court terme, le comportement le plus plébiscité est sans doute celui-ci : ne nourrissez pas le troll ! Puisqu’il recherche une réaction, le truc enquiquinant pour lui… c’est de passer inaperçu. Don’t feed the troll, donc – et prenez soin de vous.
Sur Rue89, un article narre quelques stratégies adoptées par Linus Neumann : développer des programmes permettant de rendre les commentaires de trolls invisibles aux yeux des lecteurs (tout est les gardant visibles pour les trolls eux-mêmes, qui se sentiront donc bien seuls), ou condamner les trolls à remplir des captchas éternellement…
À long terme, les chercheur•ses conseillent de débuter au commencement : favoriser l’éducation à l’empathie. La recommandation peut paraître insignifiante, mais et si tout commençait par là ?
- L’article publié par Natalie Sest et Evita March
- Un article d’Evita March pour The Conversation
- Un article du Guardian
- Une expérience sur les trolls de Tinder
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Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
On ne peut pas se réfugier éternellement derrière l'humour, même de bonne foi, ça ne nous empêchera jamais d'aller jusqu'à la violence psychologique bien réelle et bien destructrice.