Le 24 février 2022, les troupes russes envahissaient l’Ukraine et marquaient le début d’une guerre violente poussant des milliers de citoyens à l’exil. Un an plus tard, ce sont près de 110.000 Ukrainiens qui se sont réfugiés en France, dont près de 80% de femmes, selon les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur, publié le 23 février 2023.
Madmoizelle est allé à la rencontre de trois d’entre elles. Malgré des parcours de vie très différents, toutes ont fui les bombes russes, quittant du jour au lendemain leur vie d’avant. Certaines ont emmené leurs enfants (sans leurs maris, car les hommes de 18 à 60 ans étaient mobilisés), d’autres sont venues seules ou avec leurs parents vieillissants. Toutes racontent ce sentiment d’instabilité, cette incertitude douloureuse, ce manque des autres, cette adaptabilité soudaine, cette résistance forte et leur espoir de voir des jours meilleurs bientôt revenir.
« Aujourd’hui, mon quotidien est organisé autour du travail, de l’apprentissage du français et du repos. »
Je m’appelle Victoria, j’ai 41 ans et je suis arrivée en France en mars 2022. À l’origine, je suis créatrice de mode, mais je travaille depuis deux mois dans un restaurant. En parallèle, je continue de développer ma marque de vêtement en Ukraine et m’occupe à distance de mon équipe qui vit toujours là-bas.
J’ai quitté l’Ukraine lorsque c’est devenu trop dangereux pour mon fils et moi d’y rester. Grâce à un ami commun, nous sommes entrés en contact avec Frédéric, un bénévole français, qui nous a permis de trouver une famille française pour nous héberger à Paris.
Il n’y avait aucun avion qui volait depuis l’Ukraine au début de la guerre. Nous avons pris le train vers l’ouest de l’Ukraine, puis à travers la Roumanie, l’Autriche, l’Allemagne, et enfin, la France. À Paris, Frédéric est venu nous chercher à la gare et nous a emmené directement chez Chantal et Jean-Jacques, qui nous ont accueilli chez eux avec leurs enfants. C’est là que nous vivons aujourd’hui encore.
Mon père, lui, habite toujours en Ukraine. Je lui ai proposé de partir avec nous, mais il a préféré rester. Je m’inquiète énormément pour lui. Chaque jour, je me renseigne sur la situation là-bas, via l’application Telegram (mi-messagerie mi-plateforme d’information, ndlr.), mais aussi en regardant des vidéos Youtube, en appelant ma famille… J’essaie de filtrer les infos que je reçois, pour bien distinguer le vrai du faux et garder une vision réaliste de ce qu’il se passe en Ukraine.
J’ignore encore si je rentrerai vivre là-bas, j’attends de voir comment la situation évolue. Mon quotidien n’a plus rien à voir : je me souviens d’il y a tout juste un an, le 24 février 2022, lorsque la guerre a éclaté. Nous avons pris nos chats et sommes partis nous réfugier à la campagne. Nous voulions prendre le temps de digérer ce qu’il venait de se passer, et de réfléchir à notre plan d’action. Un an plus tard, me voilà dans un nouveau pays, avec une autre culture et autre mentalité : par exemple, il y a beaucoup de paperasses en France, ne serait-ce que pour ouvrir un compte bancaire. En Ukraine, tout est digitalisé. Et je vois aussi des différences dans la manière de penser : il y a un autre rapport à l’argent, aux relations hommes-femmes… J’ai changé mes habitudes : aujourd’hui, mon quotidien est organisé autour du travail, de l’apprentissage du français et du repos.
Victoria, 41 ans, créatrice de mode
« L’expérience m’a montré que l’adaptabilité était l’une des qualités les plus importantes dans ce monde instable. »
Je m’appelle Bohdana, j’ai 27 ans et je vis à Avallon, en Bourgogne. Je suis arrivée en France le 13 mars, alors que cela faisait déjà trois semaines que la Russie envahissait l’Ukraine.
J’apprends le français et fais du volontariat pour une associatio, Angelic Choir Refugee Charity Inc, qui accompagne les enfants réfugiés sur les questions de santé mentale grâce à la zoothérapie. Nous voulons ouvrir des centres au Canada et en Europe pour les enfants réfugiés, de toute nationalités. L’idée seraient qu’il viennent trouver une aide psychologique pour être mieux préparés et s’adapter plus facilement à la vie dans un nouveau pays où ils auraient obtenu l’asile, malgré les traumatismes passés.
Un an plus tôt, je travaillais comme cheffe de projet pour plusieurs clients ukrainiens sur des sujets d’éducation en ligne, de design web et de marketing. Le 21 février 2022, j’ai quitté Lviv pour retourner vivre dans ma ville natale de Tulchyn, où j’avais grandi. Trois jours plus tard, la guerre a éclaté.
Le 24 février, Tulchyn a été frappée par une bombe russe. Dans les premiers jours, il nous était impossible de deviner quelle tournure allaient prendre les évènements. Le travail s’est arrêté soudainement et nous ne savions plus à quoi ressemblerait notre futur. On était incapables de se projeter au lendemain. On avait même pas de cave chez nous pour nous protéger en cas de raid aérien. On n’entendait pas non plus les sirènes résonner dans la ville, et notre seule manière d’avoir des informations était via l’application mobile Alarm. On a commencé à se demander ce que nous ferions si le pire arrivait. Sans gaz, sans eau, ni électricité, sans accès aux soins, sans nourriture dans nos magasins, avec des villes en ruine partout autour de nous, comme c’était le cas à Marioupol… comment survivrions-nous ?
Nous savions qu’il y avait quelques puits où nous pourrions trouver de l’eau, mais y aurait-il de la queue pour y accéder ? Une bombonne de gaz nous durerait six mois, et après ? Nous avons un jardin, on peut planter quelques légumes à manger. Peut-être mon père devrait-il charger son fusil au cas où des pilleurs ou des russes viendraient voler notre nourriture ? Mais un fusil de chasse ne nous permettrait pas d’aller bien loin… À ce moment-là, nous ne pouvions même pas imaginer les atrocités commises par les soldats russes dans certaines villes, comme à Bucha.
Mes proches et amis étrangers m’ont conseillé de fuire vers l’Union Européenne. Et si j’étais prête à partir à tout moment, ce n’était pas aussi simple pour mes parents. Ce fut très dur de convaincre ma mère de quitter Tulchyn. Nous avons dû la convaincre à grand renfort d’ultimatums et de chantages. Un jour, nous avons tout mis dans la voiture et sommes enfin partis. Le périple a duré 5 jours, mon père a conduit 2500 kilomètres et je m’occupais du GPS. Nous avons aussi emmené deux chats, sauvés de Kharkiv le jour d’avant. Sur la route, nous avons été hébergés gracieusement en Moldavie, Roumanie, Hongrie et Allemagne.
On a choisi la France car ma cousine y vivait depuis longtemps. La mairie d’Avallon avait dit aux Ukrainiens présents sur place qu’elle mettrait des logements sociaux à la disposition de leurs proches qui fuiraient la guerre. Ma cousine Maria nous a accueillie chez elle, et s’est bien occupé de nous. Elle nous a aidé avec les papiers administratifs, et avec nos besoins de tous les jours. Nous avons aussi été aidés par des bénévoles de l’association Kiev-Avallon, des Restos du Coeur, du Secours Populaire, de la Croix Rouge, de Coallia mais aussi par des citoyens généreux.
Si ma mère, mon père (qui a plus de 60 ans et a donc le droit de quitter le pays) et mes deux tantes sont avec moi en France, le reste de ma famille est restée là-bas. Un matin de juillet, mon cousin n’a pas entendu son réveil, et cela lui a sauvé la vie car son arrêt de bus a été rasé par un missile russe.
Certaines personnes pensent qu’il n’y a pas de guerre au centre et à l’ouest de l’Ukraine. S’il n’y a effectivement pas de ligne de front, il y a des tirs de roquettes toutes les semaines, même à Lviv. Les habitants sont aussi privés d’eau, de chauffage et d’éléctricité plusieurs heures par jour car leurs infrastructures ont été endommagées par les bombes.
Pendant les 8 premiers mois, je regardais les infos tous les jours puis je me suis rendue compte des effets que cela avait sur ma santé mentale. Cela me donnait juste envie de pleurer, je perdais toute motivation. Aujourd’hui, je me concentre sur mon travail de bénévole. Par exemple, j’ai organisé des sorties à cheval pour des enfants réfugiés, cela leur a apporté un peu de joie. J’ai aussi tenu un stand à Avallon pour récolter des fonds et soutenir l’Ukraine via l’association Kiev-Avallon.
Je ne sais pas si je retournerai en Ukraine. Si la Russie réussit à occuper la région où se trouve la maison de mes parents, alors je resterai en France, et je continuerai à apprendre le français et à payer mes impôts ici. Et si mon statut de protection temporaire arrive à expiration, je ferai les démarches nécessaires pour pouvoir rester légalement, ici ou dans un autre pays démocratique.
Mais je crois à la victoire de l’Ukraine. Je ne sais pas ce que me réserve l’avenir, mais je suis jeune et j’ai la vie devant moi. La guerre durera surement quelques temps, et je ne veux pas mettre ma vie en pause.
Plus la guerre dure, plus nous nous construisons une vie à l’étranger. On trouve du travail, des amis, l’amour, même parfois. Et pour certains, retourner en Ukraine signifierait tout recommencer à zéro. Je n’ai pas de travail, de maison ou de mari en Ukraine, donc je construis ma vie là où je suis. L’expérience m’a montré que l’adaptabilité était l’une des qualités les plus importantes dans ce monde instable.
Bohdana, 27 ans, en recherche d’emploi
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« Un an plus tôt, je faisais de la danse et du piano. J’allais au cinéma, au théâtre… C’était simple et beau »
Je m’appelle Nina, j’ai 44 ans et je suis arrivée en France avec mes deux jumeaux, Grigoriy et Oleksii. Nous avons d’abord été hébergés par une famille qui vivait à Saint Cloud, puis nous avons déménagé à Garches chez d’autres hôtes. Depuis notre arrivée, mes enfants ont changé trois fois d’école.
Je suis économiste. Avant la guerre, je travaillais pour une entreprise de canalisation spécialisée dans l’approvisionnement en eau. Mais mon niveau de français n’était pas suffisant pour pouvoir obtenir un poste équivalent ici. Donc, je prends des cours dispensés par le Campus français afin d’améliorer ma maîtrise de la langue. Si j’en ai la possibilité, j’aimerais aussi poursuivre mes études en faisant valoir mon diplôme actuel afin d’entreprendre un master d’économie.
Je suis les informations ukrainiennes 24h sur 24, notamment via l’application Telegram. Mes parents, mes frères et soeurs, ainsi que leurs familles respectives, vivent toujours en banlieue de Kyiv. Parfois, ils sont visés par des bombes et des drones. Je m’inquiète beaucoup pour eux. Ils me manquent, j’ai envie de les voir, et j’espère pouvoir leur rendre visite très vite.
Mais, j’ignore si nous retournerons en Ukraine, surtout si je trouve du travail en France. Ce serait compliqué pour mes enfants de déménager à nouveau. Chaque jour, j’essaie de les rassurer, je leur promets une vie meilleure, pour que ce soit plus facile pour eux de se concentrer sur leurs études. Le samedi, je les emmène à l’école ukrainienne pour qu’ils puissent parler ukrainien avec d’autres enfants. On se rend régulièrement dans des lieux où se réunissent les réfugiés ukrainiens, par exemple à l’église, ou au centre culturel ukrainien. Cela nous permet de rester connectés à nos racines.
Un an plus tôt, nous avions une vie très normale. Mes enfants allaient à l’école, ils avaient parfois cours en ligne… On avait plein de passe-temps : je faisais de la danse, du piano, mes garçons faisaient du foot, on allait au cinéma, au musée, au théâtre, au cirque… C’était simple et beau. J’étais aussi allée plusieurs fois à Paris et en France. J’avais déjà commencé à apprendre le français avant la guerre car j’aimais la culture et le mode de vie français. Quand il a fallu partir, il m’a donc semblé plus facile de m’installer dans un pays qui m’était un peu familier. J’avais des amis sur place ; ils m’ont aidée à ne pas me sentir trop seule.
Nina, 44 ans, économiste
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