Lutte contre violences faites aux femmes
En amont de la Journée Internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, ce 25 novembre, nous publions des témoignages de violences sexistes et sexuelles sous toutes leurs formes, car les violences faites aux femmes ne se limitent pas à la violence conjugale.
À chaque fois que j’évoque mon « hospitalisation » de neuf mois, mon interlocuteur m’en demande toujours la raison. C’est là que ça coince.
Il ou elle s’attend à un cancer, un accident de voiture, à la limite une grossesse tellement problématique qu’elle aurait nécessité une hospitalisation du début à la fin. Mais pas à une maladie psychologique.
Suite à un traumatisme, entraînant une lente descente aux enfers, je me retrouve fin 2014 à vouloir dire adios à cette vie que je ne voyais plus qu’en noir et blanc. Un peu comme les chiens, sauf que je ne bats pas de la queue, et contrairement à eux, plus rien ne m’exaltait. Plus rien du tout.
À l’origine du traumatisme, un viol
Lorsque j’étais en seconde, j’ai été violée. Toutes les victimes de viol réagissent différemment. Moi, j’ai choisi le déni, le silence, tout en m’accusant intérieurement.
Je dis « choisi », parce que, consciemment, en accord avec moi-même, j’ai préféré me taire, et adopter un schéma de pensée dangereux, plutôt que d’affronter mon traumatisme directement.
Je souffrais, quotidiennement, mais le déni atténuait la douleur. Un sorte de procrastination de la douleur vive. C’en était presque supportable.
Pendant cinq longues années, je me suis tue, pensant pouvoir gérer ce problème moi même. Je pensais que le temps se chargerait de balayer ces souvenirs douloureux, que les cauchemars s’estomperaient, qu’un jour j’oublierais, et me pardonnerais.
Le déni, pour éviter d’accepter que ça pouvait se reproduire, sans raisons
Ce déni du traumatisme s’est incarné dans une manière bien particulière de le gérer : la culture du viol.
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Je m’explique : tout, autour de moi, me poussait à croire qu’une telle situation ne pouvait qu’être de ma faute.
« Fais attention, si tu sors dans cette tenue et qu’il t’arrive des bricoles, faudra pas venir te plaindre », m’expliquaient mes parents. « Arrête de crier, ça se voit que t’en voulais », m’a lancé mon violeur.
Alors j’ai embrassé tout ce qui me permettait de dire « si c’est moi qui suis responsable, alors il suffit que je change pour que ça ne m’arrive plus jamais ».
Je suis de ces personnes qui cherchent une réponse à tout, une logique dans toute chose. J’en ai besoin. L’absence de réponse logique m’angoisse. Petite, les questions « où s’arrête l’univers ? » et « mais du coup, il y a quoi après la fin ? » ont ruiné mes nuits.
Alors, à seize ans, quand ce mec a décidé de me détruire, je ne pouvais pas supporter qu’il n’y ait pas de raison à ce drame. Que ce soit tombé sur moi au hasard, et que je ne puisse pas prévenir une nouvelle agression.
Il me fallait une raison pour ne pas sombrer dans la psychose, une raison pour éviter, à tout prix, que ces horreurs me tombent à nouveau dessus.
Le déni du traumatisme en n’osant plus dire non
La première année suivant ce traumatisme, je me suis rapidement mise en couple. Cette relation aura duré le temps du lycée. Il fallait que quelqu’un m’aide, me protège.
Mais arrivée en prépa, j’ai rapidement déchanté. Pour ne pas être mise à l’écart, pour me fondre dans la masse, j’ai commencé à sortir, à devoir fréquenter ma hantise : des hommes alcoolisés.
Partout, je voyais le danger, celui là même qui a gâché ma vie. C’est à ce moment que j’ai quitté mon copain. Je l’ai quitté pour un schéma de pensée qui, je le croyais, me protégerait.
J’ai choisi, pour éviter que l’on me viole à nouveau, pour éviter que l’on prenne mes « non » pour des « oui », d’accepter les avances de chaque homme qui m’approchait en soirée.
J’ai dit « oui », jusqu’à ce qu’un jour, un de mes potes, à l’évocation du nombre de partenaires que j’ai eu, me sorte : « tu pourrais remplir un airbus ». L’idée de la liberté sexuelle ne me rebute pas, mais cette sexualité débridée que je m’imposais était teintée d’une névrose, d’un traumatisme.
Je ne disais pas « oui » par envie, mais par nécessité psychologique. Alors, quand j’ai décidé de réguler ma sexualité, il me fallait autre chose pour me soigner à court terme. J’ai donc creusé plus profond, et ai opté pour un schéma dangereux, et pour moi, et pour les autres.
Disparaître, pour éviter d’être violée à nouveau
À force de chercher la raison pour laquelle j’avais été violée, je me suis niée, privée de tout. Je voyais les jupes comme des déclencheurs, les robes comme des gâchettes.
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J’ai peu à peu décidé de disparaître en cessant de m’alimenter, au point de mettre ma santé en danger, aidée par un ex qui affectionnait particulièrement la maigreur.
En vacances, il m’a dit, devant ses amis : « tiens, c’est marrant, t’as de la cellulite sur le cul ». Gênée, j’ai baissé les yeux. Ses potes ont répondu « bah ça va, vu la taille de ses seins, on regarde pas son cul ». J’y ai vu un signal d’alarme.
Si mes formes sont la raison pour laquelle un malade a choisi de détruire ma vie, alors plus de formes, plus de viol, et à moi la tranquillité. La tranquillité, et l’anorexie.
Du traumatisme à l’anti-féminisme
Sauf que me convaincre de ma responsabilité dans ce viol n’était pas suffisant. Je combattais chaque personne qui allait à l’encontre de mon raisonnement. Je suis devenue agressive, constamment sur la défensive. Un pitbull mal dressé.
Il fallait absolument que l’on valide mon raisonnement, pour que je sois sûre de ne pas revivre ce calvaire.
J’ai été très virulente envers plusieurs lectrices de chez madmoizelle.com et j’en suis la première désolée. J’étais foncièrement, dangereusement anti-féministe et, sans m’en rendre compte, j’entretenais cette culture du viol qui aujourd’hui me répugne au plus haut point.
Je ne supportais pas de ne pouvoir punir personne directement. Accepter que je n’avais pas la main mise sur les actes de ces hommes qui choisissent de violer m’était intolérable, alors j’accusais ce que j’avais sous la main, c’est à dire moi, et tentais de rallier des personnes à ma cause (perdue d’avance).
S’emmurer dans le silence, et faire de sa vie un calvaire
Je n’ai pas juste emprunté une pente glissante, je l’ai carrément dévalée, au point d’alarmer mes parents et amis. La vie à la maison était un calvaire, pour moi comme pour ma famille.
À la moindre remarque me concernant, la discussion partait en cris et larmes. Je ne supportais plus de vivre avec les autres. Je ne supportais plus de vivre, tout court.
En décembre 2014, on ne m’a plus laissé le choix. Ma maman m’a dit « soit tu te fais hospitaliser, soit tu quittes la maison ». Bon, quand on pèse 43kg, et qu’il fait moins huit mille dehors, autant dire que le choix était sensiblement restreint, je ne vis pas sous des chaleurs tropicales.
Je me retrouve donc dans une clinique psychiatrique privée (une chance, parait-il), avec vingt autres jeunes. J’avais honte, je n’en ai parlé à personne autour de moi, je ne répondais plus aux messages. Le silence, encore une fois.
Oser parler pour se libérer du poids du traumatisme
Le silence, jusqu’à ce que me confier devienne vital. Plus le temps passait, plus mes choix se restreignaient.
J’avais beau nier en expliquant que la seule raison de ma présence était mon poids, l’équipe médicale n’était pas dupe quant au fait que celle-ci avait été provoquée par un traumatisme. Que mon anorexie était un symptôme d’un mal plus profond.
Et puis j’ai parlé. J’ai accepté de donner chaque détail de ce soir-là. J’ai fermé les yeux, et pendant deux heures, j’ai vidé mon cerveau de tous ces souvenirs douloureux.
C’était dur, c’était violent. J’ai pleuré, pleuré, pleuré… Et puis je me suis libérée. En sortant de la salle, je me suis sentie vide. Ni bien, ni mal, juste vide.
C’était la sensation d’un nouveau départ. Je reprenais, enfin, le problème à la base. C’est ce jour-là, précisément, que j’ai compris que je ne pouvais plus continuer à me blâmer, à me punir, et qu’il me fallait, pour réapprendre à vivre, soigner cette colère que j’entretenais envers moi-même depuis cinq ans.
Le personnel soignant me répétait à longueur de journées, puis de semaines, que je ne pouvais pas me blâmer pour ce traumatisme, et qu’aucune logique n’y était applicable.
Le simple fait d’entendre ces paroles ont déclenché nombre de mes crises d’angoisse. Je ne pouvais plus envisager de sortir s’il existait un risque, même infime, qu’un tel traumatisme puisse arriver à nouveau dans ma petite vie, déjà bien misérable à mes yeux.
Renaître après un traumatisme sexuel
Au cours de ces neuf mois de thérapie, j’ai ré-appris à me connaître. J’ai découvert que j’avais des qualités, des compétences, que je n’étais pas ce monstre que je voyais dans le miroir depuis cinq ans.
Mais j’ai surtout découvert que, si je ne pouvais ni changer mon passé, ni contrôler mon futur, je pouvais au moins batailler pour rendre meilleur celui de certaines femmes.
Aujourd’hui, je suis journaliste, et j’use de ma plume pour dénoncer les horreurs faites aux femmes dans le monde, et pour mettre en lumière les personnes qui contribuent à faire de ce monde un endroit où chacun peut trouver sa place.
Je sais que je n’oublierai jamais, mais je sais aussi ce n’est pas de ma faute. Ce n’est pas de ta faute.
« Les jupes ne violent pas, ce sont les prédateurs qui violent », cette phrase est si petite, mais il m’aura fallu cinq ans de destruction personnelle, et neuf mois de thérapie pour en comprendre le sens, c’est dire à quel point ce traumatisme et la culture du viol entretenue en société m’auront atteinte physiquement, et psychologiquement.
Aujourd’hui, il aura fallu du temps et un sacré chemin parcouru, mais je suis heureuse de pouvoir dire que je fais désormais partie de la solution, après avoir si longtemps fait partie du problème.
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Les Commentaires
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Bravo aussi pour ton nouvel article aussi !
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