Je vous écris cette carte postale depuis Paris, où je profite de mes vacances pour aller visiter mes amis qui eux, n’en ont pas. Comme promis, on va papoter transports !
En Inde comme ailleurs, on se déplace. Sauf qu’en Inde, on ne se déplace pas comme ailleurs ! En jeune femme active (j’adore m’auto-qualifier de la sorte) qui se respecte (et que la connexion Internet capricieuse, conjuguée à la coupure d’éléctricité quotidienne de deux heures, empêchent de négocier du télétravail auprès de son employeur), je me rends tous les jours sur mon lieu de travail.
À Paris, pour aller travailler je marchais 5 minutes de chez moi au métro, puis m’asseyais 15 minutes le temps que le métro me dépose à 5 autres minutes de marche du boulot. Mes déplacement étaient rythmés par l’intervalle qui séparait deux salves de métros, et ponctués d’annonces de la RATP. Quand à l’odeur, elle se limitait à celle de mes co-voyageurs et parfois au délicat substrat de pipi qui émanait du sol de certaines stations. L’été, il faisait souvent très chaud, sauf dans la 1 et la 12, parce qu’elles étaient neuves, climatisées et que donc, les mois de juillet et août y étaient moins pénibles que dans les autres.
À Chennai, personne ne marche. Personne ne marche parce qu’il fait chaud. Beaucoup plus chaud en hiver qu’il n’a jamais fait chaud à Paris en été, pour vous donner une idée. Il fait humide, aussi. Et rappelez-vous, à Chennai le bon goût veut que l’on se couvre. La marche n’y est donc pas exactement la pratique la plus confortable du monde. Et puis un détail pratique mérite d’être considéré : il n’y a pas ou peu de trottoirs. En effet, pourquoi dépenser du temps et de l’argent à créer des trottoirs quand beaucoup d’autres choses (comme par exemple, les égouts) restent encore à faire et que de toutes manières la chaleur invalide d’entrée de jeu la propension des citoyens à les utiliser ? Je précise cela, parce que le discours trop souvent entendu sur la « fantaisie » du « travail à l’indienne », au bout de 7 mois, commence légèrement à m’indisposer. Bref, la marche à Chennai, on oublie.
Rickshaw, boulot, dodo
Pour aller au boulot, je ne marche pas, mais je ne prends pas le métro non plus : je prends le rickshaw. Le rickshaw, qu’est-ce que c’est ? C’est ce qu’on appelle un triporteur. Véhicule motorisé à peu près aussi puissant qu’une 50 cc, affublé d’une roue motrice et de 2 autres à l’arrière, pour supporter une banquette prévue pour 3 personnes. Dans la pratique, les 3 personnes à l’arrière se transforment souvent en 5. La pratique te fait donc très légèrement reconsidérer la notion de promiscuité (le métro à l’heure de pointe à Paris, je le prends les doigts dans le nez dorénavant).
Mais avant de monter seule, à deux, à trois ou à 8 dans un rickshaw, il faut négocier le prix. Moi, par exemple, je paie le prix des étrangers (le prix normal majoré de quelques dizaines de roupies les jours avec, le double les jours sans). Je ne paie plus celui des touristes (qui est environ égal à 5 fois celui que les chauffeurs demandent aux chennaiites), mais pas non plus celui des habitants de la ville, en dépit de ma carte de résidente et de mon visa de travail. Cela m’amène à vous parler de la négociation. De nature plutôt réservée et fondamentalement inapte au commerce, il s’agit d’une petite révolution pour moi. Les chauffeurs de rickshaws et leurs prix que tout fait augmenter, de la pluie à l’heure du jour ou de la nuit en passant par l’intensité du trafic ou par un jour de puja, ont réussi à vaincre ma timidité maladive et ont fait de moi une marchande-née. Je paie toujours plus que mes collègues, parce que je préfère payer trop que prendre de risque de voler les chauffeurs en négociant trop âprement le prix de ma course. C’est mon côté Saint-Bernard du dimanche. Mais je ne paie plus le prix des touristes. Et ça, c’est une sacré victoire.
Depuis que je vis à Chennai, ma vie s’est transformée en longue négociation tranquille. Du prix de la course au nombre de dents que le dentiste me propose d’enlever, quand on m’annonce un chiffre mon premier réflexe est de le diviser puis d’exiger un sourire en bonus.
Dans le rickshaw, il n’y a pas la clim, il n’y a pas de vitre, c’est un peu Man VS Road. Comprends que tu respires une pollution incomparable à pleins poumons et qu’au nom de l’exotisme, tu t’offres le luxe d’en être contente. Sauf les jours où t’es mal lunée et que franchement, ça fait chier parce que ça pue et qu’en plus tu sues et que de toutes façons on vit dans un monde de merde.
Le code revisité
En Inde, on pratique ce que j’appelle la conduite à l’oreille. Phares, rétroviseurs et autres clignotants sont largement décoratifs puisque tout ce qui compte, c’est le bruit
. Dit comme ça (et à première vue) ça paraît très bordélique, mais sache qu’une certaine logique organise tout ça. Attends, je vais t’expliquer.
En France, les gens s’adaptent à ce que font les voiture DEVANT eux. En Inde, les gens s’adaptent à ce qui se passe DERRIÈRE. Quand un chauffeur de rickshaw veut doubler, il prévient en klaxonnant. Quand il tourne, un bip strident retentit et ne s’arrête qu’une fois le virage pris. Les gens se manifestent à leur environnement, sans quoi leur environnement les mangerait tout crus. C’est un peu la loi du plus bruyant. D’où la symphonie stridente des klaxons qui orchestre le trafic à toute heure du jour où de la nuit. Bon, et puis il y a ceux que j’appelle les zélés. Ceux qui klaxonnent par réflexe ou par esprit de contradiction MÊME QUAND IL N’Y A PERSONNE À INFORMER DE LEUR PRESENCE. Ça fait beaucoup de bruit pour pas grand chose, mais j’ai pris le parti d’en rire et de commencer à faire le deuil de mon audition.
Ne tuez pas vos oreilles : arrêtez de klaxonner
Oui, parce qu’en Inde la route rend sourd. Et ce n’est pas une manière de parler. C’est littéralement la vérité. En Inde plus qu’ailleurs (enfin remettons les choses à leur échelle : plus qu’ailleurs où j’ai été), on est confronté à la surdité. Au début je mettais tous les problèmes de communication auxquels j’étais confrontée sur le dos de mon pitoyable accent indien. Mais les klaxons ont soulagé ma culpabilité : quiconque fréquente les routes est automatiquement plus sourd que la moyenne. Et après avoir traversé l’Inde d’Ouest en Est au premier rang d’un autobus, je peux vous le confirmer puisque j’en fais partie. Je pense que j’ai bien perdu un point d’audition tous les 50 km. Plus sérieusement, le côté sombre de cette redéfinition du code de la route tient en un mot : décibel. Les normes indiennes ne sont en effet pas les mêmes qu’en Europe en ce qui concerne le niveau sonore des klaxons et certains relèvent tout simplement de la torture (voire de l’éxecution sans autre forme de procès) auditive.
Le Chennai Local Train
Pour protéger les tympans de ce si triste destin, il existe le local train. Sorte de mix plutôt réussi entre le tram et le métro, il traverse Chennai et offre une vue imprenable sur la ville qui, pourtant désordonnée et principalement industrielle, devient très belle vue d’en haut. Il dispose de compartiments réservés aux dames, pour les raisons que l’on sait. Dans ces compartiments (puisque ce sont ceux que je fréquente), le plafond couvert de ventilateurs diffuse l’odeur du jasmin et des diverses fleurs que les femmes nouent dans leurs tresses. On y voit des jeunes femmes habillées à l’occidentale (sans pour autant montrer leurs décolletés ou leurs jambes), qui m’ont d’ailleurs confortée dans ma décision de montrer une épaule ou un mollet de temps en temps. On y voit de jolies vieilles dames aux cheveux gris tirés dans un chignon, qui sentent l’huile et le santal, drapées dans de jolis saris colorés. On y voit des mères en sari tenir la main de leurs petites filles, parfois vêtues de robes de princesse, d’autres fois d’un pantalon ou d’une petite jupe à l’occidentale. Et on y croise les travestis qui viennent récolter l’aumône que leur statut leur garantit. En fait, on y voit l’Inde comme on a rarement l’occasion de la voir en dehors et ça rend ce train, pourtant tout ce qu’il y a de plus commun, parfaitement unique. Lire à ce sujet Compartiment pour Dames d’Anita Nair : un bijou de féminisme et d’informations sur la vie des femmes en Inde.
Bon, je vous laisse : j’ai le prix d’une course de taxi St Lazare – République à aller négocier en language des signes !
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On a hâte de vous lire !
Les Commentaires
Oui, en même temps c'est plus ma faute que la tienne ! J'ai passé un an en Inde ( dans Le Maharastra, à Aurangabad plus précisement ) et j'aimais tellement les rickshaws, négocier pour les prix et me faire avoir trés souvent ( sauf à partir du moment où je parlais Hindi ^^ je leur sortait un grand "Arre" avec bien l'accent et tout, et ils divisaient le prix par deux ).
Et j'allais trés souvent à Mumbai et les trains...J'aimais tellement les trains locaux de Mumbai ! C'était tellement un monde à part, complétement indien mais en même temps différent de l'exterieur ! J' l'Inde de trop...
P.S : j'ai lu "Compartiment pour femmes" quand j'étais là-bas, et c'est vraiment top comme bouquin