Précédemment dans #62jours : Comment j’ai appris à respirer
Storytime, comme on dit sur YouTube.
En avril 2013, j’étais au fond du gouffre. En plein épisode dépressif sévère suite à mon burn out, en échec thérapeutique (abandon à la 3ème séance psy), j’ai claqué l’argent que je n’avais plus sur mon compte dans une semaine de ski. (Hors saison, avec l’UCPA, j’en ai eu pour 450€ all inclusive, comme on dit dans le game.)
J’attendais rien de cette semaine, à part respirer de l’air frais, boire moins d’alcool et réussir à dormir en même temps que les autres humains.
Je me souviens avoir choisi la semaine encadrée par un moniteur, en me disant : au pire, si ça me saoule, j’irais surfer toute seule. (Je ne skie pas, je snowboarde.)
Pendant cette semaine, j’ai appris deux leçons de vie qui m’ont foutu deux énormes claques. Un aller-retour qui m’a mise sur le droit chemin de la vie : ma vie. Celle que j’avais envie de vivre.
Leçon de vie en pleine adversité : hors piste, pente « noire »
Je n’ai vraiment pas un niveau exceptionnel en snowboard, mais c’est vrai que je passe partout. Je suis toujours capable de me sortir d’une situation un peu raide, un peu trop verglacée, un peu trop technique.
Ce jour-là, le moniteur emmène le groupe dans une balade. On se trouve en haut d’une piste noire très raide, truffée de bosses. À côté, la pente hors piste est un peu moins raide, mais pas dammée, bien sûr.
On s’arrête en haut, il nous dessine l’itinéraire : faire de larges virages vers les côtés, prendre bien toute la largeur en remontant un peu pour perdre de la vitesse tout en prenant de l’élan… Je bois ses paroles, en essayant de contenir ma peur.
Le moniteur ouvre la marche, pour « faire la trace » : derrière lui, on s’élance une à une pour le suivre. Sauf que je ne suis pas dans le bon sens. Il faudrait que je me retourne pour réussir à être dans le même sens que les autres, et je n’y arrive pas, il y a trop de pente.
Il faut que je fasse un virage supplémentaire : je tente, mais je me plante, et je commence à débouler la pente cul par-dessus tête. J’arrive à m’arrêter 15m plus bas, choquée mais pas blessée.
Coincée en pleine pente, je fais quoi ?
À genoux face à la pente, je prends appui dessus pour me relever. Je tourne le dos au vide, et je ne suis pas plus avancée : j’ai perdu la trace, et je n’arriverai toujours pas à me retourner vers « le bon sens pour la récupérer ».
Quelques dizaines de mètres plus bas, le groupe m’attend. Julien, le moniteur, essaie d’attirer mon attention. Je vois qu’il me pointe la trace, sur ma gauche : celle que je n’arrive pas à rejoindre.
J’ai tenté, j’me suis viandée, j’ai vraiment pas envie de retenter…
Alors je crie : « j’y arrive pas ! », sans savoir quoi faire d’autre que ce constat.
« J’arrive pas à récupérer la trace ! »
Je l’entends me crier en réponse :
« Fais ta propre trace ! »
Il est malin, lui. J’aurais pas eu besoin d’un moniteur si je pouvais juste attaquer cette pente YO to the LO, hein.
Fais ta propre trace. Mais !!! HELP !!!
« Fais ta propre trace »
Je respire, autant pour reprendre mon souffle que pour ravaler les larmes de stress qui m’embuaient les yeux. Fais ta propre trace. Ok. Ok ok ok. J’oublie la trace. J’arrête d’essayer de suivre le groupe.
Si j’étais toute seule, au milieu de cette pente, par où je partirais ? Quel est le geste le plus souple, la direction la plus naturelle ?
Je respire. Je ferme les yeux, et je m’écoute. Je visualise ma trajectoire. J’oublie la pente, j’oublie le groupe, et je suis le mouvement que j’impulse, avec ma hanche droite.
C’est parti.
Quelques virages plus bas, je m’arrête comme une plume aux côtés du groupe. Je lève les yeux : ma trace n’a rien à voir avec celle du moniteur. Elle ne la croise même pas. Mais je suis arrivée en bas.
Dans la vie désormais, je fais ma propre trace
Ce conseil a été une illumination, à un moment de ma vie où je souffrais énormément d’avoir subi « une sortie de route ». Rien ne se déroulait comme je l’avais imaginé, j’avais la sensation de décevoir tout le monde.
De fait, je nourrissais moi-même ces sentiments d’échec profond et de déception.
Je me faisais violence pour tenter de reprendre le même chemin que « les autres », cette foule anonyme que je croyais devoir suivre.
Tout ça parce que je ne pensais pas avoir le choix, je ne me savais pas capable, ni autorisée, d’ailleurs, à rester sur place le temps de reprendre mon souffle. Puis à m’élancer, où bon me semble d’aller.
Si j’ai voulu raconter cette histoire aujourd’hui, précisément, c’est parce qu’un de mes vieux démons a refait surface. Je me suis prise à planifier mon avenir, en le calant sur celui « des autres ».
J’ai pensé à mon âge, et à ce que les gens de mon âge font, d’habitude : se mettre en couple, fonder une famille, trouver un job « sérieux » (qui n’implique ni de « vlogguer », ni de faire des concours de chat sur Instagram).
Cette pensée ne me rendait pas heureuse, mais pour la première fois, je m’en suis rendu compte tout de suite. Je me suis immédiatement rappelée à cette anecdote, et à la leçon si importante que j’avais apprise, ce jour-là.
Trace ta propre voie. Tu t’en fous ce que font ces « autres », que tu ne connais même pas. C’est ton propre jugement, sur toi-même par rapport à eux, qui te fait parfois douter de tes choix.
— Julien, si tu me lis : un immense merci.
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