Réalisée par deux personnes concernées, Adèle Méritet et Pawel Thomas Larue, la série-documentaire Le Petit Bleu interroge une personne trans par épisode sur les transidentités, afin d’exploser les clichés et idées fixes par la pluralité des vécus et expertises.
Combien de films, de séries, de documentaires et autres reportages d’émission télé généraliste sur les transidentités sont réalisés par et pour des personnes cisgenres ?
Lassés d’être racontés par des personnes qui les fantasment, les exotisent et les caricaturent plus qu’elles ne les écoutent et les soutiennent vraiment, Adèle Méritet et Pawel Thomas Larue, deux personnes trans, ont lancé à l’été 2020 leur propre projet.
Disponible gratuitement sur YouTube, leur série-documentaire baptisée Le Petit Bleu s’avère aussi puissante que poétique, et entame sa deuxième saison. L’occasion d’interroger son créateur et réalisateur.
Interview de Pawel Thomas Larue, co-fondateur du Petit Bleu
Madmoizelle:Comment vous présentez-vous ?
Pawel Thomas Larue : Je suis un mec trans de 21 ans, breton. Dans mon travail, en fiction et en docu, j’aime parler de la Bretagne et décentraliser les questions queer de Paris en ce qui concerne la France.
Je suis en master de réalisation à Paris 8, à Saint Denis. Je développe plusieurs projets de fiction et de documentaire, dont Le Petit Bleu.
Quand, comment et pourquoi avez-vous lancé cette série documentaire d’entretiens sur les transidentités avec des personnes concernées ?
J’ai lancé cette série pendant le premier confinement. J’étais seul en Bretagne. J’avais commencé à écrire une fiction en format série avec un personnage par épisode. Mais j’avais l’impression d’être doublement trop jeune, et dans mon parcours trans, et dans mon parcours professionnel en réalisation, pour me lancer dans la fiction sur les transidentités. Alors j’ai gardé l’idée sérielle, en laissant une personne trans choisir son thème par épisode.
Le but, c’était de prendre le revers des vidéos des médias dominants autour des transidentités dans lesquels beaucoup de personnes trans ne se reconnaissent pas du tout : un portrait en 2 minutes chrono, hyper coupé au montage, d’une personne censée définir des vérités générales sur l’ensemble d’une communauté. Je préfère donner la parole dans la longueur à des personnes qui choisissent la thématique qu’elles souhaitent, sans coupures derrière.
Pourquoi ce nom, Le Petit Bleu; qui semble n’avoir rien à voir avec la choucroute ?
À une époque, « petit bleu », ça désignait les télégrammes d’information. Je trouve que cela correspond bien au format de ma série documentaire, qui ne se veut pas forcément pédagogique, mais informative : transmettre des informations, et libre aux spectateurices de s’en emparer comme iels le veulent et le peuvent.
Comment choisissez-vous les personnes castées ?
Avec la meuf trans qui travaille avec moi sur Petit bleu (elle s’occupe de l’image, moi du son, de la réalisation, et du montage du projet), puisqu’il y a une personne par épisode, ça nous semblait d’autant plus important d’avoir un casting le plus diversifié possible à l’échelle de la série. Des personnes trans binaires, non-binaires, blanches, racisées, de tous les âges.
Cette pluralité permet de souligner combien il y a autant de parcours trans que de personnes trans. Je n’ai pas commencé avec un casting en tête mais en enregistrant les premières personnes qui acceptaient, puis au fur et à mesure des gens venaient nous demander à participer.
C’est donc très gratifiant de voir que des personnes trans se reconnaissaient dans le projet et voulaient y prendre part. À tel point que pour la saison 2, on a eu plus de demandes que de possibilités de tournage.
Pourquoi le format vidéo plutôt que seulement podcast audio, par exemple ?
J’aime beaucoup l’image, donc ça comptait pour moi. C’est aussi un enjeu de visibilité, de représentation.
Outre l’essentiel de l’épisode au format question/réponse, l’introduction montre aussi ces personnes en train de se présenter en leurs termes, d’agir, de faire une activité qui leur tient à coeur [dans son épisode, Lexie du compte Instagram @aggressively_trans fait de la gravure et raconte son intérêt pour cette pratique artistique, par exemple].
Quels sont les avantages et inconvénients d’une plateforme telle que YouTube pour une série documentaire telle que Le Petit Bleu ?
Pour nous en tant que créateurices de ce projet bénévole, c’est important de pouvoir le faire gratuitement, et de le proposer gratuitement, sur une plateforme facilement accessible à partir du moment où l’on peut se connecter à Internet. On a aussi une liberté de format, de longueur, d’heure pour poster, etc.
Côté inconvénients, c’est que l’image est peut-être de moins bonne qualité. On peine aussi à gagner en visibilité sur YouTube.
Dans quelle mesure les médias dominants continuent d’enfermer les personnes trans dans des clichés transphobes, misérabilistes et/ou sensationnalistes aujourd’hui ?
Pour moi, le problème majeur, c’est que les neuf dixièmes des choses produites sur les personnes trans sont réalisées par des personnes cis, qui nous fantasment beaucoup, et s’arrêtent toujours aux même questions : le coming out, la transition, les opérations, etc.
Les médias dominants semblent vouloir raconter toujours la même chose autour de nos vécus, ce qui pose problème car, encore une fois, il y a autant de parcours trans possibles que de personnes trans.
On est beaucoup à en avoir marre de cette uniformisation alors que notre communauté est une diversité et d’une richesse inestimable. Les médias adorent se concentrer sur les violences que l’on subies, et bien sûr qu’elles existent, mais nos vies ne se résument pas à ça.
En quoi donner la parole aux premières personnes concernées, et ce dans toute leur pluralité, peut justement contribuer à exploser les stéréotypes ?
Cela permet justement de casser cet enfermermement dans les fantasmes et les violences. Dans l’épisode 8 du Petit Bleu, Charlie [co-fondateur de Représentrans] est justement venu parler du cis gaze. Il y dit d’ailleurs que même des personnes trans peuvent réitérer et renforcer ce genre de clichés transphobes dans leur manière de parler ou d’écrire des récits — puisqu’on a nous aussi grandi dans une société cisnormée.
Mais tout l’intérêt du Petit Bleu, justement, c’est que les personnes trans ne viennent pas parler de LA transidentité, mais de leur transidentité. C’est ce qui fait que ça ne peut pas être faux, car c’est leur parcours, leur vécu individuel.
Le Petit Bleu tente donc de trouver comment raconter une pluralité à partir de plein d’individualités. Donner la parole aux concernées, c’est leur donner la possibilité de raconter un discours, avec comme point de source, de départ, leur vie à eux, leur regard.
Pour moi, c’est la manière la plus juste de raconter un sujet, plutôt que de donner à une personne cis le devoir de fantasmer la transidentité.
Dans quelle mesure vivons-nous sûrement un moment de bascule au niveau des visibilités trans et des droits des personnes trans ?
Des personnes trans luttent pour être davantage visibles, mais se posent aussi la question de comment l’être, à quel prix. Car existe aussi le risque d’être visibilisé d’une mauvaise façon. Il n’y a jamais eu autant de personnes trans assassinées qu’aujourd’hui, peut-être aussi parce qu’on a jamais été aussi visibles ? C’est tout le paradoxe de la visibilité…
Au niveau des politiques, en France et à l’étranger, on vit à la fois une progression des droits des personnes trans (même si cela reste insuffisant) et une montée de l’extrême droite. Nos droits sont donc loin d’être acquis de manière définitive — le mandat de Donald Trump l’a bien prouvé, puisqu’il a reculé sur les maigres droits des personnes trans.
C’est en cette période cruciale qu’il me paraît d’autant plus important de développer des projets pour sensibiliser les gens à comprendre les vécus trans, et surtout l’importance de soutenir les personnes trans, de militer, d’être des alliés.
Quels autres projets conseillez-vous pour prolonger la démarche du Petit Bleu ?
Je recommande le travail de XY Media, avec leurs vidéos, mais aussi leurs articles. Des podcasts comme Nos Voix Trans et Un podcast Trans, ainsi que toutes les ressources sur les questions de représentation disponibles sur le site Représentrans.
Que peut-on souhaiter pour vous et votre projet ?
C’est un projet qu’on avait imaginé pour durer un an, soit les 8 premiers épisodes. Mais on a trouvé un public, eu des projections lors de festivals, et été nominés aux Out d’or [cérémonie française de l’Association des Journalistes LGBTI+ qui récompense les meilleures productions culturelle et d’informations de la communauté], alors avec Adèle, on est partis sur une deuxième saison. Et on souhaite perdurer le plus longtemps possible, afin de présenter le plus de personnes possibles, dans toute leur pluralité.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
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29 novembre 2021 à 17h11
Leona B.
Super article, je suis contente de retrouver là Louis et Lexie, que je suis assidûment sur Instagram
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