Cette analyse ne contient pas de spoilers de Yannick. Vous pouvez la lire en toute tranquillité avant de voir le film !
Certaines critiques reprochent à Quentin Dupieux de produire des films à un rythme industriel. Prend-il le risque de tourner en rond ou de se répéter ?
Yannick est une preuve, pour qui en doutait, que Mr. Oizo n’a pas fini de nous surprendre.
Yannick, de quoi ça parle ?
Yannick s’ouvre sur une scène de théâtre. Trois comédiens interprètent une comédie de boulevard. Et ça ne fonctionne pas du tout : les acteurs surjouent sans aucune conviction, le texte est mauvais, les blagues sont à côté de la plaque – bref, on s’ennuie.
Après quelques minutes, la caméra décentre de la scène pour montrer le public. C’est alors qu’un homme se lève et interrompt le spectacle. Il a pris un congé et a fait deux heures de route en transports pour voir la pièce. Dès lors, ses attentes sont très simples : il voudrait que la pièce le divertisse, lui change les idées et le fasse rentrer chez lui avec du baume au coeur – en somme, il attend ce que l’on espère tous·tes en allant voir un spectacle ou un film…
Il faut donc faire quelque chose, le spectacle est trop mauvais pour continuer ainsi. C’est pourquoi Yannick va reprendre la soirée en main.
Un film étrangement « réaliste »
Le résumé de Yannick vous parait très simple ? C’est que le film l’est.
Dans le douzième long-étrange de Quentin Dupieux, il n’y a rien d’extraordinaire.
Yannick ne compte aucun élément de la veine d’un pneu tueur en série (Rubber, 2010), pas de mouche à l’intelligence et à la taille extraordinaires (Mandibules, 2020), aucune ligue de justiciers dirigés par une marionnette de rat nymphomane et qui bave (Fumer fait tousser, 2022).
Si la plupart de ces films lorgnent du côté de l’imaginaire pur, de la science-fiction du rêve ou du fantastique, Yannick, lui, est étrangement réaliste.
Pour autant, on y retrouve bien l’essence du cinéma de Dupieux : malgré leur diversité de forme et de fond, tous ses films sont la mise en récit et en images d’un concept issu de son imaginaire.
Ce que Yannick montre, c’est que ces concepts n’ont pas besoin d’être fantasmagorique pour être insolites. De fait aucun spectateur n’interrompt un spectacle parce qu’il est nul. C’est lunaire, mais pour autant, ce n’est pas impossible.
Yannick : un personnage de Dupieux pas comme les autres
Ainsi, à contre-sens d’une fable imaginaire, le film est particulièrement ancré dans le réel. Cet aspect se joue avant tout dans l’identité du personnage qui porte le film : Yannick.
La plupart des personnages de Dupieux ne sont pas des individualités : peu importe le genre du personnage, le nom du comédien qui l’incarne. Ces derniers deviennent des anonymes, naviguant pour la plupart dans des existences absurdes.
Faites le test : regardez n’importe quel film de Dupieux en essayant de trouver précisément où il se déroule… Vous ne trouverez pas. Chaque film met en scène de pures créatures de fiction, dans des mondes de fiction.
C’est d’ailleurs pour cette raison que Quentin Dupieux est l’un des maîtres dans l’art difficile d’écrire des films avec une vingtaine de comédiens au casting. Hommes, femmes, jeunes, vieux, stars ou acteurs plus confidentiels, devant la caméra de Dupieux, rien de tout cela ne compte.
Dans Mandibules par exemple, même Adèle Exarchopoulos, sans cesse objectifiée à l’écran est bel et bien un personnage de Dupieux, c’est-à-dire un pur personnage de fiction, sans une once de sensualité ni même de « féminité » (elle aurait tout aussi bien pu être un petit garçon !), qui compose avec les mêmes névroses, lubies, bizarreries ou déficiences mentales que tous les autres.
Rendre visible des rapports de pouvoir de classe
Dans Yannick, tout tourne autour du personnage principal éponyme. Le film est véritablement un terrain de jeu pour brillant Raphaël Quenard, qui est présent dans pratiquement tous les plans du métrage. Or, contrairement aux autres personnages de Dupieux, Yannick est extrêmement situé socialement.
Il se lève et prend la parole dans ce beau théâtre parisien, lieu où le public est habituellement privé de parole, pour nous apprendre qu’il est gardien de parking la nuit. Il n’a pas beaucoup de jours de congés, habite à Melun et se déplace en transports en commun. Il a du mal à s’exprimer à l’oral et fait des fautes de français. Il ne vient pas souvent au théâtre alors, quand il le fait, qu’il paye pour le faire (on comprend pourquoi la gratuité du film pour les gens appelés Yannick est bien plus qu’un coup de comm’), il demande simplement à en ressortir content.
Quant au théâtre où se joue l’action, il est au centre de Paris et accueille un public exclusivement blanc et bourgeois.
Autrement dit, Yannick n’est pas un fou ou un débile : c’est avant tout un personnage de pauvre, immergé dans un espace qui n’est pas le sien. Au lieu de cacher cette tension sociale et culturelle, Quentin Dupieux la met en exergue, avec le jusqu’au-boutisme qu’on lui connait.
Contrairement aux films auxquels Dupieux nous a habitués, Yannick est bien différent d’une succession de gags, de sketchs, ou l’exploration d’un délire. Le film que vous allez voir s’avère être le plus explicitement politique de son auteur. C’est un film simple, très riche et sincère sur certaines formes « d’art » qui s’avèrent être des mascarades qui ne servent qu’à alimenter des inégalités sociales et du mépris de classe… au point d’en oublier d’être humble, humain et surtout, drôle.
La toute dernière scène du film, très étonnante pour un film de Dupieux, résume parfaitement cette immersion dans le réel qui rendent Yannick si étrange, différent – et passionnant dans sa filmographie. Mais on ne vous en révèle pas plus pour ne pas gâcher le spectacle…
Il ne vous reste plus qu’à foncer le voir.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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