Publié initialement le 4 juillet 2011
J’ai un vélo, un abonnement de bus, une parfaite connaissance des horaires de train, un bilan carbone hyper sexy et des cuisses fuselées.
Et pour cause: je n’ai pas de voiture. Et j’irai même plus loin : je n’ai pas de voiture parce que je n’ai pas le permis.
Je vis dans une ville ou il n’y a ni métro, ni tramway, et pourtant, bien que j’aie dix-huit ans depuis de nombreuses années, je n’ai toujours pas le droit de piloter un engin motorisé.
Et en plus, je n’ai pas l’intention de remédier à la situation, du moins pour le moment. Ce qui fait de moi aux yeux des furieux du bitume, de la race de ceux qui vont acheter leur pain en voiture alors que la boulangerie est à 12 minutes à pied (et ils sont bien plus nombreux qu’on peut le croire), une irresponsable égoïste et dépendante qui finira dans une grotte à faire des peintures rupestres en s’exprimant par borborygmes.
Et pourquoi donc ne passerai-je pas mon permis de conduire ?
Premièrement, les raisons financières. Les plus faciles à justifier. Passer son permis, ça coûte un œil. J’aurais pu le passer à l’âge où j’ai acquis l’âge de voter. Mais à ce moment là, je devais aussi payer le loyer ridiculement élevé de ma chambre de cité U insalubre, et financer les nombreuses cuites à la vodka caramel de mes jeunes soirées étudiantes. J’aurais pu attendre un peu et profiter de mon premier CDI pour investir dans un bout de papier rose PQ orné d’une affreuse photo de moi. Sauf que là encore, mon salaire ridicule ne me permettait de m’acheter que quelques paquets de pâtes et de nombreux cubis de rouge après avoir payé le loyer de mon appartement infesté de cafards. Appelez-moi Cosette.
Entre le code, les multiples heures de conduites, l’examen en lui même (que je raterais au moins douze fois), autant mettre un de mes reins en vente sur eBay de suite. Et encore, je n’ai pas parlé de la suite. En effet, à quoi bon passer son permis si on a pas la voiture qui va avec ? Et donc l’assurance qui va avec ? Et aussi les pleins d’essence qui vont avec ? Ah et j’oubliais, les péages, les rétroviseurs cassés, les phares éclatés, les trucs muches bidules dans le moteur qui font des bruits bizarres à réparer… ? En voilà des moyens de mettre mon compte en banque au fin fond des profondeurs de la terre ! Vu comme ça, le passage de mon permis de conduire est assez bas dans la liste des choses hors de prix que je dois m’offrir.
Ensuite, viennent les raisons intellectuelles.
Primo, le concept des panneaux j’y comprends rien. Puis en plus, je les trouve moches. Des ronds, des pentagones, des pictogrammes, du rouge, du bleu. Et des traits sur le sol, des lumières qui clignotent. Des agents de circulation qui dansent YMCA au milieu d’un carrefour. Et conduire, ça implique non seulement de savoir lire tous ces signaux, mais en plus de maîtriser un engin pouvant rouler vraiment très vite et d’anticiper les réactions de multiples autres voitures, camions, motos, vélos, piétons, pigeons, sangliers, licornes qui peuvent se mettre en travers de mon chemin. Et mon cerveau n’est clairement pas prêt pour ça. Mon cerveau met la télécommande dans mon sac à main, le téléphone dans mon frigo et mes clefs dans la machine à laver, et me fait dire « Bonjour Maman » à ma responsable. Comment veux-tu qu’il arrive à respecter le code de la route, maîtriser une caisse de plusieurs tonnes pleine de liquide inflammable, et d’anticiper les réactions de tout ce qui est minéral, animal ou végétal 500 mètres à la ronde ?
D’autant que la fille très énervante, qui te plante ses ongles dans les avant-bras, qui pousse des petits soupirs énervés, qui étouffe des jurons à chaque fois que tu appuies un peu fort sur le frein, et ben… c’est moi. La seule chose qui me fait plus peur que les voitures, c’est les tarentules mangeuses d’homme de la taille d’un éléphant. Sans oublier qu’ apprendre à conduire, c’est aussi passionnant qu’un épisode de la saison deux de Derrick. En VO. Sachant que je ne parle pas allemand.
Il y a aussi les raisons de mauvaise foi. C’est pas toujours facile de se justifier quand on n’a pas son permis et qu’on veut pas le passer parce qu’on trouve ça chiant et extrêmement flippant, alors qu’en face, on me tient des discours sur la difficulté de trouver du travail en temps de crise quand on n’a pas de voiture. Ou que pour aller d’un point A à un point B, c’est tout de même plus simple de le faire avec quatre roues et un volant. Ou que quand même lors des soirées où l’alcool coule à flots, c’est bien de pouvoir compter sur soi pour rentrer à bon port. Effectivement, pour me justifier d’être une handicapée du code de la route, l’argument de l’argent fonctionne bien. Celui des chocottes et du cerveau en carton bouilli aussi.
Et s’il en faut un de plus, je sors celui de la mauvaise foi absolue : l’argument socio-écologique. Parce que ne nous voilons pas la face. Les voitures, c’est le mal. Ça pue. Ca fait du bruit. Ça écrase des bébés lapins. Ca fait des trous dans la couche d’ozone. C’est le symbole d’un capitalisme puant qui nous a plongé la tête la première dans une affreuse crise. Les voitures ça transforme les gens en grands animaux dépourvus de civisme. Ça s’insulte, ça se donne des noms d’oiseau, ça se fait des queues de poisson. En bref, ça fout les théories de Darwin en l’air : en voiture, l’homme régresse. Sans parler du plaisir perdu de la marche à pieds, surtout la nuit, en hiver, sous la pluie. Ou des joies des transports en commun, des grèves. Les voisins de bus qui sentent des aisselles, les alertes à la bombe dans les halls de gare, les chauffeurs de bus qui t’imposent au choix Skyrock ou Nostalgie. Et que dire des siestes la bouche ouverte en deuxième classe, des gros lourds qui viennent te brancher parce qu’ils savent qu’ils ont au moins 20 minutes avant le prochain arrêt. Quand on a une voiture, on ne peut pas vivre de tels instants d’humanité. Quand on est dans sa voiture, on est tout seul, on brandit son majeur, on pleure des larmes de sang à chaque fois qu’on approche de la réserve. Alors qu’on pourrait lire Public confortablement assis sur un strapontin en skaï marron en classe 2 d’un TER vintage, parti avec 45 minutes de retard, et arrêté en pleine voie depuis une demi-heure sans qu’on sache pourquoi.
Mais tout ça, ce ne sont que des excuses. Je ne passerai pas mon permis de conduire surtout parce que tout le monde veut que je l’aie enfin. Parce qu’il a été écrit quelque part qu’il était socialement mieux vu d’avoir son permis et une voiture qu’une carte de bus. Il semblerait qu’avoir une Saxo, une Fiat 500 ou une Bentley apporte une plus-value indéniable à celui qui en est l’heureux conducteur, comparé à celui qui n’a que son vélo de ville et son petit panier pour aller faire ses courses. Il n’y a qu’à voir les yeux ronds et exorbités de ceux à qui j’apprends que je n’ai pas le permis et que non, je ne le passerai pas pour le moment ça va merci.
Au vu de leurs réactions, je suis une malade mentale venue d’une autre planète doublée d’une idiote rétrograde qu’on devrait enfermer. Et il n’y a qu’à voir aussi les offres d’emploi ou il est stipulé que pour être assistante médicale, il faut non seulement être titulaire d’un permis B, mais aussi d’une voiture. Comme si la possession de ces deux sésames était la condition sine qua non à la réussite professionnelle, au même titre que l’expérience, la formation, ou les compétences.
Non vraiment. Je ne vois pas pourquoi je passerai mon permis. Je vais juste attendre de devenir indécemment riche pour m’offrir un hummer limousine, un chauffeur qui ressemble à Jude Law, et un autoradio avec des subwoofers de l’espace pour écouter Shakira à fond les ballons.
Et sinon, toi ton permis, t’en es où ?
— À lire aussi : Permis de conduire, joie de le recevoir
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