Cet article a été rédigé dans le cadre d’un partenariat avec Gallimard Jeunesse. Conformément à notre Manifeste, on y a écrit ce qu’on voulait.
Cinq ans que John Green ne nous avait pas seriné de sa verve. Cinq longues années au cours desquelles le besoin d’une dose d’humanité, de complicité, d’humour, de belles histoires (pas très idéalisées, c’est cela qu’on aime) est devenu plus accru.
Avec Tortues à l’infini, le nouveau roman de John Green, l’heure est une nouvelle fois à l’émotion, avec peut-être plus de force encore que ses précédents romans (et pourtant il y avait du niveau, ne serait-ce qu’avec Nos étoiles contraires).
Tortues à l’infini raconte l’histoire d’Aza, seize ans, qui vit seule avec sa mère suite au décès de son père. Elle peut compter sur Daisy, sa meilleure amie, aussi extravertie et bavarde qu’elle est elle-même secrète et taciturne.
Le duo détonnant va se lancer dans une enquête risquée qui va le mener sur la trace du milliardaire Russell Pickett. L’homme a mystérieusement disparu, laissant derrière lui ses deux fils, dont Davis, qu’Aza a connu il y a longtemps en camp de vacances, et qui ne la laisse pas indifférente.
Tortues à l’infini est un roman qui gagne en puissance au fil des pages.
Si la première partie s’attache plutôt à l’enquête et le tissage des liens entre les personnages, la suite s’intéresse davantage à la complexité de chaque être de papier qui apporte sa pierre à l’édifice de ce roman qui parle à ses lectrices et lecteurs, aux êtres de chair que nous sommes.
Cet écho qui se fait en nous vient de la capacité de John Green à sublimer les failles de ses personnages, pour les rendre touchants, attachants, plus vivants et plus proches de nous que jamais.
Les relations complexes au cœur de Tortues à l’infini
Les amitiés dans Tortues à l’infini ne sont pas les plus évidentes. Les personnages s’associent malgré leurs différences profondes, malgré parfois l’incohérence de leur échange, voire l’écart entre les choses ressenties pour les uns et pour les autres.
Les personnalités d’Aza et Daisy sont par exemple très discordantes. Elles sont parvenues à construire une amitié forte, entière, mais qui n’est pas pour autant infaillible et dans la pleine compréhension mutuelle. Aza et Davis ont aussi leurs divergences, et pourtant savent trouver du réconfort l’un chez l’autre. Aza et sa mère ne se comprennent pas, ne savent pas comment communiquer, et cela ne les empêche pas de s’aimer.
Les personnages sont construits par l’auteur tout en nuances, avec leurs caractères, leurs rêves et leurs aigreurs, et c’est sans doute ce qui fait qu’on croit autant à eux, avec leurs imperfections.
Le roman aborde par ailleurs la question de l’argent avec une pertinence étonnante, et c’est un sujet que l’on rencontre plutôt rarement, d’où le fait de le souligner.
Il montre sans tabou comment celui-ci peut entraver les relations sociales, et orienter les comportements. Les différences de niveau de vie dans les relations amicales et amoureuses sont facteur de malentendu, de convoitise, mais aussi d’angoisse, même lorsque l’on est du côté des plus aisés.
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En fait, tous les personnages gravitent les uns autour des autres sans idéalisation, et c’est pour cela que leurs paroles trouvent une telle résonance en nous. Alors John Green peut s’aventurer vers des récits intimes et forts, pour mieux bouleverser.
La complexité d’être soi
Tortues à l’infini étant un roman mené à la première personne du singulier, il opère une véritable percée dans l’esprit d’Aza en nous livrant la moindre de ses pensées et de ses réflexions.
Et l’esprit d’Aza est malade, instable. Elle souffre d’une maladie mentale qui lui empoisonne son quotidien. Sa crainte des bactéries est obsessionnelle, et elle pense régulièrement attraper des maladies mortelles.
Un instant d’insouciance, de divertissement, de complicité, peut rapidement basculer dans un moment plus sombre, où soudainement les idées les plus obscures prennent le contrôle de tout l’esprit, et où la nécessité urgente et absolue de se désinfecter, de se débarrasser de ses bactéries, dépasse le rationnel.
C’est là tout le bouleversement opéré par le roman de John Green : les tourments d’Aza sont vécus au plus près, dans toute leur dimension étouffante, invasive.
Alors qu’il racontait un moment d’échange entre deux personnages, le récit se brise soudainement, quitte à frustrer le ou la lectrice par cette interruption. Nous aussi, on veut chasser ces pensées pour reprendre le fil du récit, pourtant, on ne peut échapper à la spirale de pensées dont on est finalement pris au piège, nous aussi.
Dans Tortues à l’infini, le sentiment de ne faire qu’un avec le personnage principal est poussé à son paroxysme, et malgré le caractère parfois difficile d’Aza, c’est comme si on était une petite partie d’elle.
Alors c’est d’autant plus intéressant que le personnage soit dans une constante quête de son identité, de sa réalité. Aza s’interroge sur ce qu’elle est vraiment et pense être un personnage de fiction : par son prisme, avec l’envie de la rassurer (alors qu’elle est bien un personnage fictif !), on se rassure aussi soi-même.
Sortir le nez de Tortues à l’infini permet de prendre conscience de sa virtuosité à aborder autant de thèmes différents en un seul texte, et montre à quel point l’humain est pétri de contradictions – et c’est ce qui fait son essence.
Si le roman est une histoire très personnelle pour l’auteur (qui met en scène sa propre maladie mentale) et qu’il raconte des événements particuliers, il a pourtant beaucoup à nous apprendre sur nous-mêmes, sur notre propre humanité. C’est sans doute pour ça que finir le roman fait l’effet d’un léger flottement, comme pour faire réaliser que la lecture n’était pas anodine !
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Les Commentaires
Ses personnages sont toujours nuancés et attachants (même quand ils nous énervent). Il y a tellement d'amour et de vérité dans la plume de Green, à chaque fois ça me renvoie à des sentiments adolescents, une espèce de mélancolie. Et c'est ça qui est génial aussi. J'ai l'impression que d'une certaine manière on comprends les adolescents de Green parce qu'on s'y reconnaît et on a envie de leur dire "ne t'inquiète pas, je suis passé par là aussi et ça va aller", un peu comme si on pouvait rassurer le nous du passé, le nous de 15 ans. Une identification non actuelle mais nostalgique aux personnages.
Et d'ailleurs, la fin du roman va dans ce sens je trouve.
Du coup, est-ce qu'on peut lui demander d'en sortir un toutes les semaines, c'est possible ou pas ?