Dans un article paru le 16 mai 2023, Le Monde retrace la première journée du procès de Tariq Ramadan à Genève. L’homme, mis en examen dans cinq autres affaires de viols en France, est accusé d’avoir violé, frappé et insulté une femme dans un hôtel de Genève dix ans plus tôt. Durant sept heures d’interrogatoire, Tariq Ramadan s’est évertué à détruire le témoignage de la plaignante, à grand renfort d’archétypes sexistes, tout en livrant une masterclass en culture du viol. Palmarès.
1. Le mythe de l’allumeuse
Grand classique, l’archétype de l’allumeuse est souvent convoqué dans les rhétoriques antiféministes qui visent à inverser la culpabilité et à reprocher à la victime de « l’avoir bien cherché ». Tariq Ramadan en reprend tous les codes.
Niant avoir agressé la plaignante, il cherche à démontrer à tout prix que cette dernière n’était pas seulement consentante, mais même à l’initiative de leur échange, qui selon lui, n’a d’ailleurs pas abouti : « Elle me fait du rentre-dedans. C’est l’homme qu’elle aborde. Pas le théologien. Elle me dit que je suis beau, sexy. Elle vient dans une tenue suggestive ». Il évoque les vêtements de la plaignante, comme si ceux-ci témoignaient de sa disponibilité et de son envie, avant d’ajouter, sans honte : « Ce qu’il faut que vous compreniez, c’est le caractère très, très entreprenant de la plaignante ».
En face, il serait resté de marbre, affirmant même (comme Donald Trump au sujet de E. Jean Caroll) qu’elle n’est pas son style : « Il peut arriver qu’une femme ne vous plaise pas ». Affligeant.
2. Le mythe de la femme vengeresse
Autre argument convoqué, celui de la femme vengeresse s’en prenant à l’homme qui l’aurait rejetée. Une fois de plus, Tariq Ramadan est un cliché sur pattes : « Sa souffrance, c’est que je l’ai éconduite. Sa vengeance, c’est de me faire tomber ». Il affirme ainsi que la plaignante aurait tout fait pour provoquer « sa chute », pour le pousser « dans un traquenard », en s’alliant à ses « ennemis idéologiques ».
Cette rhétorique frôle celle du complot, comme employée, une fois de plus, par Donald Trump dans ses divers procès, lors desquels il criait au coup monté, accusant la journaliste E. Jean Caroll ou l’actrice Stormy Daniels de s’en prendre à lui par conviction politique et pour l’empêcher de remporter les prochaines élections présidentielles.
3. Le mythe de la femme menteuse
Tout au long de cette première journée de débat, Tariq Ramadan n’a de cesse de répéter que sa victime présumée ment. Il va jusqu’à lui reprocher de desservir la cause féministe (comme s’il en était un allié), dans un effort désespéré de prouver sa prétendue bonne foi : « Je n’ai pas violé votre cliente. Je le répète une fois pour toutes. Et elle est la personne qui dessert plus que tout la cause de toutes les femmes sur Terre. Une femme ne peut rien commettre de pire que de mentir sur un viol ! ». Ses mots accusent la plaignante d’être ainsi l’autrice d’un crime affreux, d’une trahison impardonnable, bien plus terrible que ce qui lui est reproché.
4. L’excuse de la « faiblesse humaine »
Tariq Ramadan cherche à tout prix à instaurer une certaine universalité dans son expérience, afin de susciter l’empathie de ses auditeurs. « Tout être humain peut comprendre cela » assène-t-il. Sur ses actions, il joue la carte d’une faiblesse humaine, dans un effort de diminuer la gravité des faits qui lui sont reprochés : « Je vous renvoie, maître, non pas à votre condition d’avocat, mais à votre condition d’homme » martèle-t-il. « Chacun d’entre nous peut avoir des contradictions morales. J’ai fait quelque chose qui est extrêmement humain ».
5. Le cliché de l’homme manipulé
Tout son discours révèle donc une rhétorique bien ficelée dont le but est d’inverser la culpabilité en se positionnant en victime, lui qui se présente comme « intellectuellement et physiquement diminué », en proie à des « problèmes de mémoire » et de « dépression ». La plaignante aurait abusé de sa condition, de sa fragilité et de sa solitude. Lui, en revanche, joue ‘cartes sur table’ et reconnaît avoir eu des liaisons extra-conjugales, comme si cet aveu suffisait à prouver son honnêteté.
Mais, malgré ces aveux, il décline toute responsabilité : « Je ne vivais pas une vie normale. Je prenais l’avion plusieurs fois par semaine. Je voyais peu ma famille, je me retrouvais seul à l’hôtel. J’étais accessible. J’étais vulnérable. J’ai baissé la garde. [Avec les femmes] je suis entré dans le jeu. La sagesse aurait voulu que je m’éloigne mais ça n’a pas été le cas ».
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