Ça fait belle lurette que le joaillier Tiffany’s & Co. n’évoquait plus grand-chose d’autre auprès du grand public que le prénom cité en titre du film Breakfast at Tiffany’s (qui date quand même de 1961, aussi culte soit-il).
C’est à peine si l’on se souvient qu’il renvoie à une maison de joaillerie, encore moins de ses bijoux phare tels que le cadenas en forme de coeur gravé d’un « Please return to Love », du pendentif « Love » écrit tel un graffiti par Paloma Piccaso (oui, c’était la fille du peintre Pablo Picasso), ou encore de la manchette « Bone » imaginée par Elsa Peretti (qui vient de mourir dans la vraie vie, et de revivre dans la série Halston).
Non pas que ce soit obligatoire de connaître ce genre de choses, c’est juste qu’il n’y a encore pas si longtemps, les petites boîtes à bijoux bleues de Tiffany’s & Co. fascinaient énormément de gens ! Mais ça date.
Comment vendre de la joaillerie aux jeunes ?
Autrement dit, la marque connaît une perte de désirabilité car elle peine à séduire la jeunesse. Pourtant, elle se montre plutôt innovante dans le milieu assez lent, pour ne pas dire conservateur, de la joaillerie.
En plus de ces designs, ce sont aussi ses engagements qui la démarquent : Tiffany’s & co. soutient publiquement les personnes LGBTI+, le mariage pour tous, et l’égalité entre les genres, à travers des campagnes et la création d’une ligne de bagues de fiançailles « pour hommes ».
Mais tout cela ne suffit pas à séduire les jeunes générations, qui savent pourtant raquer pour des bijoux qui les font craquer — les bracelets « Juste un clou » ou « Love » de Cartier l’illustrent bien, car ils se vendent comme des petits pains malgré leurs prix exorbitants, notamment grâce à leur popularité auprès des influenceurs. Même la maison Bulgari rajeunit son image depuis quelques années déjà en envoyant ses sacs à main Serpenti à toutes les influenceuses mode de cette planète ou presque, et en choisissant récemment notre Léna Situations nationale comme ambassadrice !
Toujours est-il que Tiffany’s & Co reste une marque chargée d’histoire, faisant partie intégrante du patrimoine occidental. Elle a donc un un immense potentiel, ce qui a amené le groupe de luxe LVMH à la racheter pour une somme record : 15,8 milliards de dollars, après de longues négociations entamées en novembre 2019 qui ont officiellement abouties en janvier 2021.
Le Tiffany de Maman est mort, vive le nouveau Tiffany
Et le premier signe de transformation depuis le rachat fait déjà polémique : la campagne débutée en juillet 2021, « Not your mother’s Tiffany ». Comprendre : ce n’est pas le même Tiffany’s que celui de ta mère.
Un slogan utilisé pour accompagner des photos collées dans la rue de jeunes femmes qui portent des bijoux en argent pour accessoiriser des looks étonnamment casual : débardeur et jean denim brut. De quoi provoquer l’effet d’un diamant dans la mare.
Cela peut sonner comme une provocation anodine dans le milieu de la mode grand public, mais c’est loin d’être le cas du côté de la joaillerie de luxe. D’autant que ce slogan s’accompagne de légendes qui enfoncent le clou sur Instagram : « Peut-être que c’était cool à l’époque ? Peut-être que ta mère est plus cool que toi ».
Forcément, ce genre d’expression a provoqué l’effet d’un crachat de la part de la maison à l’encontre de sa clientèle historique. Potentiellement une sacrée balle dans le pied, d’autant qu’on parle d’onéreux bijoux, donc souvent transmis de génération en génération, comme le rappellent beaucoup de clientes en commentaires Instagram :
« Veuillez retirer cette campagne publicitaire. Vous nuisez à l’image d’une marque emblématique ainsi qu’à de nombreux clients de longue date. Pour toutes les mères, grands-mères et arrière-grands-mères. »
« Ma première pièce Tiffany était un cœur qui appartenait à ma mère, en fait. »
« Je déteste cette campagne. Tiffany est censé être intemporel »
« Qu’est-ce que vous essayez de dire ? Qu’être classe est ringard ? »
Des internautes sous les posts Instagram de la campagne « Not your mother’s Tiffany » du joaillier américain
Se réimposer dans tous les esprits par le scandale
Gros bide marketing ou coup de génie pour volontairement piquer au vif toutes les personnes auprès desquelles Tiffany’s évoque encore quelque chose, et raviver ainsi le charme intemporel des bijoux de famille ? C’est en tout cas une stratégie qui a déjà porté ses fruits, comme le montre par exemple l’iconoclaste professionnel Hedi Slimane, passé maître dans l’art de transformer les scandales de rupture esthétique en ventes.
C’est lui qui, dès 2000, a rebaptisé les classiques collections masculines de la maison Dior, autrefois appelées « Christian Dior Monsieur » en « Dior Homme », les rendant plus faciles à comprendre à l’internationale, et les a modernisées en imposant le costume slim et les skinny jeans, quasi révolutionnaires à l’époque.
Il quitte la maison en 2007, se consacre à la photo quelques années, avant de revenir à la mode en 2012, décrochant le « Yves » de Saint Laurent tirant du scandale suscité par ce geste le terreau de son nouveau succès. D’autant qu’il remplace également la sensualité habituelle de la maison par un sex appeal à fleur de nerf, avant de partir en 2016. Même recette de rupture brutale chez Celine, dont il retire l’accent, et y impose depuis son esthétique rock.
C’est peut-être une stratégie semblable qu’essaye de mettre en place aujourd’hui Tiffany’s & Co. Car LVMH ne sait que trop bien combien cela peut fonctionner : ça a cartonné chez Dior, et aujourd’hui chez Celine. Cela a également été un succès commercial chez Saint Laurent qui appartient au groupe concurrent, Kering, donc LVMH se frotte sûrement les mains d’avoir réussi à rapatrier Hedi Slimane.
Au-delà de la provocation des mots, ce lifting inattendu du collier de perles à porter en jean et baskets plutôt qu’en petite robe noire du soir peut effectivement plaire à une nouvelle génération complètement décomplexée à l’idée de mixer vestiaire casual et sophistiqué, luxe et décontraction.
C’est ce qu’illustre bien le récent choix d’égérie, Rosé du groupe de K-Pop BlackPink, pour la ligne de bijoux à l’esthétique industrielle, voire brutaliste, Tiffany CityHardwear.
Si vous voulez notre avis, ce n’est sûrement qu’une question de temps avant que les jeunes ne veuillent prendre leur petit-déjeuner devant les vitrines de boutiques Tiffany, telles de nouvelles Holly Golightly…
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