Précédemment dans #62jours : Pourquoi je cherche à être plus productive ?
Je réfléchis depuis plusieurs jours à mieux m’écouter. Il était donc évident que je m’intéresse à mon langage. Après tout, l’écoute la plus facile, c’est celle-ci : qu’est-ce que je dis, qu’est-ce que ça veut dire et qu’est-ce que ça dit de moi ?
Or quand je m’écoute — ou plutôt, quand je me ré-écoute en podcast, en vidéo —, je remarque mes nombreux tics de langage.
C’est parti pour une auto-critique impitoyable et nécessaire.
Tic de langage insup n°5 : « genre »
Tout droit inspiré du « like » que les Américain•es utilisent à outrance pour ponctuer leurs phrases, j’utilise « genre » comme une virgule bien marquée.
Genre quand je veux donner un exemple, ou démontrer quelque chose. Mais comme genre je sais pas si mon propos est genre un exemple ou un argument, je mets « genre » avant, pour nuancer.
Et c’est tout le problème de cette expression extrêmement polluante : faute de tempérer (car « genre » n’amène aucune nuance), ça dilue ce que j’ai à dire.
Je cale « genre » dans mes phrases parce que je ne prends pas le temps de réfléchir, de construire ma pensée et développer mon propos avec clarté et cohérence.
Ce tic me dispense de l’effort de clarté, puisque tu comprends, je dis pas EXACTEMENT ça, je dis GENRE ça. Prends ce qu’il y a à prendre, jette le reste.
Ce que ça dit de moi ? Paresse intellectuelle. Paresse tout court, d’ailleurs : c’est comme si en parlant, je rendais un brouillon au lieu de me relire et de soigner l’expression avant de rendre ma copie.
Tic de langage insup n°4 : « en mode »
C’est toujours une traduction du « like » américain, qui a le mérite par rapport à « genre » d’apporter une pointe de précision supplémentaire : « en mode », c’est « dans tel paradigme ».
« Je me disais qu’on pouvait reprendre cet article en mode humour », ça voudrait dire en langage cohérent : on pourrait réécrire cet article en choisissant un angle humoristique.
Notez la différence entre les deux exemples ci-dessus. C’est vraiment pas la mer à boire, mais faut croire que ce sont 4 mots de trop pour mon esprit, qui préfère résumer ce propos par l’expression toute faite « en mode ».
Le summum de la paresse intellectuelle étant alors l’association avec « genre ». Pièce à conviction numéro 1 :
« J’étais en mode genre décontractée ».
Achevez-moi.
Ce que ça dit de moi ? Je ne sais absolument pas de quoi je parle. Non seulement mon propos est flou, mais en plus je suis incapable de le contextualiser pertinemment.
Tic de langage insup n°3 : « paltime »
J’en parlais dans ma réflexion sur la productivité : ma tendance à répondre « paltime » (à l’oral ou à l’écrit) trahit chez moi deux états de fait.
Le premier, c’est mon incapacité à faire respecter mes propres limites. Si ma seule ligne de défense est de répondre « j’ai pas le temps » (en bouffant des syllabes car QUI A LE TIME ?), c’est que je me suis salement laissé déborder par des tâches ou des sollicitations non prioritaires.
Le deuxième état de fait découle du premier : c’est mon incapacité chronique à hiérarchiser mes tâches
, quelles qu’elles soient. Ce qui m’amène à subir mon emploi du temps, donc à défendre ses dernières cases libres par cette expression évidemment exaspérante pour qui s’en trouve récepteur.
Ce que ça dit de moi ? Que je dois être vraiment pitoyablement organisée, si j’ai même pas le temps de faire une phrase correcte quand on me pose une question.
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Tic de langage insup n°2 : « en fait » (et fondamentalement)
Avant je disais beaucoup « du coup » comme mot de liaison, mais ça m’a tellement rapidement saoulée que j’ai très vite adopté le « en fait » à la place.
Ce qui m’amène donc à commencer la plupart de mes prises de parole par « en fait », y compris en milieu de phrase.
À ce propos, voici une excellente suggestion de jeu à boire : tu regardes le replay de mon passage dans Mille et une vies, et à chaque fois que je dis « en fait », tu bois un shot.
Note le timecode de ton coma éthylique dans les commentaires !!! (JE DÉCONNE hein, l’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération.)
Ce que ça dit de moi ? Que j’ai pas confiance en mes opinions, parce que je sens le besoin de toujours en revenir aux faits, ou aux bases (« fondamentalement »).
Je veux prendre du recul, donner de la perspective à mon propos, mais au lieu d’amener moi-même cette contextualisation, j’en appelle aux faits.
Quels faits ? Quels « fondements » ? Personne ne le saura jamais. Mais je continue d’abriter ma pensée derrière, comme un enfant se cache dans les jupes de sa mère.
Quel courage intellectuel !!! (Non).
Tic de langage insup n°1 : « insup’ » (et JPP)
INSUP, abréviation de « insupportable » et JPP, acronyme de « j’en peux plus », que j’utilise exactement pour les mêmes (mauvaises) raisons que « paltime ».
Ce que ça dit de moi ? Que c’est moi qui suis insup. Que je ne m’étonne pas si d’autres n’en peuvent plus de mes abréviations à l’oral…
Ce que tous mes tics de langage disent de moi
Que je manque de confiance en moi. Parce que sinon, j’aurais aussi confiance en mes idées, j’utiliserais donc un langage clair et assuré pour les exprimer.
Mes raisonnements me seraient trop précieux pour que je me risque à les abîmer par des expressions aussi brouillonnes et mal adaptées.
Tous les tics que j’emploie contribuent à standardiser, à gommer les aspérités de ma pensée pour la rendre plus conforme à la moyenne.
Beaucoup de gens abusent de ces tics, c’est normal que je les chope au passage, non ?
Ben non. Je choisis mes mots. Et je devrais les choisir plus soigneusement si je tiens à ce que mon discours soit entendu, écouté, respecté.
Parce que y a pas plus insup’ qu’une meuf qui se pose là, en mode genre je sais de quoi je parle, alors qu’en fait, elle parle aussi mal que tout le monde. JPP sérieux, paltime pour ces conneries.
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