L’album le plus vendu de l’Histoire. C’est quand même quelque chose. On ne sait pas trop combien de disques ont été vendus, on avance parfois le chiffre de 100 millions. Thriller a un peu changé le monde. Je ne saurais pas vraiment dire si ce fut plus en bien qu’en mal. Car oui, le sixième album solo de Michael Jackson, n’a pas qu’une dimension purement musicale, et, une fois n’est pas coutume, il convient de parler du grand chambardement qu’a occasionné sa sortie le 30 novembre 1982.
Thriller est un album très bizarre, complètement unique, d’autant plus dans la fragile industrie du disque de l’époque. Chaque piste est un tube interplanétaire, chacune pour des raisons différentes.
Le frénétique “Wanna Be Startin’ Something” ouvre l’album, et les paroles sont largement ignorées par tout le monde, mais regardez : “I said you wanna be startin’ somethin’ / You got to be startin’ somethin’ / Too high to get over / Too low to get under / You’re stuck in the middle / And the pain is thunder.” On est loin des paroles pleines de légèreté et de naïveté qu’on pouvait trouver sur le précédent album Off the Wall rempli de tubes disco. Tout le monde connaît par coeur les paroles de la chanson (et de tout l’album), mais celles-ci m’ont toujours intriguées, j’y vois un Michael Jackson qui se pose déjà des questions sur lui-même, légèrement parano, ressentant déjà la pression de la starification, bref, les germes de ce qu’il est devenu. Le titre en lui-même est épique, génial et original, même s’il ressemble en substance à ce qui a été fait sur Off the Wall. Il dure 6 minutes, ce qui est déjà étonnant pour l’époque, mais c’est surtout la dernière minute trente qui étonne, le chant swahili (“Mama-se, mama-sa, mama-coo-sa”) accompagné de simples percussions, qui donne à la chanson une ampleur gigantesque, abat les frontières, et séduit tout le monde, au-delà de la couleur, de la religion, de n’importe quoi.
Le très jazzy et r’n’b “Baby Be Mine” tranche avec ce que la plupart des artistes noirs américains produisaient : c’est une pure chanson d’amour, sans message politique, sans sexe, sans violence, sans références culturelles particulières, une pure chanson d’amour qui parle à tout le monde. Alors que Marvin Gaye et Prince tapaient dans la métaphore sexuelle – ou parfois sans aucune métaphore – ou que les rappeurs américains défendaient les droits civils avec violence, décrivaient leur quotidien fait de difficultés, de racisme, Michael Jackson a fait autant pour la destruction des barrières raciales en faisant des chansons qui n’avaient pas pour but de porter un message, une revendication, mais juste du divertissement pour tous, que votre peau soit jaune, noire, blanche, rouge, verte. Le duo avec le précédent roi de la pop Paul McCartney, sur “The Girl Is Mine”, détonne encore une fois. L’espèce de dialogue qui s’installe pendant la chanson entre Jackson et McCartney est parfaitement ridicule. C’est bien la seule chanson de l’album que je passe à chaque fois, d’autant plus que la voix de l’ex-Beatle m’énerve profondément.
On arrive à “Thriller”. Il y en a des choses à dire. Déjà le thème de la chanson, les morts-vivants, le surréalisme, l’extrême noirceur des paroles et de l’imaginaire associé, témoigne encore une fois de l’état d’esprit de Michael Jackson. J’ai du mal à croire que cette chanson ne soit qu’un “délire”, non, pas avec quelqu’un avec un passé et un futur aussi torturé et sombre que le sien, qui, paradoxalement, sera toujours sous les feux de la rampe, parfait exemple de la star qui connaîtra les plus hauts sommets imaginables, mais aussi les pires moments, avant, pendant et après son incroyable succès avec Thriller. “They’re out to get you, better leave while you can / Don’t wanna be a boy, you wanna be a man.” chante le Jackson de 24 ans dans “Thriller”, déjà très fragile et traversé d’interrogations et de pensées plus sombres qu’on ne l’imagine, même en écoutant les sonorités obsédantes de la chanson, et en regardant le clip cultissime.
Le clip, parlons-en. Produit par MTV, c’est lui qui lancera sur les rails la machine du même nom. Avec le succès commercial gigantesque du disque, et le succès du clip, un des premiers du genre, l’industrie du disque trouvera en Michael Jackson son sauveur, et le clip de “Thriller” sera pour MTV une seconde naissance, et on sait ce que cela a engendré. Voilà ce que cet album a fait de mal, plus ou moins involontairement. Car oui, Michael Jackson et Quincy Jones, le producteur, voulaient un énorme succès, mais ce succès à fait se rendre compte à un tas de gens du potentiel commercial de la musique, et de tout l’argent qu’il y avait à se mettre dans les poches. La machine était en route, et on en paye encore le prix aujourd’hui.
Mais s’il fallait tout ça pour qu’on puisse écouter une fois dans notre vie les titres qui suivent, ça vaut bien d’écouter des merdes incroyables toute la journée à la radio ou à la télé. Car les titres qui suivent ce sont “Beat It” et “Billie Jean”.
“Beat It”, pur moment de dance-rock, avec ce solo de guitare de Eddie Van Halen qui me donne toujours des frissons. Sérieusement, que dire de ce titre sinon que c’est l’expression d’un pur génie musical ? J’y vois un Jackson effrayé et sombre, encore. Alors que beaucoup des chansons de Off the Wall avaient été écrites par d’autres (Paul McCartney, Stevie Wonder…), le songwriting de Jackson montre vraiment ses appréhensions, sa fragilité, le tout enveloppé dans une pop sans défauts, tout est parfait, que ce soit sur “Beat It”, avec son clip à la West Side Story ou “Billie Jean”.
Cette chanson est un monument, la ligne de basse est démentielle, la batterie, pffffouuu… Encore une fois, c’est une histoire très sombre que raconte Jackson, celle d’un homme prisonnier d’un conflit avec une femme qui affirme qu’il est le père de son enfant. Sur cette chanson, c’est surtout la sincérité d’un type qui est dans le star-system depuis ses 10 ans qui frappe. Michael Jackson est extrêmement sensible, et fait preuve dans cette chanson d’une empathie exceptionnelle. Musicalement, il n’y a rien à dire, c’est la chanson pop qui a marqué absolument tout le monde, c’est le référentiel, le chef-d’oeuvre du genre.
La sensibilité de Jackson se fait encore plus sentir sur “Human Nature” – qui sera reprise par Miles Davis, c’est pas rien non plus – mais ce sont ses talents de chanteur qui vous explosent à la figure. La sensualité de cette chanson et la douceur qui se dégage de la voix constrastent avec la violence de “Beat It” et la noirceur de “Thriller”, comme une lueur après la tempête. Cette tendance se poursuit avec “P.Y.T. (Pretty Young Thing)”, titre r’n’b aux accents funky, véritablement très drôle, avec les voix déformées, les voix d’enfants qui répondent à celle de Jackson. On est loin de la paranoïa et de l’ambiance flippante de la première partie du disque. “The Lady In My Life” clôt l’album sur une nouvelle touche de douceur, splendide ballade où il démontre encore une fois qu’il est un des meilleurs chanteurs de la pop music.
Avec Thriller, Michael Jackson a mis le monde à ses pieds, s’est imposé, lui, un noir, en tant que roi de la pop, titre que personne ne pourra plus jamais lui contester. Il y montre toutes les facettes de sa personnalité complexe, et, analysé en sachant ce qu’il est devenu, certaines pistes prennent un sens nouveau. Cependant cela ne doit pas gâcher le plaisir que procure les 9 titres de l’album.
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