Au cinéma, il y a ces films qui ne connaissent aucune alternative au dilemme invisibilisation des femmes racisées / stéréotypes racistes. Et puis, il y a The Woman King, en salles ce mercredi 28 septembre.
Voici la critique et l’analyse du film, dont j’espère que vous l’avez déjà vu en cinéma ou au VOD — parce qu’il est génial, mais aussi parce que cet article est généreusement saupoudré de spoils.
The Woman King, de quoi ça parle ? (sans spoilers)
The Woman King retrace l‘histoire vraie des Agojie, une unité de femmes guerrières d’élite chargées de protéger le royaume de Dahomey au début du XIXème siècle en Afrique de l’Ouest, à l’endroit où se situe l’actuel Bénin.
La Générale Nanisca forme et entraîne une nouvelle génération de recrues. Elle les prépare ainsi à une bataille sans merci contre les colons.
Un blockbuster afroféministe
The Woman King est réalisé par une femme noire, raconte l’histoire de femmes noires, et est incarné par des actrices noires darkskin. Quand le générique de fin défile, on constate que derrière la caméra aussi, l’immense majorité des noms sont féminins.
Et ça se voit. Et c’est un pas immense pour le féminisme au cinéma, c’est-à-dire pour le cinéma tout court.
Sans avoir vu The Woman King, on pourrait craindre qu’il ne s’agisse que d’un énième film se revendiquant féministe mais qui se contenterait de remplacer superficiellement des hommes par des femmes. Un blockbuster où les guerrières auraient tout aussi bien pu être des hommes puisque les représentations ne changent pas, le film étant toujours aussi viriliste.
Il n’en est rien.
Les personnages de The Woman King sont d’une densité et d’une profondeur impressionnantes. Le film se fixe en particulier sur trois femmes : la générale Nanisca (Viola Davis), Izogie, guerrière d’exception (Lashana Lynch) et une jeune recrue Agojie, Nawi (Thuso Mbedu). Toutes trois sont dotées de personnalités aussi distinctes que passionnantes. Chez elles, l’humanité, l’intelligence, la loyauté mais aussi l’humour se côtoient, en faisant de purs exemples de personnages de cinéma réussis.
Réalisatrice brillante, Gina Prince-Bythewood imbrique à la perfection la forme du blockbuster avec des enjeux que l’on ne retrouve jamais dans les gros films d’action, et rarement dans le cinéma : la mysoginoir, la maternité ou encore les violences sexistes et sexuelles.
Ces thèmes sont en partie à l’origine d’un scénario rempli de rebondissements et de moments d’une grande puissance. Finalement, l’intime est aussi politique et important que la bataille épique contre l’ennemi, ce qui donne à ce blockbuster afroféministe une profonde cohérence entre le fond et la forme. C’est bien en tant que femmes noires que les guerrières luttent sur le champ de bataille et au quotidien. Elles se battent pour survivre et protéger les leur(e)s de toutes les oppressions : le patriarcat, le colonialisme, l’exploitation des humains et la destruction de la terre.
Une mise en scène virtuose
Au-delà de l’importance de son sujet sur un épisode de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest, The Woman King est extrêmement bien mis en scène.
Il dénote dans le paysage des blockbusters, où certaines productions donnent l’impression d’avoir été réalisées par une intelligence artificielle tellement la mise en scène se limite à une succession aléatoire de plans d’ensemble et d’images de drones. Le tout, filmé avec la même lumière que celle qui éclaire un magasin Franprix. Oui, on pense fort à Marvel.
Dès les premières minutes de The Woman King, on éprouve la virtuosité des scènes de combat. Les chorégraphies superbes, les cascades impressionnantes et la sororité entre les guerrières nous font éprouver l’ampleur de leur puissance. Les moments de batailles sont très dynamiques. La réalisatrice Gina Prince-Bythewood trouve un bel équilibre entre l’énergie de la lutte et un découpage assez précis pour laisser au spectateur le temps d’apprécier chaque mouvement plutôt que verser dans une cacophonie à en donner la migraine.
En particulier, The Woman King film brille par son traitement des violences sexistes et sexuelles. Celles-ci sont représentées à travers des flash-back, incarnant des passés traumatiques. Les représentations d’agressions sont extrêmement brèves et toujours filmées en point de vue subjectif : autrement dit, on se situe systématiquement du point de vue des victimes. Dès lors, le film fait preuve d’une grande éthique et ne verse jamais dans la violence sensationnaliste ou la complaisance avec les agresseurs (contrairement à un trop grand nombre de films et de séries.)
La culture précoloniale comme arme de résistance
Toute la première partie du récit de The Woman King se déroule à l’intérieur du palais où sont recrutées et formées les jeunes guerrières. Ce début de film est un moyen pour le spectateur de découvrir l’armée Agojie, mais aussi la jeune héroïne et personnage principale, Nawi, pendant son initiation.
Sa formation posera des questions majeures dans le cadre d’un film profondément anticolonialiste : où se trouve l’équilibre entre le fait de sauver sa peau, et désobéir pour aider une sœur en difficulté ? Faut-il systématiquement respecter l’ordre établi par la hiérarchie, ou cultiver sa force de proposition et son audace voire même son insolence, parfois indispensables dans la lutte ?
De plus, si le film commence sur un récit d’initiation, c’est que The Woman King est peut-être par dessus tout un film sur la transmission et l’héritage. À travers cette chronique historique, Gina Prince-Bythewood nous plonge dans une époque où cette culture était préservée du pillage colonial.
À ce titre, la diversité et la richesse inouïe des coiffures et des scènes de coiffage de cheveux crépus, des costumes, des danses, des chants et des rites, dans le film ne sont pas anodines : elles sont éminemment politiques. Il ne s’agit pas pour la réalisatrice de déguiser les actrices et de les faire défiler dans un paysage exotique de pacotille. Chaque détail des costumes ou des décors est un éblouissement visuel et un geste politique et anticolonialiste fort. À ce titre, le seul point regrettable du film est sans doute cet accent employé par les acteurs…
En définitive, il y a une forte dimension méta dans The Woman King. Les femmes noires à l’origine du projet font revivre une culture que le colonialisme aura tenté de détruire pendant quatre siècles. Qui plus est, elles le font dans un blockbuster à 50 millions de dollars, genre où, à l’exception de Black Panther, on ne voit pratiquement que des hommes blancs. Les femmes de The Woman King sont aussi puissantes, révolutionnaires et importantes que les guerrières auxquelles en rendent hommage.
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Crédit de l’image à la Une : © CTMG, Inc. All Rights Reserved.
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Les Commentaires
"Le principal écart entre le film et la réalité historique est l'attitude des Agojie envers l'esclavage. En effet, The Woman King minimise fortement la responsabilité des guerrières du Dahomey dans la traite d'esclaves. En réalité, les Agojie étaient régulièrement impliquées dans des raids visant à capturer des prisonniers afin de les vendre comme esclaves aux marchands européens. En outre, le roi Ghézo n'a nullement aboli cette pratique pendant son règne. Le Dahomey cesse de pratiquer l'esclavage en 1852, après avoir essuyé pendant vingt ans des pressions de la part du Royaume-Uni, qui, dans l'intervalle, avait aboli l'esclavage dans ses colonies en 1833 pour des raisons idéologiques et économiques"