C’était un film très attendu que cette première œuvre de Maggie Gyllenhaal en tant que réalisatrice, adaptation qui plus est d’un livre éponyme d’Elena Ferrante. The Lost Daughter a déjà été primé à la Mostra de Venise pour son scénario ! Une distinction méritée.
Une sortie sur Netflix un 31 décembre était une date bien choisie – on a ainsi pu le regarder et prendre une petite claque le soir du réveillon, en mode lose-fatigue-Covid, ou le 1er janvier après une fête jusqu’au bout de la nuit. Il est bien sûr toujours sur la plateforme pour celles qui ne l’ont pas encore découvert.
The Lost Daughter, une vraie réussite
Nous n’avons pas été déçues par ce film original, à la mise en scène impressionnante, qui traite d’un sujet peu exploité au cinéma : l’ambivalence d’une mère face à la maternité.
Un décor de carte postale est planté. Une île grecque, sur laquelle on se projette aisément, munie d’un grand chapeau, de lunettes de soleil, d’un bouquin sous le bras. Voilà les vacances qu’une professeure de littérature comparée, Leda (interprétée par la fantastique Olivia Coleman), a décidé de passer.
Seule, elle est bien décidée à se faire plaisir, à lire sur la plage, manger au restaurant ou sur sa terrasse de bons plats grecs. Mais c’était sans compter sur une famille américaine dont les rassemblements perturbent le calme apparent de la plage, et dont certains membres n’ont pas envie de s’encombrer de la présence de cette touriste mystérieuse.
Leda commence à développer une légère obsession pour une jeune mère de cette tribu bruyante, Nina (Dakota Johnson), en laquelle elle se reconnaît. Cette dernière n’est que peu libre de ses mouvements, sa fille était sans cesse accrochée à son cou.
Quand la petite va perdre sa poupée, sorte de doudou duquel elle ne peut se passer, les choses vont commencer à se gâter pour tout le monde…
Une maternité « contre-nature »
Au début du film, Leda croise une femme enceinte et lui assène une phrase qui ne semble pas, au vu de son regard profond, être un bavardage anodin. Cela plante le décor !
« Vous verrez, les enfants sont une responsabilité écrasante. »
Leda passe une bonne partie de ses journées à regarder Nina et sa petite fille — laquelle ne lui laisse aucun répit. On sent l’envie et l’empathie se mêler chez la professeure solitaire.
Maggie Gyllenhaal réussit à faire naître chez les spectateurs des sentiments ambigus envers Leda, entre admiration de son côté badass et inquiétude diffuse face une personnalité trouble. Que s’est-il produit dans son passé pour qu’elle agisse de la sorte, parfois de façon si irrationnelle ?
Ce qui suit va spoiler The Lost Daughter. Si vous ne l’avez pas vu, passez à la partie suivante pour ne pas vous gâcher l’intrigue !
On apprend par bribes de conversation et par flash-back (un poil trop explicatifs) que cette professeure de 48 ans, au caractère bien trempé et à la farouche et légitime volonté de vivre comme elle l’entend, a deux filles – maintenant adultes –, dont le besoin de soin et d’attention constant lorsqu’elles étaient plus petites ont été une souffrance pour elle. Elle était sans cesse interrompue par leurs demandes, n’avait pas envie de jouer avec elles, n’aimait pas leur parler au téléphone.
Leda, alors jeune professeure et jeune mère, n’ayant plus la patience de s’occuper d’elles, a quitté le domicile trois ans durant quand ses filles avaient 5 et 7 ans, les laissant à son mari d’alors déboussolé.
Lorsqu’elle revient sur cet événement, larmes aux yeux, l’émotion est palpable. Nina, elle aussi agacée par l’attention que lui demande sa fille, lui demande comment c’était, sans elles. Leda répond :
« C’était génial. Comme si enfin je pouvais exploser et j’ai explosé. »
Et lorsque que la jeune mère l’interroge sur ce qui l’a fait revenir, Leda déclare :
« Elles me manquaient, alors comme je suis une personne égoïste, je suis revenue. »
Mais elle n’est pas à l’aise avec ce qu’elle a fait et finit par décrire comment elle se voit, dans un presque cri :
« Je suis une mère contre-nature. »
C’est donc par ce terme que Leda définit sa façon d’être mère. Ce film teinté de féminisme, nous montre, sans lourdeurs, une femme, gênée, empêchée par son rôle de mère, qui a décidé de s’en libérer. Ce « contre-nature » nous indique qu’elle ne se sent pas dans la norme, qu’une partie d’elle serait monstrueuse.
Montrer les imperfections de l’amour maternel est un combat féministe. Ce personnage de mère contrariée est peu rencontré au cinéma. On voit beaucoup plus de mères sacrificielles, image d’Épinal de ce que doit être la bonne maternité. Difficile de savoir si Leda éprouve juste une certaine ambivalence face à son rôle de mère si accaparant ou bien carrément un regret d’avoir enfanté. Le film nous laisse à notre interprétation…
Ambivalence et regret maternel
Alors que ces termes n’étaient que peu employés par le passé, ils sont maintenant décrits et théorisés. Et même si le tabou perdure et l’on comprend dans un sens pourquoi (par anticipation de la réaction des enfants), les langues se délient – anonymement ou non – et cela fait du bien.
L’ambivalence maternelle, c’est la coexistence de l’amour et de la haine et cela a été théorisé en premier par la psychanalyse (tout n’est donc pas à jeter dans ce domaine !).
Toutes les femmes ne la ressentent pas et ces sentiments ambivalents peuvent coexister ou alterner. Adrienne Rich, en 1980, dans Naître d’une femme : la maternité en tant qu’expérience et institution, l’exprime ainsi :
« Mes enfants me causent la plus exquise souffrance que j’aie jamais connue. C’est la souffrance de l’ambivalence : l’alternance meurtrière entre le pire ressentiment et les nerfs à vif, et une satisfaction et une tendresse heureuses »
L’ambivalence maternelle est différente du regret maternel, qui se caractérise par un regret du rôle de mère, même s’il peut coexister avec l’amour de ses enfants. Cela reste le tabou ultime.
La journaliste et autrice Stéphanie Thomas avait écouté ces personnes et avait compilé leurs témoignages dans son livre Mal de mères, sorti il y a quelques mois.
Le mythe de l’instinct maternel a la peau dure et il est difficile de se libérer du fardeau de la perfection. Ce n’est pas toujours naturel, ni plaisant d’être mère. Cela ne convient pas à tout le monde. Et montrer les difficultés participe d’une libération de la parole salvatrice pour que toutes ne s’y engagent pas sans réfléchir, encouragées par les pressions et les traditions.
Les mères montrées dans The Lost Daughter sont tout en nuances et cela montre la complexité et l’ambivalence que ce rôle peut susciter. Ce film nous indique que même les femmes avec des enfants peuvent être autre chose que des mères : des intellectuelles, des amoureuses, des personnes qui veulent profiter de ce qu’offre la vie…
The Lost Daughter est sur Netflix
À lire aussi : « Il faut à tout prix dédramatiser le regret de maternité »
Image en une : Leda et Nina (© Yannis Drakoulidis/Netflix)
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
J'ai de la chance, mon conjoint s'occupe de beaucoup de choses et énormément des enfants, même si au final je gère énormément de choses... qu'il ne voit pas forcément.
Quand je lis tous les articles sur la charge mentale, émotionnelle, la répartition répartition des tâches domestiques et que je constate un tel déséquilibre dans le couple hétéro, je me dis que forcément il y a des dépressions post-partum et du regret maternel !
Quitte à se taper tout le boulot, parfois je me dis que les femmes seules qui choisissent d'avoir un enfant grâce à un donneur anonyme font le bon choix. Au moins, le fruit de leur travail revient à leur enfant et à elles, pas à quelqu'un qui les néglige.