Le 14 mai au soir, nous avons assisté à la projection de The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch, en simultané avec la cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes. Nous avons toutes les deux adoré le film, c’est la raison pour laquelle cette revue sera à quatre mains !
The Dead Don’t Die, de quoi ça parle ?
Cliff (Bill Murray) et Ronnie (Adam Driver) patrouillent la ville de Centerville, une bourgade tranquille des États-Unis dans laquelle rien ne se passe jamais, à part quelques altercations mineures entre Franck le fermier et Bob l’ermite.
Mais la Terre s’est mystérieusement désaxée, et cela donne lieu à des dérèglements étranges dans le monde entier.
Notamment, des zombies envahissent très calmement les villes pour manger de l’humain. Et spoiler alert : ça finit très mal.
Alix : The Dead Don’t Die, un film de cinéma sur le cinéma
Je prends donc ma plume pour t’écrire que le film de Jim Jarmusch est une ode au cinéma en général, et notamment au cinéma de genre, très en vogue en ce moment.
The Dead Don’t Die est film de zombies… qui n’en est pas un
Assise dans la pénombre, j’attends que le film commence. J’aimerais aimer les films d’horreur, mais comme je sursaute au moindre tressaillement de feuille morte, je ne suis pas capable de les voir au cinéma.
C’est bien parce que c’est l’ouverture du Festival de Cannes que je suis là, intriguée par cette programmation surprenante.
Après les trente premières minutes passées en apnée, je me rends compte que ce film ne me fera pas peur, et je me détends enfin.
Jim Jarmusch casse les codes du film de zombies, tout en les exploitant.
Les morts-vivants sont bien présents tout au long du film, mais malgré leur apparence terrifiante, ils ne m’ont jamais fait paniquer. Ils sortent très tranquillement de leur tombe, et leur démarche extrêmement lente, ne fait jamais d’eux les déclencheurs des jump scares que je redoute tant. En plus, Iggy Pop en zombie, c’est plus marrant que flippant.
The Dead Don’t Die est un réel pastiche du film de zombies. Jim Jarmusch a respecté tous les codes à la lettre : les revenants sortent la nuit, ils en ont après les vivants, pour les tuer il faut les décapiter…
Une des répliques fait d’ailleurs référence à George A. Romero, précurseur du genre et réalisateur de La Nuit des morts-vivants en 1968.
Cependant, Jarmusch réécrit le film de zombies en y ajoutant un humour absurde, du comique de répétition, ainsi qu’un cross-over avec le film d’extraterrestres (what is the fuque ?).
The Dead Don’t Die est truffé de références cinématographiques
Outre La Nuit des morts-vivants, Jarmusch rend ici hommage à de nombreuses œuvres cinématographiques.
Beaucoup de ces clins d’œil font références à la pop culture, car nous, spectateurs, baignons complètement dedans. Et c’est de nous dont le réalisateur parle, comme te le dira Louiselle plus bas.
La réflexion de Zelda Winston (Tilda Swinton, qui semble déguisée en Zelda des jeux vidéos) à Ronnie (Adam Driver) sur Star Wars déclenche l’hilarité de la salle, Bobby Winggins (Caleb Landry Jones) est sans cesse ramené à « Frodo Baggins » en référence au Seigneur des Anneaux… Sans parler de l’éléphant dans la salle de cinéma : The Walking Dead.
L’atmosphère de la ville perdue au milieu de nulle part où se déroulent des choses étranges m’a aussi beaucoup fait penser à Twin Peaks de David Lynch. Ce thème est beaucoup repris dans de nombreuses séries teens, représentées par l’arrivée de Zoe (Selena Gomez) et ses ami·es à Centerville.
Si Tilda Swinton est un double de Beatrix Kiddo dans Kill Bill, elle est aussi le Forest Whitaker de Ghost Dog, un film de… Jim Jarmusch.
J’ai trouvé ce film vraiment réussi dans le sens où j’ai la sensation que tout y est extrêmement bien ficelé.
Jim Jarmusch, pour boucler la boucle, en revient donc aussi à sa propre filmographie. Son casting est sa plus grosse auto-référence.
Bill Murray et Tilda Swinton en sont déjà à leur quatrième collaboration avec le réalisateur, Cloë Sevigny à sa troisième, Adam Driver jouait déjà dans Paterson… Un sacré casting d’auto-citation.
Le paradoxe du comédien dans The Dead Don’t Die
Le comédien vit un paradoxe au quotidien : celui de devoir faire semblant de ne pas savoir ce qui va lui arriver… pendant plusieurs dizaines de prises.
Il simule l’ignorance quand il est omniscient.
Jim Jarmusch a décidé qu’ici, les acteurs ne feront pas semblant. Ils balancent donc leurs répliques avec plus ou moins de résignation, selon leur prétendu degré de connaissance du scénario.
Ils connaissent donc parfaitement les codes du film de zombies et ne passent pas trois heures à comprendre qu’il faut couper la tête. ILS SAVENT. Ils ont vu The Walking Dead, eux aussi. Ça ne les étonne que très peu que les morts-vivants soient responsables des meurtres dans la ville, c’est d’ailleurs une de leurs premières suggestions.
Je suis vraiment cliente du méta-cinéma quand il est bien réalisé.
Dès le début, la scène entre les deux policiers, est surréaliste. Cliff a des airs de déjà-vu en entendant la chanson « The Dead Don’t Die » de Sturgill Simpson passer à la radio, et Ronnie lui explique que ben… c’est parce que c’est la bande-originale du film. Le jeu avec cette chanson folk qui a donné son nom au film (ou l’inverse ?) .
Adam Driver ayant lu le script en entier, il annonce dès le départ que tout va très mal se finir.
Bill Murray n’a reçu que ses scènes, n’est jamais très étonné mais s’agace qu’Adam Driver en sache plus que lui.
Tilda Swinton est dans le turfu.
Les autres personnages, notamment Mindy (Chloë Sevigny) ne sont pas autant dans la confidence.
Pourquoi
ce jeu avec le paradoxe du comédien ?
Parce que Jim Jarmusch te dit qu’en fait… c’est le spectateur le comédien. Et le cinéaste méprise un peu cette nonchalance du spectateur. Il vit dans un monde où il se complaît et s’entête à faire des choses qui affectent son futur proche, un futur où tout finit très mal. Et pourtant, il continue de le faire.
Louiselle t’en parle juste ci-dessous !
Louiselle : The Dead Don’t Die, une critique mordante de notre société
The Dead Don’t Die : et si les zombies c’était nous?
Comme le chantaient les Pretty Reckless « I am, I am a zombie ». Et toi aussi.
Dans ce film de zombie qui n’en est pas un, les morts-vivants reviennent à la demi-vie pour mâchouiller de la viande fraîche… mais pas que !
Aussitôt sortis de leur tombe, ils se dirigent vers ce qui composaient leur quotidien avant : le sport, la musique, mais aussi… le café, les téléphones mobiles, les comprimés, et autres substances en tous genres. Bref, pas mal de choses auxquelles ils étaient accros.
Au final, les zombies présentés dans The Dead Don’t Die ne sont pas si éloignés de nous, un peu comme un reflet décomposé de notre société actuelle.
Jarmusch en profite au passage pour tacler le gouvernement américain, les médias, et plus généralement les personnes de pouvoir.
Cette réprimande se fait à travers Frank le fermier, qui arbore fièrement une casquette rouge sur laquelle est brodée en lettres blanches « Keep America White Again », et en pointant du doigt la sale habitude qu’ont les médias de dire « Flex, tout va bien » quand bon… la Terre ne tourne plus sur son axe et qu’il y a des zombies dehors !
The Dead Don’t Die critique aussi la naïveté de certains, et leur refus de voir la vérité en face, même lorsqu’ils la vivent (I’m looking at you les climatosceptiques).
Mindy Morrison, la collègue de Cliff et Ronnie, illustre plutôt bien ce propos. Accrochée à sa radio, elle boit les paroles qui en sortent, refusant de croire ce qu’elle voit (des zombies), mais acceptant sans une arrière-pensée ce qu’elle entend (tout va bien).
Le sous-entendu est tellement évident que Jarmusch aurait aussi bien pu apparaître à l’écran et dire aux spectateurs : « Oui c’est de vous que je parle. La fin du monde est presque là, c’est de notre faute, nous connaissons les enjeux et nous ne faisons rien. »
À plusieurs reprises Mindy demande à être rassurée, que ses collègues lui disent « Tout va bien se passer. Le film se finit bien ». Spoiler alert : elle finit bouffée par sa propre grand-mère.
Car hélas Mindy, la technique de l’autruche ne marche pas pour tout. Parfois il faut savoir regarder la vérité en face et dire « Ok, on est baisé ».
Pas d’Alien ex machina dans The Dead Don’t Die
Présentée comme une professionnelle du découpage de zombies maniant son sabre plus vite que son ombre, tout indique que Zelda Winston, l’étrange nouvelle thanatopracteuse de Centerville sera l’héroïne de The Dead Don’t Die.
Tilda Swinton est tellement parfaite dans ce rôle… Je n’ai pas pu retenir mon rire le plus sexy quand elle maquille les corps dont elle s’occupe façon RuPaul Drag Race.
Pourtant, au moment où un deus ex machina serait plus que le bienvenu pour sauver la peau de Cliff et Ronnie, encerclés par des zombies, c’est tout l’inverse qui se produit.
Zelda ne les rejoint pas pour les aider, mais pour rentrer chez elle… dans les étoiles avec sa famille aliens !
La scène est à l’image du film : totalement wtf. Mais elle a le mérite de faire passer un message clair : personne ne viendra nous sauver lors de la fin du monde.
Une fin du monde à laquelle nous participons tant et si bien que même les aliens préfèrent se barrer de la Terre plutôt que de la coloniser !
Une morale peu subtile mais efficace dans The Dead Don’t Die
À la minute où le générique de fin s’est lancé le mec à côté de nous dans le cinéma s’est tourné vers son ami en s’exclamant :
« Alors tu vois j’allais dire que j’avais bien aimé mais vraiment cette morale de fin c’est pas possible ! »
La morale en question c’est Bob L’Ermite qui la déclame, narrateur de la disparition de Cliff et Ronnie, bouffés par les zombies.
Bien à l’abri dans sa forêt où aucun mort-vivant ne s’est aventuré (à quoi bon ? Il n’y a ni wifi, ni xanax, ni aucun autre consommable qui ne soit pas produit par Mère Nature™), il semble avoir tout compris.
Il explique que nous sommes les seuls responsables de la destruction de notre planète dans une tirade qui me fait un peu penser à la citation : « We buy things we don’t need with money we don’t have to impress people we don’t like. »
« Nous achetons des choses dont nous n’avons pas besoin, avec de l’argent que nous n’avons pas, pour impressionner des personnes que nous n’aimons pas. »
Sauf qu’il faudrait ajouter « et ça tue la planète, et nous avec. »
Au final elle ne fait que reprendre ce qui a été dit tout le long du film : l’arrivée des zombies, c’est-à-dire la fin du monde, a pour origine le changement d’axe de la planète, causé par une fracture de calottes glaciaires.
Pas besoin d’être un génie pour faire un rapprochement avec le réchauffement climatique et le rôle que la société joue là-dedans…
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Alors oui, bien sûr, cette réplique fait un peu tâche, un peu captain obvious, un peu « oké frèr, t’es lourd là, on a compris que le capitalisme c’était mal, enlève tes crocs et coupe toi la barbe mtn », mais je ne la trouve pas si inutile que ça.
Parce qu’elle permet de faire une piqûre de rappel, de laisser partir le spectateur non pas en se disant « Il était cool ce film de zombie » pour qu’il l’oublie 2 jours plus tard, mais en le marquant et le poussant à réfléchir.
The Dead Don’t Die n’est ni un simple film de zombie, ni une comédie : c’est une satire et une sonnette d’alarme, cachées sous des tonnes de maquillage.
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Les Commentaires
Même la morale du film m'a fait marrer, parce que bon,
Pour moi, le vrai exemple à suivre