Depuis la sortie de sa première saison, la série The Bold Type n’a de cesse de déconstruire tout un tas de problématiques sociales et sociétales auxquelles sont confrontées ses trois protagonistes Kat, Sutton et Jane.
Le coming out en tant que personne queer, la bi-racialité, le désir de ne pas avoir d’enfants, le viol, le port du voile… Et bien que ces thématiques ne soient pas toujours abordées à la perfection dans la série, elles ont le mérite d’y exister.
Or, l’un des choix scénaristiques de la dernière saison de The Bold Type a amené Aisha Dee, l’une des actrices principales de la série, à prendre la parole sur le manque d’inclusivité derrière la caméra.
Une twist de fin de saison qui fait polémique
La suite de cet article contient des spoilers, rendez-vous à la dernière partie pour les éviter !
C’est depuis la fin de la saison 4 que des fans de The Bold Type ont commencé à s’indigner à cause d’un début de romance qui lie Kat, seule protagoniste queer et noire de la série, et Ava, un personnage qui est loin de faire l’unanimité.
Ava a fait son apparition dans la saison 4 lorsqu’elle défend son père, RJ Safford, le patron du groupe auquel le magazine Scarlett appartient, alors que Kat s’apprête à le dénoncer pour son soutien financier aux thérapies de conversion.
Bien qu’elle explique par la suite qu’elle ne soutient pas elle-même ces pratiques discriminantes et particulièrement violentes pour les personnes LGBTQ, Ava se revendique républicaine, aka membre du parti conservateur aux USA.
À la suite de cette dénonciation, RJ est contraint de quitter son entreprise et Kat est renvoyée du magazine avant d’être embauchée en tant que barmaid dans un club où se rend Ava régulièrement.
Or, après une courte période de tensions entre les deux femmes, elles finissent par se rapprocher après le coming out d’Ava en tant que lesbienne.
Le personnage qui s’opposait jusqu’alors à toutes les valeurs pour lesquelles Kat se bat depuis les premières saisons de The Bold Type devient alors un objet de fantasme interdit qui a beaucoup fait parler, jusqu’à l’actrice de Kat elle-même.
Un choix scénaristique reflet d’un manque d’inclusivité à l’écriture
Il y a quelques jours, Aisha Dee a posté sur son propre compte Instagram un long message dans lequel elle explique ne pas être en accord avec cette décision concernant le personnage qu’elle incarne dans la série.
« J’ai trouvé que la décision de faire entrer Kat en relation avec une femme conservatrice et privilégiée était déroutante et déplacée par rapport à son personnage.
Malgré mon point de vue personnel sur cette décision, j’ai fait de mon mieux pour raconter cette histoire avec honnêteté, même si la Kat que je connais et que j’aime n’aurait jamais fait ces choix. »
Aisha Dee met ces décisions scénaristiques en parallèle avec la quasi-absence de personnes racisées dans l’équipe de scénaristes de The Bold Type :
« Il a fallu attendre 2 saisons pour qu’une seule personne non-blanche intègre l’équipe de scénaristes. Et même là, la responsabilité de parler pour l’intégralité de l’expérience noire ne peut pas et ne devrait pas être à la charge d’une seule personne.
On a eu l’occasion de raconter l’histoire d’amour entre une femme queer et noire et une femme lesbienne et musulmane, mais il n’y a jamais eu de scénaristes queer noires ou musulmanes. »
Or, comme elle l’explique si justement, il est très difficile de relater de façon authentique et réaliste des expériences que l’on n’a pas vécues.
Autre exemple très parlant d’Aisha Dee dans son post : pendant les deux premières saisons de la série, aucun coiffeur capable de s’occuper de ses cheveux crépus n’a été présent lors des tournages, ce qui semble d’autant plus aberrant qu’il s’agit de l’une des actrices principales.
Si la relation amoureuse entre Kat et Ava apporte un peu de « piment » à l’histoire, elle n’est absolument pas cohérente avec les valeurs de respect et de tolérance dont Kat fait preuve en défendant sa communauté noire LGBTQ.
En plus de ça, depuis la dernière saison de The Bold Type, Kat est constamment dépeinte comme un personnage impulsif, incapable de garder ses opinions pour soi, dont le storytelling manque clairement de profondeur en comparaison avec les deux autres protagonistes blanches de la série.
Bien qu’elle reste un personnage attachant et drôle, elle est sans cesse ramenée à son rôle d’individu polémique, rôle qui finit par constituer son identité au lieu d’être un simple trait de personnalité, comme justement soulevé par Jezebel.
Aisha Dee le rappelle dans son post Instagram, ces décisions ne sont sans doute pas intentionnelles mais elles résultent très probablement du manque de diversité parmi les scénaristes de la série qui, de leur point de vue de personnes blanches cis et hétéro, ont tendance à perpétuer des stéréotypes au lieu de contribuer à les déconstruire.
Prôner l’inclusivité c’est bien, l’appliquer derrière les caméras c’est mieux
La prise de parole de l’actrice soulève un problème plus général : celui de l’inconsistance entre l’idéal d’inclusivité et de tolérance prôné par de nombreuses institutions, entreprises et productions cinématographiques, et la réalité, dans laquelle cet idéal est finalement peu appliqué au niveau des équipes et de la direction.
Encore très récemment, le défilé de Jacquemus a beaucoup fait parler de lui pour les mêmes raisons : lors du défilé, la quasi-totalité des mannequins étaient des femmes racisées, alors que l’équipe de la marque n’est composé presque que de personnes blanches.
https://twitter.com/DECOUTURIZE/status/1284303941740539904
Bien sûr, mettre en avant des personnes non-blanches dans des défilés ou en faire des protagonistes de teen shows est déjà un premier pas et constitue une évolution non négligeable par rapport à la réalité d’il y a quelques années.
Il reste malgré tout important de garder en tête que se servir de la diversité comme vitrine ne fait que renforcer le plafond de verre.
En espérant, donc, que les scénaristes de The Bold Type entendront la voix d’Aisha Dee et permettront à la série d’évoluer vers un mieux par la suite !
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