Tu te rappelles forcément d’un mois de juin plus ou moins ardent où tu as passé plusieurs heures à suer sur une chaise en bois enduit. Ces quelques jours censés te mettre en phase avec les connaissances acquises durant tes années de lycée tout en ouvrant de nouvelles portes sur ton avenir plus ou moins tracé. Que ce soit en 2013, en 1989 ou en 2058 le baccalauréat aura toujours un point commun : son potentiel relou.
Mais bon, les épreuves les plus difficiles à surmonter doivent quand même être les oraux. Finis, tu ne peux plus te cacher derrière ton stylo plume – et les brouillons de couleurs te paraissaient finalement bien plus sympathiques que cette foutue rangée de quadra à qui tu dois conter les notes que ton cerveau décide de réduire en cendre… Peu à peu…
Qui n’est jamais sorti d’un oral en geignant/couinant/rampant ? Qui n’a jamais eu envie de planter cruellement un bon paquet d’épingles dans le coeur en mousse de ces hommes et ces femmes barbares au ton si fier ? Ont-ils une vie ? Je veux dire, ces gens vont au cinéma et se marrent vraiment devant Monstres Academy ? Ont-ils des enfants, et même, dorment-ils dans autre chose que du formol entre deux sessions de torture ? Il semblerait que oui. Je les ai vus. J’étais une des leurs.
Cette année j’y étais. Quand on m’a demandé d’accompagner un professeur en tant que professionnelle pour les jury des oraux d’arts appliqués j’ai tout de suite consenti. Ça pouvait être drôle. Et ça le fut.
Plus impressionnée qu’impressionnante, me voilà à mon bureau. Le travail fourni par les élèves de Bac Pro était plus ou moins simple : ils devaient, en se basant sur un thème, fournir un dossier comprenant recherches, croquis, ainsi qu’un projet final en rapport avec l’art appliqué. Je m’attendais donc à accueillir, avec le prof, une bonne vingtaine d’élèves moites au Powerpoint rutilant.
Première étape : Accepter sa place d’adulte, un vrai de vrai
Il y a trois ans, je suis passée par là. Trois toutes petites années. Alors oui, quand j’ai été face à face à ces « gamins » de dix-huit ans, j’étais plus d’humeur grande claque dans le dos que « Bonjour Monsieur prenez place ». Malgré ma tentative de vieillissement via combo chemise/carré Hermès du marché, l’entassement de bracelets (moches) de divers festivals à mon poignet n’a sans doute pas trompé les futurs jeunes diplômés – j’étais des leurs.
Mais bon, quand tu es jury, tu as une place à tenir quand même. Une figure d’autorité qui, au final, n’est pas si dégueulasse. Et puis, dans ce genre de moment, que tu sois jeune, vieux, Jennifer Lopez sur une paire d’échasse ou un ragondin, cela n’empêchera pas le regard grave des élèves sur ta personne. Un regard mi-apeuré, mi-sûr de soi, accompagnés de quelques tremblements.
Dans leurs yeux tu te sens tout à coup bien plus vieux – bon pas non plus style le Sultan dans Aladdin, mais quand même. Et se voir grandir si vite dans l’imaginaire collectif, ça donne un peu des sueurs froides.
Deuxième étape : Mettre de la distance.
Je ne suis ni professeur, ni pédagogue pour un sou. Je ne sais pas comment gérer un élève en stress.
Que faire s’il se met à convulser ou à pousser des grognements d’animaux ? Que faire si le prochain sur la liste a l’air tellement triste qu’il semble être sur la liste des condamnés à mort, ou du moins, qu’il ait greffé les dernières pages de La ligne Verte au dossier qu’il parcourt, les yeux injectés de sang.
Mon âme encore pure me hurlait de prendre ces pauvres petits êtres en détresse dans mes bras. De leur expliquer que c’était pas si grave s’ils rataient lamentablement leur oral. De leur dire qu’il fallait qu’ils sèchent leurs larmes invisibles. Et de leur promettre qu’on pourrait fuir à Narnia à dos de mandrilles, pour élever des cochons nains. Mais non. Tu es le juré. Tu ne dois pas t’attendrir.
Et au moment de mettre la note pas très glorieuse, se dire, « mais il était tout mignon… Et puis quand même il a fait un effort vestimentaire… » Ou encore, « mais je crois que sa gerbille est décédée hier…» ne sont vraiment pas des excuses valables.
« T’es sûr qu’il était nul mon Powerpoint ? »
Assise à ce bureau j’ai vu de tout. C’est un peu comme si un échantillon de chaque spécimen qui peuplait la jeunesse moderne (avec ses forces et ses faiblesses) venait se présenter toutes les demi-heures. Le problème c’est qu’il est hyper difficile de faire face en ayant le moins d’a priori possible. Par exemple, le jury doit être neutre vis-à-vis du physique des élèves. Ce n’est pas parce qu’un garçon porte un pantalon plus large qu’un autre que son dossier le sera moins. Et vice versa. Mais bon.
En fin de matinée un jeune homme a traîné ses fesses et s’est avachi dans sa chaise. Il mâchait un chewing-gum la bouche grande ouverte et soufflait, les yeux au ciel comme s’il se trouvait devant la pire des télé-réalités. Je dois t’avouer que si j’avais dû le juger seule, ça ne m’aurait pas aidé à lui trouver des points.
Troisième étape : Rester opérationnel-le
Tu as surement dû te rendre compte que parfois le jury n’était pas toujours à 100% avec toi. Un regard furtif par la fenêtre, des yeux qui papillonnent ou une flatulence étouffée. Tu te demandes subitement si la salle n’est pas équipée de matelas auto-gonflants Quechua histoire de repasser une fois que ces messieurs dames aient ronflé quelques minutes. Mais bon, ce n’est peut-être qu’une impression.
Je vais être claire et honnête avec toi : ton jury avait vraiment envie de finir. Et oui, il pensait plus à la couleur de sa housse de couette qu’à ton TPE sur la résistance d’une feuille d’essuie-tout. La chose est simple : un exposé c’est bien, trente-cinq c’est trop. Trop.
C’est pas si facile de rester hyper alerte alors que les sujets, les têtes et la qualité des travaux défilent. Je ne dis pas que c’est bien, non. Mais c’est juste pas toujours évident.
Quatrième étape : Garder calme et dignité
Pendant ces deux jours où je me suis improvisée jurée du bac, je me suis rendue compte d’une infime partie de l’éventail d’élèves avec qui les profs traitent au quotidien. Parfois c’était bien, parfois c’était super, mais forcément parfois, c’était à se taper le lobe frontal contre le maximum d’objets possibles (je te laisse le choix : bureau, tableaux noir, trousse, tube de colle, rétroprojecteur, etc).
Car il y a les élèves qui bossent. Et ceux qui bossent pas. En même temps, finalement, ça c’est pas mon problème. Mais, ça devient vraiment inquiétant quand ils te prennent carrément pour une grosse crotte de dromadaire. Dans ce cas, même si ce cher Jean-Eustache te regarde de haut en bas et te balance littéralement son gribouillage fait en trois secondes chrono’ avant de claquer la porte (oui oui, c’est du vécu), il faut souffler, garder son calme, et enchaîner sans faire sa vieille conne. Mon inconscient avait beau me hurler d’enfermer Jean-Eustache dans des oubliettes avec trois crabes de cocotiers, je n’en fis rien.
Cette année j’ai été jury de l’oral du baccalauréat. Moi qui pensais traumatiser des générations d’adolescents avec le front qui goutte, j’ai été plutôt déçue. Cela m’a pourtant conforté sur deux points :
- Je préfère m’enfouir sous le sable d’une plage pleine de limules que de devenir professeur (et pourtant j’aime vraiment, vraiment pas ça les limules).
- Je dois vraiment encadrer mon diplôme, et le chérir, vraiment plus.
Et toi, tu te rappelles de ton jury au bac ? Ou d’un oral qui t’aurait plus marqué que les autres ?
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