— Publié le 28 février 2015
Je l’avoue, je suis une fille relativement nerveuse dans la vie.
J’aurais pu manifester cette nervosité ambiante de bien des manières : j’aurais pu fumer, me ronger les ongles, passer mon temps à me gratter ou me bouffer les lèvres.
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Mais depuis toute petite, je préfère vivre ma nervosité au rythme du craquement de mes doigts. CRAC-CRAC (index-majeur).
Dans le domaine, peu original, du craquage d’articulations, je suis quand même une sorte de vétéran.
Vaguement repentie, mais vétéran tout de même ! J’ai passé mon enfance à faire craquer doigts, poignets, épaules, chevilles et orteils, et j’aurais été bien en peine d’expliquer pourquoi, tandis que ma maman mordait dans un truc à chacun de mes CRAC-CRAC (pouce-poignet).
« Arrête-s’il-te-plaît »
Aujourd’hui, je ne fais plus craquer que quelques doigts, parfois le gros orteil, et le poignet uniquement par inadvertance. Plus parce que c’était fatigant de passer chaque articulation en revue toutes les dix minutes que par véritable force de volonté.
Mais voilà. Il y a cinq mois, j’ai décidé d’arrêter. Tout court.
Arrêter de faire craquer ses doigts, une bonne résolution (pourrie)
C’est en général beaucoup plus glorieux de dire qu’on arrête de fumer, mais bon, je ne fume pas.
Mon vice principal se limite à éviter de peu la strangulation chaque fois que quelqu’un de mon entourage entend un CRAC-CRAC (pouce-pouce) de trop. (Oui parce qu’il paraît que c’est énervant. Tss.)
Bon, bon, ça va, j’arrête.
Personnellement, ça ne me dérangeait pas plus que ça. Je faisais craquer mes doigts quand j’étais stressée, bien sûr. Mais aussi n’importe quand, sans y penser.
En réfléchissant devant mon écran. CRAC-CRAC (index-majeur). En attendant que les pâtes cuisent. CRAC-CRAC (pouce-pouce). En bavardant devant un verre. CRAC-CRAC (index sur la nuque).
Un véritable tic, dont je ne prenais vraiment conscience que lorsque j’étais face à un interlocuteur un poil phobique qui me suppliait d’arrêter.
Et puis, un beau matin, j’ai décidé de mettre fin à cette addiction. Comme ça. Paf.
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D’accord, je m’étais fait la réflexion que parfois, ça fait mal. Surtout quand il fait froid.
Mais en 25 ans de crac-crac constants (moins quelques années parce que je foutais la paix à mes articulations quand j’étais au berceau), tous les « tu auras des articulations pourries quand tu seras vieille » du monde n’y avaient jamais rien fait. Alors pourquoi maintenant ?
Comme ça. Je faisais des bulles dans mon thé devant mon ordi, et je me suis dit « eh, lol, si j’arrêtais de faire retentir le bruit de mes articulations qui craquent dans l’openspace silencieux ? ».
La façon dont je relate, à peine quelques jours plus tard, la genèse de cette décision sur mon blog, exprime bien à quel point j’ai très vite regretté de m’être lancée ce défi.
Allez savoir pourquoi, cependant, le challenge soudain m’est monté à la tête, puis à l’orgueil, et à ce jour, je m’y tiens encore. Soit 48h… ENVIRON 72H PLUS TARD. La classe à ta mémé, mon lapin.
Bon, en vrai, c’est un calvaire, et je hais très fort ma saloperie de fierté mal placée qui m’oblige à persister dans ma bêtise et mes phalanges passent leurs nuits à rêver de bois très sec qui craque.
Le premier jour, je continuais à me faire craquer les doigts par pure habitude, sans même m’en rendre compte. Je n’ai pas habitué mes collègues dans l’openspace à un comportement normal en règle générale, mais entendre « krok kr… MERDEUH » toute la matinée les a probablement confortés dans l’idée que je fumais des lolcats derrière mon écran.
Au moins, ce craquage de câble impromptu m’aura permis de m’auto-citer.
Craquage de doigts : l’appel à la Science
Et puis un peu de temps a passé, mon défi a dépassé les quelques heures sans faire craquer mes doigts, et… ce n’était pas gagné pour autant.
Arrêter d’un coup, là, comme ça, d’enquiquiner mes articulations après des années de tics nerveux, non mais quelle idée ! Autant demander à un fumeur qui se fait trois paquets par jour de faire la danse du pingouin sur son dernier paquet !
Et puis le fumeur, il trouve facilement des raisons d’arrêter : il s’inquiète pour sa santé, il trouve que ça lui jaunit les dents, ça lui revient cher… Mais finalement, me suis-je demandée un jour, est-ce réellement mauvais pour la santé de se faire craquer les articulations ?
J’ai commencé à pianoter sur mon clavier, les doigts raidis par la tension, espérant presque trouver que j’avais échappé de peu à une mort atroce en arrêtant de faire craquer mes doigts (presque, j’ai dit).
Hélas, que trouvai-je ? Qu’un hurluberlu de type scientifique avait déjà tenté l’expérience pendant cinquante ans, et que la conclusion révélait qu’une telle pratique n’augmentait pas les chances d’arthrite !
Il s’agit de Donald Unger, un allergologue californien, et Pierre Barthélémy de la rubrique Sciences du Monde revient dans cet article sur le fait que son étude aurait porté ses fruits.
Donald Unger reconnaît que l’échantillon étudié — cinq doigts d’une seule main — est quelque peu restreint et que, même si son étude au long cours n’a pas montré de lien entre craquements d’articulations et arthrite, il faudrait, pour le confirmer, pratiquer le même type d’analyse sur un groupe plus large.
Son appel a été entendu puisque, en 2011, un article paru dans le Journal of American Board of Family Medicine a montré que, sur un échantillon de plus de 200 personnes âgées, celles qui se faisaient régulièrement craquer les jointures n’étaient pas plus victimes d’arthrite que les autres.
Quant à ce CRAC-CRAC (orteil-pouce) convulsif, il ne proviendrait que de l’explosion de « petites bulles de gaz qui se forment lorsqu’on se tord les doigts ».
Mais pourquoi, ô rage, ô jeunesse ennemie, m’infligeais-je donc de trottiner sur place en enfonçant mes poings serrés dans ma poche pour arrêter de faire craquer mes doigts ? Pour me la jouer héroïne tragique ?!
Ah, oui, peut-être.
Le sevrage du craquage de doigts
C’était une idée d’autant plus masochiste que lorsque je l’ai eue, je traversais une période un toUT PETIT PEU STRESSANTE, entre déménagement parisien imminent, nouveau contrat et départ en vacances à l’autre bout du monde en prévision.
Mais bon. En le faisant moins, je me rendais compte que faire craquer mes doigts était un peu douloureux, et puis j’aimais bien l’idée d’être assez forte pour me débarrasser d’une addiction… Alors…
Arrête.
C’est ainsi que, pendant que je me la pétais auprès de mes amis (« Ouaiis, alors j’ai arrêté de faire craquer mes doigts, genre, comme ça, tu vois… Non ce n’est pas dur… Oui toi aussi tu y arriveras un jour, aussi, peut-être… »), j’enchaînais dans mon intimité les situations les plus grotesques, montant crescendo au fur et à mesure que mon sevrage s’allongeait.
Je ne compte plus les fois où :
- je me suis appuyée nonchalamment contre un mur ou une table, et que mes articulations, revanchardes, en ont profité pour craquer (TOUTES SEULES, JE VOUS DIS)
- j’ai tapé des paragraphes de jurons bien sentis sur ma page Word parce que je venais de faire craquer mon index en réfléchissant sur mon article
- j’ai couru en rond autour de mes cartons en agitant les bras d’exaspération parce que le stress à l’idée de déménager avait fait retentir un CRAC-CRAC-CRAC (index-majeur-index) dans le silence de la pièce presque vide
- j’ai rêvé que je cassais des branches sèches et me suis vengée sur des spaghettis crus à mon réveil (craque, saloperie).
Et puis la colère a laissé place au manque. Mes articulations, délaissées brusquement, m’appelaient. Elles m’appelaient.
De leur petite voix, elles couinaient des « craque-nous, craque-nouuus » indécents, tandis que j’essayais d’ignorer ce vide que je leur laissais. Et puis lorsque j’ai commencé à leur donner des petits noms, j’ai réalisé que j’avais besoin de m’aérer la cervelle.
Maintenant que j’y pense, c’est peut-être pour ça que je me suis remise au sport.
Arrêter de faire craquer ses doigts, c’est possible ?
Quelques heures après ma décision fatidique et inconsciente de mettre fin à mon addiction sans préavis, je frimais en affirmant sur mon blog que j’avais arrêté de « couiner en tournant sur moi-même les mains dans les poches », et, en gros, que dans mon immense force d’esprit, je restais sourde aux plaintes de mes phalanges (sauf des pouces parce que faut pas déconner).
Cinq mois plus tard, je dois avouer que je me la pète beaucoup moins.
Déjà, le partage de mon vécu lors de mon défi personnel s’est limité à : 1 note de blog, 5 tweets. Au bout de quelques semaines, j’espérais qu’on oublie que je m’étais fixé un objectif aussi absurde que mon addiction n’était peut-être pas si mauvaise, après tout…
Mais les gens sont méchants, et mes premières rechutes se sont faites dans l’ombre de sourires narquois qui-ne-disent-rien-mais-n’en-pensent-pas-moins.
« J’ai vu ce que tu as fait. »
Ensuite, j’ai vraiment rechuté. Je n’étais pas particulièrement stressée, mais je réfléchissais parfois devant mon article en me triturant machinalement les doigts, puis en les faisant craquer. Et je m’en foutais presque.
À la rédaction de madmoiZelle, faut dire, on ne m’entend pas. (Pas qu’il y ait du bruit, hein, mais entre deux blagues de pet, que sont deux innocents CRAC-CRAC ?)
Or je ne me défais pas de ma culpabilité pour autant — et si le seul fait d’écrire cet article me raidit autant les phalanges qu’il me constipe, ô amies lectrices et amis lecteurs atteints de la même addiction, la fierté de n’avoir cédé qu’à trois reprises lors de sa rédaction m’emplit d’une fierté assez grande pour me redonner la foi.
Je ne suis qu’à l’aube de ma Grande Guerre.
Quand je vous disais que j’avais un goût pour le tragique…
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Les Commentaires
(Par contre mon père ne supporte ni les craquements (léger traumatisme dû à une quarantaine de fractures en 50 ans d'existence) ni les étirements extrêmes à base de pied sur l'oreille et de cheville retournée, il est souvent assez crispé lorsque toute la famille est réunie, du coup :yawn