Une start-up lyonnaise envisage de mettre sur le marché un test salivaire pour détecter cette maladie chronique. Alors vraie révolution ou effet de communication ?
En février dernier, l’annonce avait fait le tour de la presse et des réseaux sociaux. « C’est une révolution » ; « un changement que beaucoup attendaient depuis très longtemps » ; « un espoir pour toutes les personnes qui souffrent d’endométriose ». Nous aussi, nous écrivions un article enthousiaste, devant les promesses de la start-up lyonnaise Ziwig, qui annonçait un test salivaire pour détecter l’endométriose. Et pour cause : l’endométriose est si mal diagnostiquée et traitée que chaque actualité est impossible à ignorer. D’autant que Ziwig n’a pas fait cavalier seul et s’associe dans son projet à l’association EndoMind.
Une étude prometteuse, mais pas validée
Deux mois plus tard, l’effet d’annonce est passé, le soufflé est retombé. Le test annoncé n’est pas encore disponible sur le marché (même si certaines tournures laissaient croire à une disponibilité imminente) et des doutes subsistent sur la qualité de l’étude scientifique, publiée dans la revue Journal of Clinical Medecine.
Lamia Jarboui, vice-présidente de l’association Info-Endométriose et médecin radiologue spécialisée en endométriose, indique à Madmoizelle :
« C’est un peu la même chose que pour l’hydroxychloroquine. Il s’agit d’une étude préliminaire qui pourrait être prometteuse, mais qui devra être appuyée par des études à plus grande échelle avec plus de rigueur dans la méthodologie scientifique. De plus, la communication a été faite trop en amont de résultats probants. »
Plusieurs chercheurs contactés par nos soins soulignent en effet les limites scientifiques de l’étude : le test n’aurait pas été pratiqué à l’aveugle, la cohorte de découverte et celle de validation seraient identiques et enfin seules 200 femmes cis ont été testées pour l’étude, dont 153 sont atteintes de formes sévères d’endométriose. Daniel Vaiman, directeur de recherches à l’Inserm, nous explique :
« Quand on fait une étude scientifique, la problématique est différente de celle de l’application d’un test à une population entière. En cela, le travail publié est encore préliminaire.
Quand un grand effectif, à savoir plusieurs centaines de patientes et de contrôles auront été testés, cela permettra de s’assurer que le test fonctionne correctement et pas uniquement dans le cadre de l’essai. C’est le travail qui reste à faire. »
De fait, l’Inserm affirme qu’« il y a donc un risque que ce test ne fonctionne que dans ce contexte [celui de l’étude] et pas chez de nouvelles patientes. » Une mise en garde fondamentale, rappelant le temps long de la science, qui détonne avec la confiance de l’entreprise lors de son opération de communication.
Ziwig, une start-up confiante
De son côté, la start-up, par la voix de son président, Yahya El Mir, explique à Madmoizelle qu’il ne s’agit là que de « guéguerre entre chercheurs », que ce test est sérieux, qu’il a reçu le soutien de la Fédération internationale de gynécologie et obstétrique. Pour lui, c’est clair, il détectera bien toutes les formes d’endométriose. Il souligne :
« Ce test est révolutionnaire, il va permettre à beaucoup de patientes d’être prises en charge plus rapidement, d‘éviter une errance médicale »
À ce jour, les personnes atteintes d’endométriose subissent un retard de diagnostic de 7 ans à cause d’une « prise en charge insuffisamment coordonnée », explique la Haute autorité de santé. Peu ou mal formés, de nombreux médecins ne savent pas reconnaître des lésions d’endométriose lors d’examens médicaux (IRM ou échographie endovaginale). Des examens qui fonctionnent très bien dès lors que les médecins sont formés à reconnaître l’endométriose. C’est là toute une partie du problème : la formation des médecins sur ce sujet.
D’où l’idée de Ziwig de détecter cette maladie chronique et handicapante de manière rapide, dès les premiers doutes. Philippe Descamps, un des médecins qui a participé à la mise en place du test salivaire, explique :
« Ce test a pour objectif d’être facile d’accès pour les généralistes. Il doit leur permettre de pouvoir détecter une éventuelle endométriose avant d’orienter la patiente vers un centre spécialisé. »
Avec d’autres médecins et des ingénieurs, il a collaboré à la mise en place de ce test qui, dans l’idéal, pourrait être fait à la maison, sur prescription médicale, et envoyé en labo pour analyse. Cette technique repose sur une nouvelle machine créée pour ce test salivaire, et qui allie intelligence artificielle et séquençage à haut débit.
Pas sur le marché français en premier
Avant d’être disponible en France, le président de Ziwig dit vouloir le mettre sur le marché Allemand ou du Benelux, sans remboursement possible mais avec le marquage CE, indispensable à une commercialisation d’un tel produit. Son prix devrait monter à plusieurs centaines d’euros. Yahya El Mir poursuit :
« On va le mettre aussi sur le marché français très bientôt. Nous avons déposé une demande de remboursement. Ce test n’est pas encore disponible, mais ça va arriver ! »
Ce que dément pourtant la Haute autorité de santé (HAS). Contactée par Madmoizelle, la HAS souligne en effet :
« Aucun dossier de remboursement n’a été déposé à ce jour pour ce test. Pour faire une demande de remboursement, cela doit venir d’une société savante, de l’Assurance maladie ou du ministère de la Santé et à ce jour nous n’avons rien reçu.
Nous sommes en contact avec Ziwig, mais ce n’est pas la société qui peut déposer cette demande de remboursement. Ce contact avec eux, c’est juste ce que l’on appelle “une rencontre précoce” pour leur expliquer la procédure à suivre. »
Confronté à cette déclaration, Ziwig déclare
« La HAS est une grande administration, le dossier est bien déposé. Nous travaillons avec eux, nous leur avons fourni les éléments demandés et nous attendons leur réponse pour la suite. »
Impossible donc de dire quand et si le test de Ziwig sera disponible sur notre territoire — sans un accès discriminant sur les revenus.
Des limites à ce test et une nouvelle étude
Mais le vrai problème du test de Ziwig est peut-être ailleurs. Les biomarqueurs sélectionnés pour détecter l’endométriose pourraient se rapprocher d’autres maladies inflammatoires, comme la maladie de Crohn. Selon Lamia Jarboui :
« Ils ont communiqué beaucoup trop tôt auprès du grand public. C’est une innovation qui peut être intéressante pour faire progresser la recherche mais ils n’en sont qu’au tout début. En l’état, ce test n’est pas utilisable et pas disponible sur le marché. »
Pour répondre à ces différences critiques, la start-up affirme qu’une nouvelle étude, auprès de 1 000 femmes cis et avec l’appui d’une quinzaine d’hôpitaux français, est en cours afin de prouver le bien-fondé de ce test. Encore une fois, la prudence est de mise : la start-up pourrait avoir un produit qui fonctionne, mais en l’état, elle ne communique que sur des promesses.
Et pour certaines personnes concernées, ce test n’est de toutes façons pas une réponse. « Que je sois détectée tôt n’aurait rien changé rien pour moi, souligne Lucie, vu qu’il n’y a pas de traitement », rappelant qu’un diagnostic reste un diagnostic. Anna Stevenson, présidente de l’AAERS est sur la même tendance :
« L’étude scientifique ne permet pas d’affirmer que ce test va vraiment fonctionner comme indiqué. Tout le problème est là. Détecter c’est bien, et on sait bien le faire avec les outils actuels, dès lors que les médecins sont formés et bienveillants.
Mais après on fait quoi ? »
À ce jour, s’il existe des solutions pour ralentir la progression de l’endométriose ou pour soulager la douleur, il n’existe aucun traitement pour la soigner. Au mieux, si le produit marche, Ziwig permettra un diagnostic plus précoce. Mais pour l’heure, la start-up a encore, littéralement, tout à prouver.
À lire aussi : Bonjour le gouvernement, où est la reconnaissance de l’endométriose comme affection longue durée ?
Image en une : © Pexels/George Milton
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