— Article rédigé à quatre mains par Perrine P. et Sophie-Pierre Pernaut
Terry Richardson fait sans doute partie du top 10 des plus grands photographes de mode du monde. Entre le copinage avec les starlettes comme Rihanna, Gaga et compagnie, ses photos hyper sexualisées et son look si particulier, difficile de passer à côté d’un tel phénomène.
Les lunettes, la chemise à carreaux et le pouce en l’air : certifié Richardson
Pourtant la réputation de Richardson est loin d’être aussi lisse que son front dégarni : le photographe, qui a fait du trash son fond de commerce, a été accusé de nombreuses fois par des mannequins pour son comportement très déplacé souvent considéré comme du harcèlement sexuel.
L’omerta autour de Richardson
Longtemps restées sous silence de peur de perdre leur jobs, les mannequins délient doucement leurs langues pour dénoncer les abus du photographe que certaines avouent trouver creepy.
Jamie Peck a ouvert le bal en 2010 en racontant au magazine Jezebel que lors d’un shooting, le photographe lui a demandé d’enlever son tampon afin de s’en faire un thé (bon goûter à toi), l’obligeant à l’appeler « Oncle Terry » et à prendre des positions qu’on retrouve dans les magazines classés XXX. C’était lors de son deuxième shooting photo — le premier ne s’était pas si mal passé, selon elle.
Pire, le photographe, après s’être mis nu, lui a selon elle demandé de lui toucher le pénis :
« Je ne suis pas sûre de comment il s’y est pris pour me conduire jusqu’au canapé, mais à un moment il a fortement suggéré que je touche son terrifiant pénis. »
Ce qu’elle dit avoir fait, jusqu’à l’éjaculation. Pour Jamie Beck, qui n’en garde pas de ressentiment et dit être « passé au-dessus » depuis l’évènement, la seule explication à l’acceptation de l’idée de masturber Richardson repose sur le fait qu’elle ne voulait pas être une « rabat-joie ». Toujours sur Jezebel, on peut lire…
« La seule explication que je peux trouver, c’est qu’il était tellement amical et content à propos de tout ça, et ses assistants étaient également si excités, que je ne voulais pas être la rabat-joie de la pièce. Mes nouveaux faux-amis auraient été déprimés si j’avais dit non.
J’ai dû dire quelque chose à propos de mes examens, parce qu’il m’a dit « si tu me fais jouir, tu auras un A ». Alors je l’ai fait ! Plutôt rapidement, j’ajouterais. Il y en avait partout sur ma main gauche. Son assistant m’a tendu une serviette. »
Quelques jours plus tôt, une autre mannequin, la danoise Rie Rasmussen, également militante pour les droits des femmes, racontait avoir pris Richardson à parti lors de la Fashion Week parisienne, dans un bar. Son grief : à ses yeux, le photographe exploiterait les jeunes mannequins.
Citée sur le blog Page Six hébergé sur le New York Post, elle raconte :
« Il choisit des filles jeunes, les manipule pour qu’elle se déshabillent et prend des photos d’elles dont elles auront honte. Elles ont trop peur de refuser parce que leur agence leur a trouvé ce job et qu’elles sont trop jeunes pour avoir le courage de leurs opinions. »
Ces aveux ont entraîné une flopée de témoignages plus horrifiants les uns que les autres venant de mannequins (souvent anonymes et très jeunes) : toujours en 2010, Jenna Sauers, journaliste pour Jezebel a repris des témoignages anonymes.
L’un d’entre eux, reçu par mail par la rédaction, est racontée par la victime présumée : à l’époque des faits, elle avait 19 ans, et elle avait accepté de faire des photos artistiques de nu avec Richardson pour l’argent, puisqu’elle avait perdu son job (comme le note Jenna Saueurs, ce premier mail a été suivi de questions posées par la journaliste, qui n’a reçu aucune réponse. « Est-ce que ça met en doute ses propos ? Je vous laisse vous faire une opinion » écrit-elle alors).
La jeune femme anonyme raconte donc que Terry Richardson lui aurait tendu l’appareil photo pour qu’elle l’immortalise lui, quand il a constaté qu’elle n’était pas à l’aise avec ce qu’il lui demandait de faire. La séance se serait alors terminée sur le photographe immortalisant le moment où il éjaculait sur le visage de la jeune femme.
Poses lascives voire porno, comportement déplacé, intimidation, harcèlement sexuel, abus de pouvoir… Certaines filles ont confié à Jezebel que le photographe faisait passer ça sur le compte de la notoriété.
Si les superstars semblent être traitées avec un peu plus de respect, les témoignages des jeunes mannequins font franchement froid dans le dos.
Dans le milieu on ne l’appelle pas le « prédateur sexuel » pour rien. Les filles défilent en petite tenue devant son objectif, voire totalement nues dans son studio de New York. Par plaisir ? Par sacrifice pour leur carrière ? Par intimidation ? On ne saura jamais trop mais ce qui est sûr c’est que même quand certaines prennent leur courage à deux mains pour dénoncer le photographe, il ne se passe rien.
Richardson a une telle influence sur les stars, la presse, le milieu de la mode et du showbiz en général, qu’on ne lui dit rien, on lui pardonne tout. Il semble intouchable.
De son côté, peu de temps après ces accusations, Terry Richardson avait réagi sur son blog :
« Je voudrais juste prendre un moment pour dire que je suis vraiment blessée par les récentes et fausses accusations d’insensibilité et de mauvaise conduite. Je m’estime chanceux de travailler avec tellement de personnes extraordinaires chaque jour. J’ai toujours considéré et respecté les gens que je photographie et j’envisage ce que je fais comme une véritable collaboration entre moi et les gens devant l’objectif. »
Alors certes, mais que faut-il entendre par « collaboration entre moi et les gens devant l’objectif » ? Où s’arrête la collaboration artistique, et où commence le rapport fondamentalement déséquilibré entre lui et ses sujets ?
Le pouvoir de la notoriété
Lui, le photographe reconnu à travers le monde, apprécié des plus grands, influent dans le monde de la mode. Ses sujets, dans les cas mentionnés plus haut, des jeunes mannequins sans beaucoup d’expérience dont on ignore si elles ont à ce point envie de se mettre à nu, de s’exposer dans des poses à caractère bien souvent pornographique et trash.
Festival de la langue pendue, du touchage de frifri et du regard de braise du côté des filles…
…alors que du côté des garçons c’est bien sage. Quand les mecs sortent les tétons et baissent le pantalon c’est plutôt dans un esprit de grosse rigolade.
Bizarrement, quand Pharell Williams ou Jared Leto passent faire quelques photos au studio, les boutons de chemises restent fermés jusqu’en haut. Pas de mec en petite culotte, pas un seul mâle qui se suce le doigt avec un regard cochon, rien. L’érotisme est visiblement un concept réservé aux filles chez Richardson…
Récemment, c’est Miley Cyrus qui a choqué l’Internet en posant devant son objectif dans un collant résille très révélateur et un tout petit petit petit body pour un résultat pas fifou.
Oui la demoiselle est libre de faire ce que bon lui chante, oui la provoc ça peut être visuel ou beau : on peut de toute manière difficilement comparer une star avec une telle notoriété à une jeune mannequin qui débute et qui est potentiellement facilement impressionnée.
La pétition contre Terry Richardson
Mais l’empire Richardson est-il en train de vaciller ? Les consciences sont-elles en train de s’éveiller ? C’est du moins ce qu’on pourrait croire, puisqu’une pétition a été lancée par Alice Louise, designeuse de bijoux et activiste, sur Change.org. Elle appelle les grandes marques à cesser d’utiliser le travail de Terry Richardson pour leur campagne (« arrêtez de prendre le présumé prédateur sexuel Terry Richardson comme photographe »).
Cette requête, qui a pour but de faire ouvrir les yeux sur, selon la personne à son initiative, « l’influence négative qu’exerce Terry sur les médias », est lancée pour plusieurs raisons, que je cite :
- la supposée exploitation et l’abus de certains modèles
- l’imagerie pornographique déprimante et très répandue
- une attitude inappropriée et non-professionnelle.
Alice Louise continue : pour elle, « sa contribution à la société a une mauvaise influence car il est exposé au grand public en donnant l’impression d’être bien reçu alors qu’il y a potentiellement des pratiques éthiquement contestables qui sont passées sous silence ». Ce n’est pas le fait que ces accusations ne sont pas avérées à 100% qui doivent empêcher, selon elle, les grandes compagnies de prendre des mesures :
« POURQUOI, alors que nous sommes au courant de ces accusations, est-ce que les grandes compagnies CONTINUENT d’utiliser Terry Richardson comme photographe et lui donnent une presse positive s’il est un POTENTIEL agresseur sexuel ? »
Bien sûr, il ne s’agit pas de dire que Terry Richardson est un prédateur sexuel : la présomption d’innocence nous en empêche et les faits ne sont pas totalement avérés. Mais ces faits, justement, ne sont-ils pas avérés parce que des personnes influentes décident de ne pas y prêter attention, de faire comme si elles n’avaient rien entendu, voire de décider de n’en avoir rien à faire ?
Vues de l’extérieur, ces accusations ne semblent pas être examinées avec énormément de sérieux — elles ne semblent d’ailleurs pas examinées du tout. Elles paraissent même carrément ignorées.
Est-ce que cette pétition à 7400 et quelques signatures, si elle prend de l’ampleur, changera la donne ? Est-ce que d’autres voix vont s’élever, et est-ce qu’elles seront un peu plus entendues ? Est-ce que des enquêtes seront ouvertes ?
Affaire à suivre… Du moins, on l’espère.
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