Cher monsieur Pratchett,
Ou devrais-je dire « Sir Terry Pratchett » ? Vous avez été anobli, tout de même ! C’était il y a quelques années seulement, et vous aviez choisi de vous faire plaisir en forgeant pour l’occasion votre propre épée avec des morceaux de météorites. Histoire de bien montrer au monde, des fois qu’il n’aurait pas encore compris, quel type d’individu extravagant et génial vous êtes. Mais bon. Je ne suis pas certaine que le titre vous importe beaucoup. Surtout maintenant.
Parce que vous êtes mort. Vous nous avez quitté•e•s le 12 mars 2015 (je marque la date), c’était un jeudi, vous aviez 66 ans, il faisait exceptionnellement doux à Paris, pour un mois de mars.
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Bref, monsieur Pratchett, vous ne me connaissiez pas, et vous êtes déjà parti, mais je tenais quand même à vous dire « au revoir ». Je sais, ce n’est pas très clair. J’irais bien droit au but en vous disant « Oook », comme un certain bibliothécaire que vous m’avez fait rencontrer, et vous comprendriez tout… mais j’ai besoin de développer un peu à la manière bête de ces humains que nous sommes. Ah ça, sont-ils ridicules, ceux-là, parfois.
Monsieur Pratchett, moi je vous connais, comme une lectrice portant un auteur dans son coeur. Je ne vous ai jamais rencontré. Ça ne m’aurait pas déplu, mais je n’ai jamais rien fait pour non plus. J’ai l’admiration discrète, voyez-vous ; quand le travail de quelqu’un me touche, je me satisfais pleinement de ce que je perçois de cette personne à travers son oeuvre. Il est donc fort probable que j’idéalise votre personne. Pour un auteur de fantasy, est-ce bien grave ?
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Mais soit : je vais essayer (je dis bien essayer) d’expliquer comment je vous connais.
Je vous ai connu d’abord, comme beaucoup, quand j’étais adolescente, en ouvrant The Colour of Magic (La Huitième Couleur). Vos mots étaient arrangés comme un véritable travail d’orfèvre (mais un orfèvre juste un peu timbré), avec une précision effarante qui m’a donné la sensation que vous tapiez juste, quel que soit le sujet que vous abordiez. Ils m’ont fait rire bêtement dans un bus bondé, soupirer au coin du feu, ricaner en savourant une touche de cynisme mordant, réfléchir, tellement, et lever les yeux en souriant lorsque venait le moment de refermer mon livre.
Et bon sang, qu’est-ce que j’aime vos notes de bas de page. Je vous entends rire, tout content de vous, en les lisant !
Je vous ai très vite reconnu comme un auteur dont je ne lisais pas les livres pour me « vider la tête ». Ils sont beaucoup trop riches. Encore aujourd’hui, à la dixième lecture du même ouvrage, l’envie me prend parfois de noter des citations en lisant, de peur d’oublier, de manquer quelque chose. Mais je finis toujours par suivre Rincevent avant qu’il ne s’échappe encore, parce que je me suis prise d’affection pour lui. Et pour la Mort, CE PERSONNAGE QUI PARLE TOUJOURS EN MAJUSCULES POUR BIEN SOULIGNER LA GRAVITÉ DE SON ESSENCE et qui est juste formidable… non pas d’humanité, mais d’autre chose. Pas de divinité en tout cas. Mieux.
Aujourd’hui plus que jamais, merci d’avoir rendu la Mort si sympathique. Vous n’imaginez pas comme on apprend à avoir moins peur de la vie en souriant à la Mort. Enfin si, peut-être que vous imaginiez, justement.
J’ai continué à faire votre connaissance en arpentant le Disque-Monde, sa logique aussi délirante que parfaite. L’univers que vous avez bâti continue de me laisser sans voix, avec l’infinité de ses possibilités. Et ces personnages aussi sages que farfelus qui le peuplent…
Voilà qui rend notre propre monde bien plat.
Forcément, j’ai grandi un peu avec vous à mes côtés. Un jour, mon frère m’a offert The Hogfather (Le Père Porcher), et je crois bien que le sujet de mon mémoire est né de l’une des phrases de la Mort, et qui a trouvé un sacré écho en moi :
HUMANS NEED FANTASY TO BE HUMAN. TO BE THE PLACE WHERE THE FALLEN ANGEL MEETS THE RISING APE.
LES HOMMES ONT BESOIN D’IMAGINAIRE POUR ÊTRE HUMAINS. À LA CONJONCTION DE L’ANGE DÉCHU ET DU SINGE DEBOUT.
Votre traducteur français, Patrick Couton, est excellent, soulignons-le.
Ce n’est pas que vous m’avez donné le goût de la fantasy, monsieur Pratchett : j’aimais déjà la fantasy. C’est plutôt que vous m’avez montré que c’était un genre très noble, et j’ai passé une grosse partie de mes études (et un peu de ma vie active) à le défendre du mépris dont il était souvent victime. Peu de genres, de « petites histoires de fées », se penchent sur des thèmes fondateurs de notre société avec autant de profondeur, tout en donnant une illusion de légèreté. Peu d’auteurs savent le faire aussi bien que vous, ceci dit.
Et finalement, aujourd’hui je vous pleure comme une petite fille ayant perdu son grand-père. Ce papy que j’aurais bien voulu avoir, qui m’aurait regardée grandir en me racontant des histoires et en m’enjoignant à essayer aussi. Quoique c’est un peu ce que vous avez fait, au bout du compte.
Mais vous n’êtes pas mon papy. J’accepte de partager. Parce que dans ma peine je me réjouis de constater que nombreux dans le monde sont les gens qui la partagent, que vous avez touchés et accompagnés aussi avec vos histoires. C’est une bien belle existence que vous avez construite là, monsieur Pratchett. Et selon vos propres critères, elle vous a rendu immortel.
Do you not know that a man is not dead while his name is still spoken? — Terry Pratchett, Going Postal
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Les Commentaires
Je trouve que les premiers tomes du Disque-Monde ne sont pas si accessibles que ça et que... ce ne sont pas les meilleurs.
Mon petit favori à moi, c'est Les Tribulations d'un mage en Aurient. Mais je conseille aussi tous ceux qui touchent au Guet, et aux sorcières mais peut-être pas pour une première approche.