Depuis la fin du confinement, ça ne va pas. Ça ne va tellement pas que mon humeur transpire via l’énergie que j’insuffle à mon compte Instagram.
Elle transpire tellement qu’elle n’a pas échappée au radar de mes chefs, et que lorsque que Mymy, rédac cheffe de madmoiZelle, m’a proposé d’écrire un témoignage sur mon blues post-confinement, je n’ai pas su dire non, mais ça m’a carrément bloquée.
Je suis si déprimée et j’ai si peu de recul sur la situation, comment vais-je pouvoir écrire quelque chose de constructif et d’intéressant ?
Comment j’ai vécu le confinement
À l’annonce du confinement, je n’étais pas surprise. C’était une évidence, le même schéma que nos pays voisins allait se reproduire chez nous. Nous aussi allions y passer, et le plus tôt serait le mieux.
Sachant ce qui allait se produire, j’ai rendu visite un week-end à mon copain avec qui je suis en relation à distance, comme à mon habitude, mais en prenant une grosse valise.
Juste au cas où.
Quand le discours d’Emmanuel Macron a mis en vigueur le confinement national, je suis donc restée là où j’étais, dans une campagne de province.
J’étais heureuse de pouvoir habiter pendant plusieurs semaines avec mon amoureux dans une grande maison à la campagne, loin de la région parisienne où j’ai pourtant mon petit cocon de verdure.
Heureuse de pouvoir m’éloigner quelques temps de l’appartement que je partage avec ma mère, avec qui cela se passe bien, mais qui est un peu trop petit pour que mon intimité et mon besoin de silence soient respectés, surtout après avoir vécu plusieurs années seule.
Avec le confinement est venue l’annonce du télétravail, 35 heures par semaine, ce qui m’a mise en joie. Ouf, j’ai de la chance, je vais pouvoir continuer à travailler et garder mon salaire tout en économisant un maximum.
Chez madmoiZelle et Rockie, le télétravail, on connaît. On pratique, on fonctionne bien à distance, on se fait confiance, alors tout ira pour le mieux.
Tout au long de ce confinement, ça n’a pas été rose tous les jours. Comme sûrement beaucoup de personnes pendant cette pandémie, j’ai été brassée.
Mon projet de déménagement à l’étranger et donc mes projets pro ont été balayés en un rien de temps. J’ai dû digérer, encaisser un nouveau mode de vie dans une nouvelle maison et avec mon mec…
Il y a eu des hauts, des bas, mais surtout une grosse dose d’introspection que je n’ai pas vue venir.
Face à moi-même pendant deux mois et sans aucune possibilité de projeter, d’avoir des projets concrets ni de détourner mon attention dans des distractions plus ou moins futiles, j’ai franchi beaucoup d’étapes dans ma relation avec mon corps.
Je t’en parlais dans deux articles très récemment sur madmoiZelle : Je suis fine, j’ai les fesses pleines de cellulite et je commence tout juste à l’accepter, et Comment j’ai apprivoisé mon corps et mes complexes pendant le confinement.
Je me suis prise en photo, je me suis délivrée de mes soutiens-gorge, j’ai mené la vie dure à mon mec, j’ai appris à vivre avec un chat… Mais surtout, ce confinement a précipité sans que je le veuille une profonde réflexion que j’avais depuis plusieurs mois déjà.
Mes réflexions sur mon rythme et ma qualité de vie avant le confinement
Cette réflexion, elle porte sur mon rythme de vie, la façon dont j’envisage mon quotidien, ma qualité de vie en région parisienne et dans ce métier qui est ma passion et qui bouffe tout mon temps de cerveau chaque jour, chaque soir, chaque week-end, chaque seconde de ma vie.
Proche de l’agonie depuis plus d’un an à faire minimum trois heures de transports en communs chaque jour et pourtant avec un employeur largement compréhensif et accommodant et un job qui me passionne, je n’arrivais plus à suivre mon rythme, et même mon biorythme, comme je l’appelle.
Ce que j’appelle mon biorythme, c’est le rythme de mon corps et de mon cerveau que j’ai besoin de respecter. Du temps pour moi, seule, à ne rien faire, sans obligation.
Parfois juste dans mon lit à regarder le plafond en silence, parfois juste dans la nature à profiter d’une marche silencieuse. Parfois lors de mes méditations.
Mon biorythme, c’est le rythme qui m’est propre et qui me permet de digérer les choses de la vie que j’ai à digérer, de faire le deuil d’autres choses que je dois laisser derrière moi, d’entreprendre de nouveaux objectifs/tâches/relations quand je me sens prête et que j’estime que c’est le bon moment.
Dans ma vie avant le confinement, j’étais en permanence sous pression, toujours énervée, épuisée d’essayer de maintenir à la fois assez de sommeil pour être en forme pour le travail, mais en même temps une vie sociale et amoureuse épanouie et du contact avec ma famille.
Tout en gérant mon ultra-lucidité sur les problématiques et discriminations de notre société. Autant dire que mon biorythme était relégué au second plan.
J’étais au bout du bout du rouleau, noyée dans un flot d’angoisses et un tourbillon de pensées et d’impératifs qui ne me laissaient pas de répit.
Et quand ma petite voix intérieure criait et que mon corps réagissait à grands coups de crises d’urticaires et autres manifestations physiques, une phrase revenait :
C’est ça, la vie d’adulte !
Cette phrase me persuadait que je n’avais pas le choix et qu’il fallait que je continue à me dépasser et à me faire violence. Encore et encore.
Parce que c’est ça la vie que je suis censée mener. Être une adulte accomplie et active, c’est courir, c’est se faire violence, c’est ce que j’ai intégré depuis ma tendre enfance.
Mon projet de déménagement balayé par le coronavirus et le confinement
En prenant la décision de déménager à l’autre bout du monde à l’été 2020, j’avais en partie fait taire cette petite voix et comptais bien me recentrer un peu sur l’essentiel et revoir mes priorités.
D’origine camerounaise par ma mère et voulant depuis plusieurs années bâtir un projet professionnel dans ce pays que j’aime et que j’ai besoin de retrouver, j’avais enfin pris mon billet, tout préparé, calé les rendez-vous professionnels qui allaient me permettre d’exercer mon métier de journaliste à l’étranger.
C’était une décision importante, réfléchie et re-réfléchie, pour dire non à ce style de vie auquel je ne voulais plus me plier. Je savais pourquoi je partais, où je partais, pourquoi je partais.
Mais tout à coup, avec le confinement et le coronavirus, mon projet est tombé à l’eau.
Mes rendez-vous se sont annulés, les frontières africaines ont fermé et dans le même temps j’ai gouté à une vie qui, même si elle était loin d’être parfaite, m’a donné le temps dont j’avais besoin pour semer des graines et en faire éclore d’autres que j’avais déjà réussi à planter.
J’ai recommencé le sport, j’ai fait ce que j’avais envie de faire quand j’avais envie de le faire, je n’ai plus subi ni les regards ni les agressions des transports en commun et de la ville, j’étais au milieu du vert, avec un homme avec qui j’ai envie de passer toute ma vie et avec qui j’ai eu le temps de partager des moments de qualité.
J’ai pu me plonger à fond dans mon boulot sans partir de chez moi à 7h et rentrer à 20h et continuer à me presser.
Tout en sachant que, plus la date se rapprochait du début du déconfinement
du 11 mai, plus il fallait que je me prépare à reprendre ma vie d’avant… perspective qui me collait une peur bleue dans le fond de l’estomac et derrière le sternum.
Le déconfinement me fait peur
Depuis le 11 mai, donc, j’ai pu observer tous mes proches et moins proches sur les réseaux sociaux dans une forme de libération et joie intense. ENFIN, nous gagnons un peu de liberté.
Mais pour moi ce déconfinement sonnait comme la privation de la liberté que je m’étais enfin accordée. Liberté de prendre le temps, de m’écouter, d’organiser mes journées comme bon me semble tout en continuant à bosser.
Loin d’être pressée de rentrer à Paris et toujours en télétravail jusqu’à nouvel ordre, je ne me suis pas précipitée dans le train de retour et j’ai gratté encore quelques jours loin de la capitale.
Dans une forme de déni de la réalité, j’ai sauvegardé mon cocon, ai continué à sortir très peu, à voir très peu de monde (aussi parce que je n’avais pas trop le choix, mes proches étant loin de moi), et ma peur a continué à se nourrir elle-même.
Au bout de deux semaines après le 11 mai, il a fallu me rendre à l’évidence : il est temps de rentrer.
Rentrer pour permettre à mon copain de retrouver un peu d’intimité, rentrer parce que j’ai besoin d’être seule et de reprendre petit à petit ma vie et réorganiser mes projets.
Je savais que j’en avais besoin, même si ça me terrifiait.
Une fois à la maison, enfin, j’étais seule, heureuse de me retrouver dans mon lit, mon environnement, mon bout de nature, mais je n’avais pourtant qu’une envie : faire demi-tour et repartir loin d’ici le plus rapidement possible.
Je n’arrive plus à vivre comme avant le confinement
Après avoir fait trois pas dans les rues et dans les transports, je me suis rendu compte que j’étais devenue complètement inapte à appréhender le monde autour de moi, les regards, les inconnu·es.
Tout à coup j’avais peur d’aller faire les courses, peur d’envisager de retourner travailler physiquement, peur de tout ce qui m’éloignait de mon cocon.
En regardant autour de moi pour essayer de trouver du réconfort, je me suis tout à coup sentie très seule.
Suis-je la seule à être complètement perdue ? À ne pas vouloir retrouver ma vie d’avant trop rapide, trop bruyante, pas assez respectueuse de mon intégrité mentale et physique ?
Comment suis-je censée faire pour recommencer à projeter ? Recommencer mes projets ? Savoir où aller ?
Pourquoi est-ce que j’ai la sensation qu’on me demande de faire comme si de rien était, que la vie avait simplement été mise sur pause et qu’il suffisait de la reprendre en rappuyant sur play ?
En faisant une publication sur mon compte Instagram sur le sujet, je me suis évidemment rendu compte que non, je ne suis pas la seule, mais ça ne m’a pas pour autant réconfortée.
Pendant ce confinement, j’ai oublié le code de ma carte bleue, mais je me suis rappelée d’une chose essentielle : j’ai besoin de vivre ma vie en bonne santé et en m’écoutant. En respectant mon rythme, mon corps, ma tête, mes envies.
Depuis petite j’ai bâti mon mode de vie sur la dualité et le combat : me battre pour des causes qui me sont chères en m’engageant, en écrivant, en faisant ce métier qui me passionne.
Combattre l’entièreté d’un monde qui ne me ressemble pas et qui me donne envie de vomir chaque jour en sensibilisant, en faisant du bien autour de moi, ou en tout cas en essayant, coute que coute.
Combattre les démons qui sont malgré moi tout au fond de mon inconscient et qui transparaissent dans mes actions et mes réactions.
J’ai toujours eu la sensation d’avoir assez d’épaules pour porter la Terre entière et emmener tout le monde avec moi… Mais à quel prix ?
Et si finalement je n’avais pas les épaules et je ne voulais plus les avoir ? Et si finalement le plus important et ce qui me permettrait de façonner le monde comme je l’aimerais c’était au contraire de poser les armes et de ralentir ?
Pourquoi ai-je l’impression qu’en choisissant ce chemin, jamais je n’arriverai à vivre dans ce monde, à vivre dans cette société, à avoir assez d’argent à la fin du mois pour subsister à mes besoins ?
J’ai peur de la vie qu’on me propose avec le déconfinement
Bien sûr, j’ai été la plus heureuse de retrouver mes proches, de recommencer à sortir sans devoir rédiger une attestation.
Bien sûr, je suis bien consciente que j’écris avec le prisme de ma vie privilégiée et que je suis chanceuse d’avoir pu apprécier un confinement en sécurité pendant que d’autres étaient « au front » ou enfermés dans un environnement violent.
Je suis heureuse d’avoir eu l’occasion de me rendre compte que je peux vivre en harmonie avec mon corps, que ma relation de couple est stable et solide, et que le travail que j’exerce, en lui-même, me comble de bonheur.
Pourtant depuis le 11 mai j’ai peur. Pas peur du virus, qui malgré tout ce qu’il a déclenché, me paraît aujourd’hui bien insignifiant. Mais peur de cette vie que j’ai en face de moi, qui semble être la seule option que j’ai et qui me terrifie.
J’ai peur de ne pas réussir à concilier ma passion pour mon travail et le rythme et la qualité de vie dont j’ai envie et besoin.
J’ai choisi un métier précaire par de nombreux aspects parce qu’il me passionne et que je le trouve nécessaire, mais il est aussi très prenant, souvent sous payé et me donne la perspective de devoir lutter pour avoir du temps pour moi tout en subsistant à mes besoins.
J’ai peur de ne pas réussir à rebâtir des projets dans les mois qui viennent.
J’ai peur des actualités, à la fois dramatiques, me plongeant dans une tristesse infinie, et à la fois complètement dénuées de sens et d’intérêt.
J’ai tout à coup la sensation de ne plus rien partager avec mes pairs, de ne plus trouver d’autre intérêt dans la vie que celui d’aller bien, de vivre une vie heureuse, tranquille, lente et respectueuse de cette planète et de ma santé et qu’autour de moi ce sentiment n’est pas spécialement partagé.
Par dessus tout, je pense que j’ai surtout peur du changement.
Malgré tout, dans toute cette peur, petit à petit, j’arrive à faire du tri.
En continuant à avancer à mon rythme, à me faire un petit peu violence pour aller faire mes courses et en continuant à respirer, me ramener à moi-même, méditer… Je sens qu’un peu de lumière revient.
Dans de grandes expirations, je me souviens que j’ai les ressources pour m’adapter, continuer à avancer, aller chercher la vie que j’ai envie de mener.
Mais c’est si difficile avec cette impression permanente que la société entière m’encourage (voire me force) à faire tout l’inverse de ce vers quoi je veux tendre.
Cette impression que mon seul but dans la vie devrait être d’avoir une carrière professionnelle impressionnante, de brasser beaucoup d’argent pour pouvoir avoir une vie décente dans un logement décent et pour pouvoir dépenser toujours plus d’argent et être toujours plus dépendante.
Construire le monde d’après, petit à petit
Pendant le confinement, tout le monde a évoqué l’existence du monde d’avant, en opposition au monde d’après.
À l’instant précis où j’écris ces lignes je pense qu’il est urgent que je construise ce monde d’après en moi et autour de moi, que je me donne les outils et que je trouve la ressource pour aller au bout de ce dont j’ai besoin et que c’est ça la priorité.
Ralentir. Ne pas céder à la pression de la surconsommation et à la course permanente. M’écouter et ne pas oublier ce dont j’ai vraiment besoin, ce que j’ai envie d’accomplir.
Je suis persuadée que changer le monde, c’est d’abord s’écouter, prendre du plaisir, vivre en adéquation avec mes envies et mes besoins. Montrer l’exemple, être présente pour mes proches, être présente au monde.
À quoi sert-il d’être porte-parole de causes féministes, anti-racistes ou écologistes, si je rentre chez moi tellement épuisée que je suis imbuvable pour moi-même et mes proches et que je n’ai plus d’énergie pour vivre ma propre vie ?
Évidemment, je sais tout ça, depuis bien longtemps. Dans toutes ces réflexions il y a finalement beaucoup d’évidences.
Mais parfois les évidences nous sautent en plein visage avec une teinte et une portée jamais ressentie auparavant, et c’est ça que ce confinement et ce déconfinement m’ont apporté.
Tout m’est apparu avec encore plus de violence et de clarté, et entre savoir et mettre en application ce savoir, il y a encore beaucoup de peur et tout un monde à bâtir.
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