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Santé mentale

Le jour où mon petit ami a tenté de se suicider

Cette lectrice a fait face à la détresse de son petit ami de l’époque. Elle n’aurait jamais cru possible qu’il tente de mettre fin à ses jours.

C’était en février 2014, et j’avais 22 ans. On était ensemble depuis quelques mois, mais notre relation était aussi intense que difficile.

On se disputait énormément, et ça partait parfois très loin : des portes qui claquent, des pleurs, des insultes…

Si aujourd’hui je vois l’aspect destructeur de la relation que nous avions, je pensais à l’époque que le fait de s’aimer très fort effaçait tout le reste.

La dispute de trop

Un soir, une énième dispute a éclaté (pour rien, comme toujours) et j’ai voulu marquer le coup, montrer que j’étais vraiment énervée.

Quand il est parti, je lui ai envoyé un message disant qu’il valait mieux qu’on arrête de sortir ensemble.

Je savais bien au fond de moi qu’on se réconcilierait très vite, comme d’habitude, mais la colère et la fierté m’ont poussée à lui envoyer ce message, en espérant qu’il ferait des efforts par la suite.

On s’est endormis chacun chez soi, sur ces messages de rupture.

J’étais mal, et j’espérais qu’il reviendrait très vite vers moi pour qu’on oublie tout ça, une fois de plus.

Sans nouvelle pendant deux jours

Le lendemain, je n’ai eu aucune nouvelle. Ma colocataire, qui était son amie et qui nous avait d’ailleurs présentés l’un à l’autre, lui a envoyé plusieurs messages qui sont également restés sans réponse.

Lui et moi étions tellement souvent dans le dramatique que ça ne nous a pas paru inquiétant au début. Je ne lui avais pas donné de nouvelles non plus. Question de fierté…

Je voulais que ce soit lui qui revienne vers moi.

La journée est passée, et la nuit également. Le lendemain matin, je n’avais toujours aucune nouvelle, et ma coloc non plus.

Progressivement, j’ai commencé à m’inquiéter. Il était impulsif, très sensible, et je savais qu’il était capable de prendre sa moto et de rouler à fond sur des kilomètres pour se vider la tête, ou de partir sur un coup de tête à l’autre bout du pays…

Je ne pensais pas qu’il pourrait aller plus loin.

Je savais qu’à 15 heures, il avait une répétition avec son groupe de musique. J’ai envoyé un SMS à un de ses amis pour m’assurer qu’il était bien là. Il m’a répondu qu’il n’était pas là et que personne n’arrivait à le joindre.

J’ai appelé. Son portable était éteint.

J’ai commencé à avoir peur.

Et s’il s’était suicidé ?

Ma coloc a tenté de le joindre également. On a contacté son meilleur ami, qui a essayé aussi. Rien. Aucune réponse à nos messages inquiets le suppliant de nous répondre qu’il allait bien.

Je me souviendrai toujours de ce moment où ma coloc et moi, en pyjama, sur le canapé, avons décidé de traverser la ville pour aller à son appartement.

Ça nous a pris d’un coup, un pic d’adrénaline énorme dû à la panique, un besoin irrémédiable de vérifier que nous nous inquiétions pour rien, et de lui faire payer ce silence.

C’est à ce moment-là que j’ai dû faire face à cette terrible angoisse : et s’il s’était suicidé ?

Une angoisse accompagnée par cette pensée supplémentaire : et s’il s’était suicidé à cause de moi ?

L’urgence à vérifier qu’il est en vie

On a enfilé une veste par-dessus notre pyjama, et avons contacté son meilleur ami : on allait prendre le tram, et il monterait quelques arrêts plus loin dans le même, pour qu’on y aille tous les trois.

Je me souviens à quel point on a couru jusqu’à l’arrêt de tram.

Ma coloc et moi avions parfois un rire nerveux, comme si on essayait de se dire « on est ridicules à s’inquiéter pour rien ».

Mais j’avais une boule énorme dans la gorge. Je pensais à sa famille, à ce qu’ils ressentiraient. Je pensais à la culpabilité qui me suivrait toute ma vie.

Et je pensais à lui, je l’imaginais mort, sans que je ne puisse jamais lui dire que je voulais être avec lui, que j’avais dit ça juste pour marquer le coup après une énième dispute, que je l’aimais…

Je me souviens avoir regardé les gens dans le tram, et avoir eu l’impression d’être dans un film : des choses terribles se passaient en ce moment même, et ces gens vivaient tranquillement leur vie, l’air de rien.

C’était une ambiance terrifiante, que je n’oublierai jamais.

On a retrouvé son meilleur ami un peu plus loin. Le tram était à la fois beaucoup trop lent, et beaucoup trop rapide.

Nous étions tous les trois partagés entre la hâte de voir que tout allait bien, et la terreur de le trouver mort. On n’osait pas en parler en ces termes. On essayait de se rassurer mutuellement.

Aujourd’hui encore, je me sens connectée à ces deux personnes par cet évènement, et par ce qu’on a ressenti ce soir-là. Je ne sais pas s’ils y pensent encore.

La peur d’une vie brisée par le deuil et la culpabilité

On a fini par arriver à l’autre bout de la ville, et on a marché vers son immeuble. Il faisait très froid, et nous étions en pyjama, mais je crois que rien n’avait vraiment d’importance.

On était là et pas là en même temps, tout était coupé du monde et du temps. La peur était tout. J’essayais d’avancer sans penser, mais c’était impossible.

On est arrivés au bas de son immeuble, et il y a eu le premier choc : une lumière à son étage, celle de sa salle de bain.

J’ai vu tellement d’images défiler dans ma tête. Je l’imaginais dans sa baignoire, remplie de sang. J’imaginais son enterrement, et je voyais ses parents pleurer.

Je voyais ma vie brisée, mon cœur déchiré par le manque et la culpabilité.

On a monté les étages, et on est arrivés devant sa porte.

Je n’ai pas pu m’en approcher, je me suis appuyée contre un mur. Je tremblais.

Son meilleur ami a frappé, a sonné. Rien. Il a appelé. Il a crié. Il a donné des coups de pieds dans la porte. Rien. Le silence. Glaçant.

Le silence qui devait nous faire accepter une réalité que nous avions essayé de nier jusqu’alors. Nous ne nous étions pas inquiétés pour rien. C’était réel.

Si vous avez, ou que l’un de vos proches a des pensées suicidaires, tournez-vous vers les numéros d’écoute comme :

Vous pouvez avoir accès à des professionnels dans des centres médico-psychologiques, trouvez le plus proche de chez vous sur Internet.

Je me suis effondrée en sanglots.

J’ai littéralement glissé par terre, et je pleurais sur le sol. Je voulais que tout s’arrête, je ne voulais plus avoir mal, je voulais me réveiller de ce cauchemar.

J’aurais tout donné à cet instant pour arrêter de ressentir ce que je ressentais. C’était impossible, ça n’arrivait que dans les films, ça ne pouvait pas être vrai. Tout se déchirait en moi.

Son meilleur ami était en pleine panique.

Je me rappelle l’avoir entendu échanger avec ma coloc sur ce qu’il convenait de faire : appeler les pompiers ? Mais il n’y a que les flics qui peuvent forcer une porte non ?

Si on appelle les pompiers et qu’ils ne peuvent pas entrer ça ne sert à rien, si ? Est-ce que les voisins auraient la clé ?

J’avais l’impression de les entendre de loin. J’étais très loin. Qu’ils trouvent une solution, putain.

J’ai su que quelque chose n’allait pas

Ma coloc s’est penchée au-dessus de l’escalier. J’ai su après qu’elle avait entendu des pas. Moi je n’entendais plus rien.

Elle est revenue, s’est penchée vers moi et a dit « il est là ». Je me suis étranglée, je ne comprenais pas. Elle a répété « il est là, c’est bon, il est là ».

J’ai réussi à me relever en tremblant, et je l’ai vu qui montait les escaliers.

J’ai pleuré de plus belle. De soulagement, de colère, d’épuisement moral. Trop de choses avaient explosé dans ma tête en peu de temps, j’avais l’impression de devenir folle et de ne plus savoir ce qui était vrai ou pas.

Il nous a demandé pourquoi on était là.

Son meilleur ami le lui a expliqué, la voix tremblante. Il n’a rien répondu. J’ai su alors que quelque chose n’allait pas.

Il était en survêtement, un sachet à la main. Son visage était fermé, son regard flou. Tous ses mouvements étaient lents et étranges.

On est rentrés à l’intérieur de son appartement. Tout était sens dessus-dessous. Les cigarettes à moitié fumées traînaient partout, tout était sale et ça sentait mauvais.

Il s’est assis sur le canapé. On a voulu lui parler, mais il était ailleurs. Je lui demandé où il était. Il était descendu acheter des cigarettes. Il y avait effectivement des paquets de clopes dans son sachet, avec un Coca.

Son regard était vitreux, et il ne comprenait pas vraiment ce qu’on lui disait.

Qu’est-ce qu’il a pris ?

Son meilleur ami a été exceptionnel, et il a tout géré, ce que je n’avais pas la force de faire : il lui a demandé ce qu’il avait pris, en quelle quantité. Ça a mis du temps. On a d’abord pensé à de la drogue.

Et puis on a trouvé des médicaments sur son lit. Des somnifères puissants, qui lui avaient été prescrits il y a des mois, pour les quelques nuits où il avait du mal à dormir.

On a mis un long moment à réussir à savoir combien il en avait pris. Trop. Il avait du mal à nous répondre, du mal à réfléchir, du mal à tout. On a décidé de le ramener chez ma coloc et moi.

On l’a soutenu, pendant tout le trajet en tram. Il ne disait rien, et son regard était vitreux à en faire peur.

À lire aussi : Comment réconforter quelqu’un de triste ?

Appel des pompiers et SOS Médecins

Je me souviens que je commençais à retrouver des forces, il en avait besoin, il avait besoin de moi, et je devais être capable de l’aider.

On est arrivés chez nous. Son meilleur ami essayait de le faire parler. On aurait dit qu’il commençait à s’endormir. On lui a préparé à manger, mais il n’arrivait pas à se nourrir.

Son état empirait, et j’ai de nouveau paniqué. J’ai appelé une amie en pleurant. Elle était avec son copain. Elle est restée calme, m’a dit d’appeler les pompiers, et qu’ils venaient tout de suite tous les deux. Des amis de ma coloc sont venus également.

J’ai appelé les pompiers, pour la première fois de ma vie. J’essayais d’être claire, mais je ne sais plus ce que j’ai dit. Tout s’est accéléré.

Nos amis sont arrivés, et les pompiers tout de suite après. Ils l’ont enfermé dans une pièce pour lui parler seul, ils étaient 4 ou 5. Moi je suis allée pleurer dans une autre pièce.

J’étais soulagée que des gens qualifiés s’occupent de lui, et en même temps la dimension dramatique augmentait, et j’avais peur qu’il m’en veuille ensuite d’avoir fait appel à eux.

Les pompiers sont venus nous voir après un long moment. Selon eux, sa vie n’était pas en danger, mais ils nous ont demandé d’appeler SOS Médecin, et de ne surtout pas le laisser seul, puis ils sont partis.

Le médecin est également resté seul avec lui très longtemps, lui a donné une ordonnance, et nous a demandé de le surveiller de très près, surtout cette nuit.

Nous nous sommes retrouvés rapidement à 3 : ma coloc, lui et moi. Son meilleur ami était finalement parti, en nous demandant de le tenir informé.

On a encore essayé de le faire manger un peu mais ça n’a rien donné. On est finalement allés se coucher après un très long moment.

Il s’est allongé dans mon lit, et moi près de lui.

J’étais terrorisée, je me disais que je ne devais pas m’endormir, qu’il fallait que je surveille sa respiration toute la nuit. Mais les émotions m’avaient épuisée, et j’ai fini par m’assoupir quand même.

Le soutenir après sa tentative de suicide

Les deux semaines qui ont suivi ont été dures : je l’accompagnais chez la psychiatre, à la pharmacie, je l’aidais pour son traitement, je le surveillais constamment.

Nous avions été à notre école, pour les informer de la situation, et ils m’ont autorisée à rater les cours le temps que tout s’améliore.

Je l’ai obligé à appeler ses parents, et sa mère est venue pour m’aider quelques jours.

Les premiers temps, il vomissait tous les repas, c’était très dur. Mais petit à petit il allait mieux. On évitait de trop parler de ce qui s’était passé.

La troisième semaine, j’ai repris quelques cours, pendant que son meilleur ami s’occupait de lui. Tout le monde savait ce qui s’était passé, et je me sentais comme une étrangère dans un milieu que je connaissais pourtant parfaitement.

Tout me semblait tellement banal, sans intérêt. Je me disais que les gens se prenaient vraiment la tête pour rien, qu’il y avait tellement plus grave dans la vie.

Quelques amis me soutenaient mais ne pouvaient pas comprendre. Je n’ai jamais eu le soutien de mes parents, parce que je n’ai jamais osé leur raconter, par respect pour mon petit ami et l’opinion qu’ils avaient de lui.

Je me suis souvent sentie très seule.

Nous sommes restés ensemble un an et demi, mais je crois que rien n’a plus été pareil après ça. Des mois après, j’avais besoin d’en discuter avec lui, qu’il comprenne ce que moi aussi j’avais vécu ce soir-là, mais il ne voulait pas en entendre parler.

J’étais hantée par cette soirée, et par la peur que j’avais eue.

Rupture d’un amour très fort

Nous avons rompu après une nouvelle dispute en juin 2015, et là j’ai su que je devais faire ma route, qu’on se faisait trop de mal et que je n’avais pas à m’occuper de lui. Que ce n’était pas mon rôle.

Il y a eu une tentative de rabibochage trois mois après mais ça n’a rien donné, notre histoire était finie, et on l’acceptait tous les deux.

Depuis, nous avons tous les deux rencontré d’autres personnes, avec qui nous avons tous les deux des relations sérieuses, saines et heureuses.

Nous sommes encore en contact et je pense que nous le resterons, car nous avons vécu une histoire d’amour très forte que nous ne pourrons pas oublier.

Mais cet événement reste l’un des plus marquants de ma vie, et je ne souhaite à personne d’avoir à vivre la même chose.

À lire aussi : À mon ex qui vient de décéder

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Les Commentaires

8
Avatar de alice-louve
11 septembre 2023 à 09h09
alice-louve
Moi ce qui me choque, c'est que cette étudiante soit autorisée à rater des cours et que personne ne se dise que peut-être, c'est un sacrifice énorme à lui demander...? Je ne suis pas médecin mais le sentiment que j'ai, c'est que ce jeune homme avait besoin d'un séjour en clinique psy, ou au moins d'un soutien quotidien par du personnel qualifié. (Ce qui n'empêche pas bien sûr qu'elle soit présente pour lui, mais pas qu'elle devienne aidante).
Dans quel monde on vit pour que tout retombe encore et toujours sur sa compagne, qui se retrouve à sacrifier ses études et sa santé mentale à elle pour s'occuper de lui...
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