J’ai longtemps porté (et je porterai longtemps) la chandelle pour les couples que forment mes ami-e-s. Avec plaisir quand j’apprécie les deux partis, avec une certaine crispation quand il ou elle ne le/la mérite pas (mais en même temps, qui suis-je pour juger ?), avec lassitude quand les hormones les travaillent, avec envie quand mes hormones me travaillent…
Je porte fièrement la chandelle comme un soldat qui brandirait l’étendard de son propre célibat.
Au début, à l’époque que nous appellerons « le temps de l’innocence », tenir la chandelle me semblait une opportunité incroyable pour pénétrer un peu l’intimité du couple, cette entité bicéphale aussi improbable qu’intimidante.
Dès la primaire, j’ai observé les zamoureux de loin avec un oeil de chat intrigué zieutant la lumière que projettent les montres sur les murs. Je me proposais pour transmettre les messages de l’un à l’autre, me transformant en une servile petite intrigante, avide d’en savoir plus.
Que pouvaient-ils bien faire ? Qu’avaient-ils de si intéressant à se dire, ces gens que tout opposait mais qui s’offraient des bijoux en toc et s’entrépluchaient la clémentine (au sens propre voyons !) ? Pourquoi le monde tournait-il autours d’eux ? Quel était cet étrange pouvoir qui transformait la fille la plus insignifiante de la classe en une star dont tout le monde parlait pendant des semaines d’un air mi-offusqué (on est prude à dix ans), mi-envieux ?
Ils ne maîtrisent même pas le french kiss, ces nuls.
Au collège, j’avais beau ne pas connaître les individus qui se mettaient en couple (c’est-à-dire se tenaient parfois la main en public, amenant tout le monde à se demander s’ils « l’avaient fait »), je leur tenais la chandelle… de loin.
Je savais, bien évidemment, qui était avec qui, qui avait rompu ou foutu un râteau à qui, etc. Tout ça devenait furieusement intéressant et même si le temps de l’innocence était toujours là et que je n’avais aucune idée de ce que je ferais avec un gus s’il avait le mauvais goût d’accepter mes avances, je me mis en quête de l’amûr et commençai à me manger des râteaux avec une persévérance digne des plus grands héros de roman.
L’amour, le couple, était devenu mon MacGuffin, je le cherchais désespérément mais je ne savais pas ce que c’était. Je le voulais, terriblement, je rêvais de vagues concepts, de dévotion totale, d’oubli de soi-même dans les yeux de l’autre, de force des sentiments.
Je n’y comprenais rien.
À force de tenir la chandelle, d’observer les couples comme un phalène attiré par le néon bleuâtre d’un motel mal fréquenté, je me suis brûlé les ailes, inévitablement. Et la jeune curieuse a laissé place à une vieille fille prématurément aigrie et parfaitement assumée. Après tout, pourquoi s’embêter avec ces bêtises quand on a dix doigts bien plus fonctionnels qu’un chibre adolescent ?
Au lycée, j’étais déjà blasée (ou du moins, je feignais de l’être), et quand mes copines ont commencé à avoir des histoires de coeur, à rouler des patins à leur moitié à trois centimètres de ma personne en m’éclaboussant de bave ou à me raconter comment la sodomie c’est comme faire caca à l’envers, j’ai fait mine d’être totalement indifférente à tout cela.
En réalité, mon coeur de pucelle gonflait de jalousie (sauf peut-être quand il s’agissait de sodomie). Je ne pouvais m’empêcher de les imaginer, de les mettre en scène dans mille positions acrobatiques. Ils étaient des aventuriers du sexe, du couple, ils exploraient un univers totalement nouveau et inédit, un univers de grandes personnes dont je me trouvais cruellement exclue.
Je me comparais en permanence. Je cherchais toujours à savoir qui appartenait à l’étrange caste des initiés, ceux qui avaient déjà pécho, ceux qui avaient déjà tripoté, ceux qui avaient déjà…
Comment ? Unetelle avait un copain ? Et même qu’ils l’avaient limite fait derrière les tapis dans le gymnase ?! Mais je savais déjà le mot « clitoris » que sa maman lui lisait encore Monsieur Madame ! Décidemment, l’humanité était trop injuste. Elle laissait les individus les moins dignes pénétrer le saint domaine du couple et abandonnait de fervents dévots (non assumés) tels que moi sur le bas-côté.
Plus le temps passait, et plus les couples exhibitionnistes me semblaient insupportables. Ces ignobles mélangeurs de langues et ondulateurs de bassins qui bloquaient la circulation dans les couloirs me provoquaient des réactions épidermiques.
Ah les abjects ! Ah les sagouins ! Ils osaient montrer au monde leur bonheur d’être ensemble et leur ébullition hormonale ! Ils le paieraient cher !
Gnagnagna bande de nuls.
Je me lançai dans une croisade personnelle de vieille nonne aigrie contre eux, multipliant les bousculades visant à transformer leurs échanges labiaux libidineux en un remake du coup de boule de Zidane, sifflant des phrases aussi mesquines que « Y a des hôtels pour ça putain ! » ou encore « Quitte à jouer les exhib, faites une sextape et faites pas chier les gens qui veulent pas vous regarder ! ».
Je continuais de sourire aux récits de lose de plumard de mes copines (« …et là, j’ai fait un putain de pet de fouffe j’avais envie de disparaître ! »), mais le coeur n’y était pas. D’autant plus que tous leurs copains me semblaient d’abominables imbéciles ; quand je les voyais, je n’avais RIEN à leur dire. Pire, je ne pouvais m’empêcher de les imaginer tous nus, donc toutes les anecdotes crues de mes copines me revenaient en tête au moment de leur faire la bise et de frotter ma lisse joue dopée au Biactol à leurs pores mal rasés. Mais qu’est-ce qu’elles leur trouvaient ?!
Et puis, j’ai rencontré quelqu’un, j’ai pécho, tripoté, couché (et tout ça en une journée) et…
Ça n’a pas changé grand-chose.
J’étais dans une relation à distance et, de fait, toujours la cinquième roue du carrosse, la solitaire pathétique qui paie sa place toute seule au ciné et se gave de M&M’s pour passer outre les bruits de léchage à côté, celle qui se retrouve derrière quand on se promène en ville parce que marcher à trois de front c’est pas possible, la fille seule au lycée qui s’énerve face aux couples exhibitionnistes et ne peut pas s’empêcher de les imaginer tous nus. Aujourd’hui encore, d’ailleurs, rien ne m’agace plus qu’un couple trop enhardi dans un espace public.
Mais néanmoins, avec le temps et la sénilité, j’ai fini par m’apaiser à de nombreux niveaux. Les couples guimauves ne m’énervent plus ou presque, tant qu’ils restent décents, et je m’entends bien avec les partenaires de mes ami-e-s.
Peut-être parce que je suis moins jalouse, peut-être aussi parce que mes camarades sont plus avisé-e-s dans leurs choix de compagnes et compagnons ? En tout cas, je n’ai plus honte du tout de ma position de « pote célibataire ».
Peut-être que ça me pèsera plus dans le futur, quand certain-e-s ami-e-s se poseront et que leur vie différera vraiment de la mienne, mais en attendant, je me sens privilégiée. Désirée. Je suis la bulle d’air d’un couple sur des rails, l’électron libre, le lonesome cowboy qui s’autogestionne et chez qui on est toujours (ou presque) le ou la bienvenu-e pour se plaindre du parti opposé.
Je tiens la chandelle, je le fais du mieux que je peux et… j’en suis fière !
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