Cocher des cases pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles banalisées, c’est le concept qu’ont lancé Lolita Augay et Alix Peigné, étudiantes, il y a une semaine sur Instagram.
Un concept simple et libérateur, adressé aux femmes mais aussi aux hommes, qui a proliféré à une vitesse folle via des stories sur le réseau social.
Des templates en stories Instagram pour dénoncer la violence inhérente à notre société
Un template vide, des cases à cocher pour indiquer si on a déjà été suivie, harcelée, violée, ressenti de l’insécurité dans un lieu public ou une relation intime.
Puis un partage en story Instagram et le résultat est concret, visuel et tristement parlant.
En seulement quelques jours, Alix et Lolita ont reçu plus de mille témoignages sur leurs différents comptes Instagram — sans compter tous les témoignages dans lesquels elles n’ont pas été taggées — et partagé 1050 grilles remplies sur leur page @cochetescases.
Des cases cochées qui reflètent majoritairement le vécu de femmes, jeunes ou non, venant de tous les horizons, qui se sont adressées directement aux deux jeunes filles âgées de 20 ans, et dont Lolita se fait la porte-parole :
« La rapidité du mouvement montre que les femmes n’en peuvent plus, et que chaque occasion de dénoncer est bonne à prendre, puisque rien ne change.
J’ai reçu des messages de mamans me disant qu’elles se battaient pour la même chose il y a 30 ans, et qu’on se battra toujours dans 20 ans. Cela montre aussi que la honte n’est toujours pas du côté des agresseurs.
De nombreuses femmes, parfois âgées, me disaient que c’était la première fois qu’elles en parlaient ; d’autres avaient honte ; d’autres voyaient encore des psychologues ; d’autres étaient encore avec un conjoint violent…
[…] Le phénomène est généralisé, grave, mais les femmes restent dans le silence, et c’est normal : les tabous, l’inaction du gouvernement ou de la justice, l’accueil déplorable des femmes dans certains commissariats, notre honte intégrée et la méconnaissance de nos corps et de notre plaisir, ainsi que l’incompréhension de certains hommes nous poussent à nous taire.
Mais il y a une autre raison. Notre culture, les rapports de dominations entre hommes et femmes et la pornographie mainstream de plus en plus violente et accessible engendrent une violence chronique chez les hommes dans leur vie intime.
Beaucoup d’adolescentes se plaignent de la violence des rapports sexuels des débuts de leur vie sexuelle : cette violence vécue jeune bouleverse notre rapport au corps et à l’autre, et affecte notre confiance en société.
Tant que ce problème de violence ne sera pas abordé, il est difficile d’espérer que les choses changent. Les femmes ont parlé ; aujourd’hui, c’est aux hommes de changer et de nous écouter. »
Un outil sociologique pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles
La genèse de ce projet s’est déployée dans l’esprit de Lolita et Alix pendant le confinement, alors que le harcèlement de rue se décuplait, comme l’ont montré les multiples témoignages sur les réseaux sociaux.
À lire aussi : Non, le harcèlement de rue ne disparaît pas pendant le confinement
Le confinement et sa lenteur, son ennui, son angoisse, ont favorisé chez Lolita et Alix des réflexions profondes, et le rappel de mauvais souvenirs du passé :
« Pendant le confinement, plus je réfléchissais sur la condition des femmes dans nos sociétés, plus j’accumulais de la colère. Puis, j’ai appris de tristes choses sur ma mère et mes meilleures amies.
À cela s’ajoute le harcèlement de rue qui s’est empiré après le confinement ; sur un trajet de 10 minutes, je me suis faite suivre, siffler et interpeller par des hommes en voiture deux fois.
Je cherchais à faire quelque chose de positif de cette colère, alors j’ai voulu écrire un texte. J’en ai parlé à Alix, qui a alors eu l’idée de créer un template.
Nous avons posté les deux en story sur mon compte Instagram @lolesoleil le vendredi 3 juillet. J’ai reçu d’abord beaucoup de réponses des filles de mon entourage, qui cochaient en moyenne plus de 10 cases sur 22. »
En comparant les grilles de plusieurs générations de femmes âgées de 12 à 60 ans, Lolita s’est rendue compte d’une évolution des types de violences subies par les femmes et notamment de l’impact d’Internet.
Puis elle a comparé les grilles en fonction du genre et de l’orientation sexuelle, transformant ce visuel en un véritable outil sociologique :
« Le template est très concret : il permet d’aborder de manière synthétique le harcèlement de rue, les violences conjugales, les agressions sexuelles (exhibitionnisme, attouchements, viol).
Il est écrit en écriture inclusive : tout le monde peut donc y répondre. Les hommes cisgenres et hétérosexuels cochent entre 0 et 3 cases en moyenne. Pour les femmes, la moyenne se situe autour de 11 ou 12.
La communauté LGBTQIA+ coche aussi beaucoup de cases, j’ai reçu de nombreux messages de personnes transgenres ou d’hommes homosexuels ou bisexuels.
Nous le proposons comme un outil sociologique, il est difficile de contester les résultats ; je n’ai reçu aucun message de haine, et le mouvement a touché beaucoup d’hommes.
Nous exposons un fait social : les femmes sont largement plus exposées à ce genre de violences que les hommes, et culturellement, les hommes sont plus susceptibles d’être violents.
Cette situation n’est pas normale et intolérable pour les deux sexes : le template permet de s’en rendre compte de manière visuelle. »
En miroir de la version destinée aux victimes, sans distinction de genre, Alix et Lolita en ont aussi créé une à destination des agresseurs, qui n’a jamais été repartagée, à leur connaissance.
Lolita raconte :
« Deux garçons m’ont proposé de créer cette version du template qui s’appelle « à cause de moi, quelqu’un a déjà ».
Je n’ai reçu aucune réponse, ce qui montre bien qu’il est très difficile d’accepter et de reconnaître sa propre violence, et explique en partie pourquoi rien ne change.
Pour que les hommes comprennent réellement l’ampleur du problème et la gravité de ses conséquences, et adaptent leur comportement, il faut tout reprendre depuis le début dans le calme et fournir des preuves.
[…] C’est long et cela demande beaucoup d’écoute, de bienveillance et de patience, et malheureusement, peu sont réellement prêts à entendre cela.
Mais par exemple, des amis ont été bouleversés par mon template et ceux de mes amies, ont lu mon texte, et ont radicalement changé leur conception du sexe.
C’est très positif : cela montre qu’avec une éducation calme, intelligente et argumentée, chaque homme peut changer.
[…] J’ai de l’espoir pour les générations futures, elles commencent à s’éloigner des générations de nos grands-parents et de nos parents, qui sont culturellement sexistes.
Avec une bonne éducation sexuelle à l’école, on pourrait retrouver une conception fraîche, saine et égalitaire de la sexualité dans nos sociétés. »
Instagram, réseau social support du militantisme féministe
Dans la même veine,
Anna Toumazoff, créatrice du compte militant @memespourcoolkidsfeministes, Amal de @inside.women, et Wendy @wnstz, ont lancé il y a quelques jours le compte @toutenuedanslarue pour lutter contre « le harcèlement de rue contre les personnes perçues comme femmes ».
Elle a créé et diffusé son propre template appelé « ma check-list du harcèlement sexiste », et son compte a déjà gagné plus de 10 000 followers en moins d’une semaine.
Il y a une dizaine de jours, Anaïs Bourdet, militante et créatrice du compte Instagram @payetashnek, a elle aussi fait une apparition marquante et très visuelle sur le réseau social en interpellant directement les violeurs.
12 posts emprunts de colère 1 an après son éloignement des réseaux à cause de son burn out militant, en réaction au remaniement ministériel et à la nomination de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur :
« La violence de cette décision, je me la suis prise en pleine face comme une tarte dans la gueule, comme beaucoup de victimes de viol, je pense.
C’était trop, j’ai vraiment eu l’impression de voir une décision volontairement violente envers les féministes.
J’en ai parlé avec beaucoup de monde, et j’ai vu qu’il y avait évidemment énormément de militantes qui étaient montées au créneau et j’avais envie de rajouter du poids à cette parole-là.
Comme je suis la confidente de victimes, je trouvais important d’appuyer toutes les féministes qui dénonçaient déjà cette décision.
Il fallait que ça sorte, en fait. J’avais besoin moi aussi de m’exprimer. »
Une colère et une indignation qui lui ont confirmé qu’il était important pour son bien-être de prendre du recul sur les actualités.
À lire aussi : Ce compte te révèle le secret derrière les photos des influenceuses
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires