Je ne suis pas SDF, je n’ai pas non plus de crête, de tatouages ou de piercings, je n’ai pas de rottweiler avec option collier à pics. Je n’ai même pas d’amis drogués. Non, au moment où cette histoire a commencé, je vivais chez mes parents, j’allais à la fac, je sortais avec mes amies après les cours, j’allais au ciné. Bref, j’avais une vie basique d’étudiante.
Comment ça a commencé ? Tout bêtement. Je prenais un morphinique (appelons-le Oxy) pour des douleurs chroniques invalidantes. L’Oxy n’était pas le médicament magique, je supportais mal les nausées, la sensation de ne plus être vraiment sur Terre, à mi-chemin entre la détente absolue et l’angoisse, les démangeaisons partout et l’hyperacousie. La douleur ne disparaissait pas complètement, mais ça me permettait de dormir quelques heures. Me connaissant assez bien (j’ai à mon actif des troubles du sommeil, des TCA, et plusieurs tentatives de suicide étant ado), je me suis tout de suite fixé des limites. J’en prendrai le moins possible, et surtout pas pour réussir à m’endormir les soirs d’insomnies.
Loupé. J’aurai quand même tenu un an avant que ma consommation ne dérive.
Quand ça a commencé…
Ça s’est passé un soir, peu de temps après la rentrée. C’était un moment particulièrement difficile où les douleurs m’handicapaient au plus haut point – la rentrée, le mauvais temps… Je devais faire face aux réflexions désagréables de mes parents à propos de mes absences répétées à la fac, alors que je m’en voulais déjà énormément d’être bloquée chez moi. Les transports en commun m’épuisaient, je ne tenais pas assise en cours, je n’avais plus la force de rentrer chez moi à la fin de la journée.
Et puis un soir, je ne sais plus pourquoi, je crois que je me suis engueulée avec mes parents. C’était une dispute sans importance, mais ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Quelques années auparavant, j’aurais pris une lame de rasoir, je me serais scarifiée, ou pire, j’aurais avalé une dose inimaginable de médicaments. Mais j’avais changé, je ne voulais plus faire de mal aux autres, je voulais juste aller mieux. Je me suis dit : « Tiens, si je prenais de l’Oxy, là? Je pourrais m’endormir, et demain je repartirai sur de meilleures bases« . Ça n’aurait pas eu autant de conséquences si je m’étais arrêtée là. Mais je me suis rappelée une conversation avec une amie à propos de sniffer… et quelques minutes de réflexion plus tard, je me retrouvais en train d’ouvrir ma première gélule.
La dépendance est insidieuse, elle vient discrètement, alors que vous ne vous en rendez pas compte. Elle vous fait croire que si vous prenez davantage de produit, c’est juste parce que vous en avez envie, que vous l’avez choisi. Mais c’est elle, derrière vous, qui tient les rênes.
La première semaine, j’en ai pris tous les soirs, pour m’endormir. Je n’avais rien trouvé d’aussi efficace, je me sentais mieux en 3 petites minutes, court moment que j’avais l’habitude d’occuper en jouant de la musique. Et puis je me couchais. Les nausées me gênaient moins, mieux encore : elles m’empêchaient de fumer et je trouvais ça positif. L’hyperacousie était mon « symptôme » préféré : au moment où le son résonnait dans ma tête, je savais que le médicament avait agi.
Il faut savoir que j’avais tellement fait attention, pendant un an, à ne pas en prendre trop souvent, qu’il me restait des doses considérables d’Oxy.
Quand tout devient compliqué
Je ne me rappelle pas comment je suis arrivée à en prendre 8 fois par jour. C’est arrivé très vite. Je crois que tout s’est accéléré quand je suis partie avec d’autres étudiants en voyage, pour des conférences. Je voulais pouvoir assister à tout, sans être handicapée par mes douleurs. J’avais réussi à m’en faire represcrire, en mentant à propos des doses, pour que je puisse tenir plusieurs semaines avec. J’étais donc partie avec de belles provisions.
Certaines de mes amies étaient au courant, il m’est même arrivé de sniffer devant elles. Et même les fois où je me cachais, elles comprenaient. Une fois, en pleine conférence, j’ai pretexté vouloir fumer une cigarette et je suis partie. Je suis évidemment allée aux toilettes prendre ma dose, et en sortant, une de mes amies m’attendait devant la porte. Je savais que ça n’était pas vraiment normal, mais je ne me sentais pas toxico. J’étais encore au moment où on se sent fort, et où on a l’impression de tout gérer. J’étais presque fière de moi, mais au fond, je crois que je commençais à avoir un peu honte.
Ironie du sort, la dernière conférence à laquelle j’ai assistée parlait des drogues. À la fin, et grâce au soutien de cette même amie, je suis allée parler à la psychiatre qui l’animait la conférence. Ça a été le premier pas vers la prise en charge.
Avec le recul, j’étais déjà bien accro. Je ressentais le manque dès mon réveil, au point d’en avoir des nausées jusqu’à ma première prise. Et surtout, l’effet antalgique avant presque complètement disparu.
Merde, je suis dépendante.
Au retour, j’ai commencé à me rendre compte que ça n’allait pas. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de cette période, mais je sais qu’en allant à la fac, parfois, j’avais pris des doses tellement importantes que j’avais du mal à respirer. J’attendais les pauses entre les cours pour ne pas être en manque.
Le pire a été quand je me suis rendue compte que mes réserves d’Oxy s’épuisaient. Quand je n’en ai plus eu, j’ai réalisé que je ne pouvais pas m’en passer. J’ai essayé de sniffer d’autres médicaments que j’avais chez moi, mais ça ne fonctionnait pas : je vomissais, j’angoissais. J’ai alterné entre les moments de sevrage auto-imposé, et ceux où je craquais. Je me mettais à chercher dans ma maison, dans mes sacs, armoires, la moindre petite gélule qui m’aurait échappé. Je suis retombée plusieurs fois sur des plaquettes entières et à chaque fois, la consommation a repris de plus belle. Entre-temps j’essayais de m’en sortir, je jetais même des boîtes encore pleines en prenant la décision d’arrêter définitivement, ou je m’obligeais à venir à la fac sans Oxy. Mais ça ne fonctionnait pas, et j’étais épuisée de lutter contre l’addiction, alors un jour j’en ai eu marre, et j’ai demandé à mon psy une hospitalisation en addictologie.
Le sevrage
Je crois que je suis rentrée à l’hôpital un jeudi.
Je n’ai pas eu un bon feeling avec le chef de service. Je voulais partir, il me disait que la porte était grande ouverte. J’avais besoin qu’on me motive, qu’on me dise « Vous pouvez le faire, c’est difficile mais ce serait dommage d’arrêter maintenant« . Je n’ai rien eu de tout ça. Avec le recul je pense qu’ils veulent que l’on choisisse seul d’entrer en désintox, et que l’on assume notre choix. J’ai failli partir plusieurs fois, mais je suis restée.
Je connaissais déjà les symptômes du manque : la sensation de froid, partout, les nausées, les maux de ventre, les maux de dos, l’angoisse, les crises de larmes, l’insomnie. Et le craving, ce moment où l’on ferait tout pour consommer. Pour avoir une seule petite gélule. Ces moments de fantasme où je rêvais de ressentir la poudre dans mon nez, la brûlure dans l’arrière-gorge, l’hyperacousie caractéristique et le calme absolu, la chaleur orgasmique, la plénitude que m’offraient l’Oxy. J’étais en transe pendant ces quelques minutes de rêve, puis je me rendais compte que ça n’était pas réel, et je finissais en pleurs, couchée dans mon lit d’hôpital, frappant le matelas de toutes mes forces en me retenant de sangloter.
Je n’ai pas mangé pendant une semaine, j’ai occupé mon temps en regardant des épisodes de Dexter, qu’un ami me passait sur clé USB à travers la grille du petit jardin. J’ai beaucoup pleuré, j’ai écouté et joué de la musique.
Il faisait très froid dehors (ou était-ce le manque ?) mais je passais beaucoup de mon temps à fumer. J’ai rencontré un copain de galère là-bas, un Syrien en sevrage alcoolique. Malgré la barrière de la langue, on a beaucoup discuté : on comparait la vie en France avec celle en Syrie. On parlait musique, amour, société. Il m’apprenait des mots en arabe et moi en français, et le temps passait un peu plus vite.
À la fin de la semaine, on m’a proposée de passer le week-end chez moi puis de revenir, pour un ou deux jours, de manière à vérifier que je n’avais rien repris. Je suis rentrée et j’ai tout de suite recommencé. Quelques jours plus tard, je n’avais plus de réserves. J’ai cherché partout, pendant plusieurs jours, puis je me suis fait une raison. J’ai continué à fouiller de temps en temps, puis de moins en moins souvent. Aujourd’hui je ne cherche plus, mais quand j’aperçois un comprimé qui ressemble à l’Oxy, je ressens une drôle de sensation. Un mélange d’envie, de dégoût et d’angoisse.
Pendant mon hospitalisation, le personnel soignant a essayé, inlassablement, de me convaincre que j’étais toxico. Je n’acceptais pas ce terme. Je crois que c’est aujourd’hui, après avoir écrit tout ça, que je le reconnais.
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Les Commentaires
Avant de prendre des médoc type benzo, j'avais pris des anxio que j'avais très bien supporter, le genre de medoc a ne prendre que quand on sent la crise d'angoisse monter et qui jugule simplement le stress pendant un petit temps. Quand on m'as prescrit de la benzo, c’était sous forme "rapide", pour juguler les crises de la même façon, mais je suis tombée complètement accro, a cette sensation de ne plus avoir peur de rien, de joie factice, comme après avoir bu une bière trop vite. un jour d’angoisse, j'ai louper le réveil et une consultation medicale chez ma gynéco et un rdv avec ma tante qui m'attendais a la gare. Mon père a refuser de leur téléphoner a ma place pour le prévenir. j'ai pris un comprimer pour téléphoner a ma tante, un autre pour le secrétariat de ma gygy, un autre pour dormir, un autre pour me lever... une plaquette entière sur une journée.
Je ne me souviens pas des deux jours suivant, ni de cette journée. c'est comme si c’était un gros trou blanc, aucune image, mais je sais que j'ai vomis, parler a ma mère, dormis... comme si je lisait une liste sur le papier "10h30 : croiser maman dans le couloir", pas de réminiscence, rien, impossible de savoir ce qu'on c'est dit. C’était ma première surdose, et la dernière j’espère.
C’était ma dernière plaquette, je n'en ai plus demander a mon médecin qui a fortement désapprouver que je ne prenne plus de traitement, mais j'ai compris que tant que des substances masqueraient mes angoisses, je ne pourrais jamais en guerrire.
Je sais que j'ai des tendance a l'addiction, je dois toujours faire attention a ne jamais boire un verre d'alcool seule chez moi, a ne jamais trop être tentée de fumer, je me force a toujours suivre ce genre de règles, parce que je ne veux plus jamais me retrouver défoncée, a gober des cachets en pleurant pour que ca s’arrête.
L'addiction ca va si vite, même des addictions discrètes, perçues moins négativement que celle aux drogues dures, c'est terriblement difficile d'en parler autour ce sois, et donc d’être aidés. Mon copain est au courant, et du coup il y fait attention, attention quand je me sert un verre, je lui demande "je peux me resservir ou ça serais trop?" . Rien que ça ça aide.