Article initialement publié le 22 février 2011
Avoir un père raciste
Tac tac. Je fais même pas dans la dentelle. Mon père, oui, est raciste. Le pire, c’est que son racisme à lui est particulier, il ne concerne que trois catégories d’individus : les arabes, les noirs, et… les gros. Les asiatiques, les indiens, les maigres, les blonds, les juifs : on s’en fout, on ne les « voit » pas, selon lui.
Et puis quoi ? Suis-je devenue raciste pour autant ? Dois-je couper les ponts avec mon géniteur ? Peut-on aimer quelqu’un de raciste ? En analysant ce que je suis devenue aujourd’hui, je peux le dire : oui, c’est possible. Mais oui, ça implique un sacré retour sur soi. Ambiance chez une fille qui, il y a peu de temps encore, culpabilisait en mangeant du kebab.
Chose étonnante : dans ma famille, mon père est le seul raciste. Ayant un « noyau » familial très limité (parents, frère, grands-mères et c’est tout), autant dire que les grandes tablées avec d’un côté ceux de gauche, de l’autre ceux de droite, je ne connais pas. Chez moi, il y a mon père très grande gueule, ma mère très effacée mais lucide, mon frère et moi. Enfin, il y avait, nuance. Aujourd’hui tout le monde est éparpillé, moi-même ayant coupé les ponts avec mon père, mes parents ayant divorcé, et mon frère étant parti vivre sa vie ailleurs. Néanmoins, quand j’étais plus jeune, le schéma était là.
Mon père est raciste parce qu’il est complètement con, ça ne va pas plus loin.
Mon père ne m’a jamais dit les choses clairement, du type « les noirs ils sont dégueulasses, faut pas les approcher ». Non non, mon père tient son racisme de son manque d’intelligence, tout simplement. En clair, il est raciste parce qu’il est complètement con, et ça ne va pas plus loin.
Aussi loin que je m’en souvienne, les blagues douteuses ont toujours été légion dans sa bouche. Première approche du racisme contre les noirs :
« Tu sais pourquoi ils ont la paume des mains blanches ? Parce que le bon Dieu, avant de les mettre sur Terre, ils les a mis à quatre pattes et il les a peints en noir, donc il a pas touché aux paumes. »
Ok, je devais avoir 6 ans, je trouvais ça méga louche mais j’ai laissé faire. Après tout, c’était vraiment débile comme blague, surtout venant d’un père fondamentalement athée…
Petit à petit, les blagues sont devenues des prétextes à dire que oui c’était vrai, finie la rigolade, les paroles deviennent sincères. J’ai alors compris que le vocabulaire raciste faisait preuve de nuances totalement dépassées : les noirs ne sont pas des noirs, non, ce sont forcément de « gros noirs ». Comme si, forcément, un noir devait se repentir de sa couleur différente, le « gros » impliquant forcément un être gras, sale, répugnant.
Le noir fait aussi corps avec sa « grosse bite » : n’oublions pas que le mâle noir veut forcément embrocher la femelle européenne à grands coups de sa teub d’éléphant. La « grosse bite » donne donc un « gros noir ». Logique.
Les arabes, eux, font état de leur « race de merde ». On y est : il y aurait des races, et celle-ci n’est apparemment pas bien cotée dans le palmarès perso de mon géniteur.
Mon père m’a toujours dit une chose, concernant les garçons : « pas de gros noirs ni de bougnoules ». Beh oui : je risquais, au choix, une perforation violente du vagin et une contamination, ou bien de terminer ma vie voilée de la tête aux pieds à devoir faire à manger pour mes quatorze enfants occupés à réciter le coran avec papa-Taliban. Vaste programme pour ma future vie sentimentale.
L’arabe, donc, était forcément un être vicieux occupé à vivre en clan, voulant agresser le moindre blanc venu, et désireux de ramener de la meuf là-bas, dans son pays pour l’enfermer et en faire sa bonniche, option esclave sexuelle et poule pondeuse en sus. Théorie renforcée le jour où mon frère, passant dans un quartier « chaud » de ma ville, s’est fait caillasser son VTT alors qu’il était encore jeunot. La faute aux bougnoules, ça c’est sûr. Pas la faute aux petits cons, non.
Quant au « racisme » anti-gros, ça peut paraître étrange mais je le compare ici aux autres car il est tout aussi absurde. Mon père est persuadé que les personnes en surpoids sont d’ignobles bouffeurs qui s’empiffrent à longueur de journée et ne foutent rien pour déloger un tant soit peu de leur graisse. Ces feignasses, j’te jure…
Ainsi, à la moindre variation de mon poids, mon père me lardait de « tu défonces », « tu deviens une bouboule comme eux » (eux, soit les gros) ou mieux, d’un « t’es vraiment une grosse vache » s’il avait le malheur de me voir avec un paquet de chips.
Une fois l’adolescence passée et un physique de « jeune femme » arrivé, la grosse vache était devenue « un petit canon »… à condition bien entendu de ne pas grossir. Les gros, pour mon père, n’ont pas le droit de vivre : ils nous imposent leurs bourrelets dégueulasses sur les plages, en ville (même sous les t-shirts, oui). Selon lui, « on devrait les tuer ».
D’ailleurs, sa grande théorie venait du fait qu’avec de la volonté, tout le monde pouvait devenir un modèle de minceur : manger des pommes au lieu de dîner, la solution miracle. Puisque c’est bien connu, « pendant la guerre, y avait pas de gros » !
Alors, qu’est ce que ça engendre tout ça ? Pas du racisme, non. Je ne le suis jamais devenue. En fait, bien souvent, cela engendre de la culpabilité. Flashback : lors d’un anniversaire, je devais choisir mon cadeau. J’hésitais entre un album des 2Be3 ou celui de Charly et Lulu. Mon père a choisi les 2Be3, parce que y avait pas de « gros noirs » dedans : on allait quand même pas les engraisser. M’est avis qu’il avait jamais capté que l’un des 2Be3 s’appelait Adel.
Ambiance toujours, avec les insultes lancées contre la télé ou la radio dès que du raï passait. J’écoutais, en cachette, ce genre de musique en espérant ne pas me faire griller. Encore aujourd’hui, écouter de mon plein gré des chansons qui rappellent le Moyen-Orient ou le Maghreb me cause toujours deux ou trois minutes de malaise durant lesquelles je me dis que « c’est mal ». Et en fait ? Ça n’est pas mal, non. Ce sont juste des conditionnements à perdre.
Niveau poids ? Après avoir été boulimique, j’ai traîné de sacrés troubles alimentaires pendant des années. En public, ou chez des gens, ils ressurgissent quelques fois. Mais aujourd’hui, après avoir pris quelques kilos, je me sens mieux qu’avant. Si je devenais grosse, ça ne serait pas très grave, on ne devrait pas m’abattre pour autant comme un vulgaire bovin.
Mon père est petit, musclé, le teint mat, mon copain est très grand, maigre et blanc comme un cachet d’aspirine. De plus, avec une mère ayant vécue plusieurs années en Afrique, et étant d’origine juive, il est plus Benetton que gros con. Quand ils se sont rencontrés, mon daron a étalé sa science : « les noirs courent plus vite parce que dans la savane, ils se font chasser par les guépards ». Heureusement que je l’avais briefé sur le spécimen…
Et si je vous disais qu’aujourd’hui, si je n’ai plus de contacts avec lui, ce n’est pas pour cette raison ? Eh oui : voir que quelqu’un est raciste ne suffit pas toujours à se détacher de la personne.
« On peut trouver des qualités à quelqu’un de raciste »
Preuve en est : ma mère, absolument pas de ce bord, qui l’a pourtant épousé… pour d’autres qualités. Ça peut paraître étrange mais oui, on peut trouver des qualités à quelqu’un de raciste. L’amour ou l’amitié ne se basent pas uniquement sur des avis de ce genre, ne sont pas forcément rationnels.
À vouloir montrer au raciste combien il est con, on le convainc bien souvent du fait qu’il doit avoir raison. Et les cons, croyez-moi, il y en a beaucoup plus qu’on ne le croit. C’est par exemple cette personne qui me dit qu’en prépa, il n’y a pas de gosses d’ouvriers. Cette autre qui m’assurent que les noirs aiment forcément les blondes. Une troisième, qui m’apprend que les gens bénéficiant de la CMU sont de sales profiteurs du système.
Le plus absurde dans tout ça ? C’est que mon père a toujours adoré le couscous, et qu’il est fils d’un immigré espagnol ! Je vous le dis : plus qu’une question d’opinion, c’est une question de connerie.
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Les Commentaires
Il y a des personnes racistes dans ma famille, ils ne le sont pas tous - loin de là - mais il y en a, et ça culpabilise, et ça fait mal.
Le sentiment de honte est très prégnant vis à vis de cela chez moi, c'est quelque chose que je m'interdis et que j'ai toujours sincèrement trouvé abominable au point que j'en suis devenu un peu malade.
Peur de devenir comme cela également, ou d'être associée à ce type de comportement que je trouve hideux.
J'ai beau avoir été considérée comme quelqu'un de discret et de plutôt gentil quasiment toute ma - jeune - vie, j'ai toujours l'impression de porter un fardeau et une part sombre en moi.
Face à ce type de propos qui me mettais très mal à l'aise, je surréagissais parfois, mais me reprenais souvent en réponse une claque encore plus virulente. Puis j'ai fini par opter pour le silence, même si parfois sidérée et très en colère, j'aimerais répondre mais j'ai trop peur des secousses et pas assez de répartie.
Le racisme dans les foyers français est une réalité pour malheureusement un nombre conséquent d'entre nous, et c'est souvent lourd et agressif pour l'entourage. Oui, il faut en parler, même si c'est difficile.