Les familles monoparentales sont devenues quelque chose d’assez ordinaire en tout cas dans une grande ville comme Paris où tout va très vite, même les couples.
L’histoire que je vais raconter est somme toute ordinaire, à ceci près qu’elle ne concerne qu’une proportion minoritaire des familles monoparentales. Parce que j’ai grandi dès l’âge de 7 ans avec pour seul parent : mon père.
L’histoire de la fille qui n’avait plus de maman
Commençons par le commencement c’est toujours mieux.
Quand j’étais en CE1, le père de ma mère est décédé et elle est allée en Afrique pour assister à ses obsèques.
Le voyage coûtait très cher donc il était prévu qu’elle s’y rende avec mon frère alors âgé de 4 ou 5 mois et ce pour quelques semaines. Mais elle n’en est pas revenue.
Ce fut le premier moment difficile de ma vie, suivi de près par la réalisation qu’elle ne reviendrait pas. Je ne sais pas trop combien de temps ça a pris.
Un jour, je me suis juste dit que je savais qu’elle ne reviendrait pas.
De cette époque je me souviens juste d’une impression de vide et de silence à peine troublés par le bruit de la télévision ou de la radio.
Au prix d’une bataille juridique et d’un bras de fer avec ma mère et ma grand-mère, mon père est allé en Afrique pour chercher mon frère alors âgé d’un an.
Il était pour lui impératif que mon frère et moi soyons réunis et que nous ayons la nationalité française. En tant qu’immigré, il voulait nous éviter de vivre les mêmes galères que lui.
Mon père n’était ni particulièrement loquace ni chaleureux et je jouais souvent seule entourée de mes nombreux jouets dans la chambre que je partageais habituellement avec ma mère.
Le week-end était mon moment préféré car nous allions souvent voir ma famille étendue. J’avais alors des gens avec qui discuter et l’animation ambiante me faisait oublier la morosité dans laquelle je vivais.
Ayant été enfant unique, j’avais l’habitude de vivre dans mon propre univers entre les livres, la musique et mes poupées et la solitude était une vieille amie.
À cette solitude se mêlait une tristesse diffuse comme un bruit sourd et constant.
La plupart du temps je n’y pensais pas mais ça se compliquait quand je rencontrais des enfants inconnus. Curieux, ils me posaient cette question qui m’ouvrait les entrailles :
« Mais comment ça se fait que t’as pas de maman ? »
Mon père gérait lui aussi cette absence, l’échec de son mariage et la responsabilité qui lui incombait de nous élever seul, mon frère et moi.
Mon père et moi : l’organisation au quotidien
Matériellement je ne manquais de rien : je mangeais à ma faim, j’avais un toit, je recevais des cadeaux à Noël et à mon anniversaire, j’avais mes fournitures scolaires.
Mais les circonstances étaient parfois compliquées car mon père était ce que l’État appelle « un parent isolé », c’est-à-dire un parent qui élève ses enfants seul, sans participation financière du second parent.
Le fait qu’il soit seul demandait une certaine gymnastique organisationnelle ainsi que des sacrifices car il pouvait difficilement venir nous chercher à 16h30.
À partir du CE2, j’ai commencé à aller à l’école toute seule puis à rentrer toute seule après l’étude à 18 heures. C’était une source de stress pour mon père mais il n’avait pas le choix : il devait aller chercher mon frère à la crèche à 18 heures.
Pour re-situer, mon école était près du Louvre à Paris et la crèche de mon frère en banlieue parisienne, où nous résidions. Ce qui voulais dire que je prenais le métro seule pendant 40 minutes, matin et soir.
Nous avons également fait la queue à l’aide sociale pour recevoir des paquets d’aide alimentaire. Mon père le vivait assez mal, blessé dans sa fierté mais nous en avions besoin.
Lorsque la propriétaire de notre appartement a voulu le récupérer, ce fut très compliqué. Nous avons vécu chez de la famille pendant quelques mois puis à l’hôtel pendant presque toute mon année de 6e.
Nous étions fatigués en permanence par les longs trajets en métro. Lorsque je commençais les cours à 8 heures, je me levais à 6 heures du matin. Heureusement qu’en 6e, nous ne finissions jamais les cours après 16 heures…
L’hôtel coûtant extrêmement cher, nous avons fini par atterrir dans un foyer social. Nous avons eu la chance qu’il soit situé dans un beau quartier de la capitale (et oui ça existe) et bien tenu.
Les assistantes sociales présentes dans cette structure nous ont aidées à trouver un appartement, dans lequel nous avons emménagé à la fin de mon année de 5e.
Par ailleurs, mon frère était en partie sous ma responsabilité. Lorsque je commençais tard ou finissait les cours plus tôt, je devais l’accompagner ou aller le chercher à l’école.
Et parfois, j’étais prévenue à la dernière minute, par exemple, le matin même !
J’adore mon frère, mais parfois j’ai raté certaines expériences par manque de système de garde. Et ce problème qui aurait uniquement dû être celui de notre parent est aussi devenu le mien.
Les embûches de l’adolescence
Si je me réfère à la définition anglo-saxonne du teenager, je dirai que mon adolescence à débuté à l’âge de 13 ans, cependant mon corps a pris un peu d’avance et j’ai eu mes premières règles un peu avant mon onzième anniversaire.
J’étais chez une copine et sa mère m’a très succinctement dit : « Tu es une femme maintenant ». J’étais plus perdue que jamais.
Mon père est venu me chercher, la maman de ma copine lui a expliqué la situation et j’ai tout de suite compris qu’il était extrêmement mal à l’aise.
Ensuite jusqu’à mes 16 ans, j’ai joué avec mon père, un jeu de cons, tous les mois. Je lui demandais 3 €, il me demandait pourquoi, et j’essayais de lui expliquer pourquoi, sans être explicite.
Je suis sujette à d’intenses crampes menstruelles qui me mettent à genoux mais il ne l’a jamais compris. S’en suivaient des engueulades quand j’allais me coucher au lieu d’accomplir telle ou telle tâche alors que j’étais au bout de ma vie.
Le pire était tout ce qui concernait l’éducation sexuelle parce que ça n’a jamais été évoqué. Heureusement que je suivais en cours de biologie pour découvrir ce qu’est le clitoris avant l’âge de 30 ans.
À l’adolescence, je ne me suis jamais sentie à l’aise d’avoir un copain ou même une sexualité. Mon père ne m’empêchait pas de sortir, mais il avait peur des amis plus âgés et des environnements mixtes.
Une fois, mon amoureux de 3e m’a envoyé une lettre un peu tendancieuse mais mon père est tombé dessus. Je vous laisse imaginer la discussion gênante qui a suivi.
Il est déjà arrivé que je sois engueulée parce que j’avais été trop amicale avec un garçon.
Ce ne sont que quelques exemples parmi d’autres, mais de manière générale, j’avais peur de mon père, donc je ne lui racontais rien et je m’interdisais beaucoup de choses.
Grandir avec mon père, ce que j’en ai retenu
Mon père est quelqu’un de très pragmatique qui suivait à l’époque des principes d’éducation bien établis auxquels je me soumettais : j’étais très bonne élève, j’étais sage, je ne disais pas de gros mots, je respectais tout le monde…
Mais lorsque je n’arrivais pas à me conformer à ses attentes, la sanction était rude : ça allait du traitement silencieux au châtiment corporel avec ou sans accessoires.
J’ai été frappée parce que je suis rentrée en retard, j’ai été frappée parce que je m’insurgeais d’être engueulée, j’ai été frappée parce que je n’arrivais pas à apprendre mes tables de multiplication…
Résultat, c’est niqué, je ne les connais toujours pas après la table de 6 (enfin si mais je dois BIEN réfléchir).
Très tôt, je me suis dit que je ne toucherai jamais à un cheveu de mes enfants. Je me souviens encore comme si c’était hier de ce que j’ai ressenti à tous ces moments. Donc non, jamais.
Je n’oublierai jamais même si j’ai pardonné. Parce que mon père m’a demandé pardon et qu’il a bien changé.
Je pense également que si un jour, je décide d’avoir des enfants et que je me sépare du second parent, je lui laisserai faire partie de la vie de notre enfant. Dans la mesure où cette personne veut en faire partie bien sûr !
Surtout, j’ai maintenant le recul de voir à quel point nous avons tous été malheureux. Y compris ma mère.
Mon père a sacrifié des promotions professionnelles et une partie de sa vie d’homme à ses responsabilités de père. Peut-être d’ailleurs qu’il a trop sacrifié.
Qu’il aurait été plus heureux s’il s’était plus occupé de lui, de son bien-être.
J’ai développé une certaine affection pour les parents célibataires. Élever un enfant, c’est un travail de tous les instants et le faire seul, c’est archi-compliqué.
Mais je ne regrette rien de mon enfance car cette expérience a forgé la personne que je suis aujourd’hui. Et j’ai pas mal d’amour pour elle.
À lire aussi : Comment est-ce que tes parents t’ont « bousillée » ?
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Les Commentaires
Dans ma famille, il y a plusieurs générations. Les femmes comme ma grand-mère ou mes tantes parlaient des règles sans les désigner par le nom adéquat. C'était souvent "les choses" "les trucs" etc. Donc pour faire la liste de courses, il fallait marquer "choses", et ça ne marchait que si une femme faisait les courses. Mon grand-père et mes oncles étaient laissés en dehors de ça.
Quand j'étais plus jeune, mes cousins du même âge étaient donc aussi laissé en dehors de ça, et pour eux, c'est perçu comme quelque chose de sale ou de tabou.
En revanche, la plus jeune génération de ma famille n'a pas ce problème. Il y a un jeune adolescent de moins de 18 ans qui comprends très bien ce qu'il faut acheter, parce qu'autour de lui, le sujet n'est pas tabou et les règles sont désignées par "les règles" et non "les choses" ou "truc de bonnes femmes".
Je n'essaye pas de trouver des excuses aux pères qui ont du mal avec ce sujet, mais je voulais souligner que l'éducation liés aux différentes générations a probablement un rôle assez important là-dessus. (Et que c'est très important que le sujet ne soit pas tabou, même avec des jeunes garçons parce que ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas de règles que ça ne les concerne pas du tout, finalement)