Publié initialement le 13 janvier 2012
À part qu’on a les yeux bridés, au moins un ou deux cousins ceinture noire de taekwondo et une bonne connaissance (de fait !) de toutes les blagues « racistes » qu’un Européen peut nous faire, nous, la diaspora asiatique en France, possédons tout un lot de points communs plus inattendus. Je vous raconte.
1. Le condiment Maggi
De la même façon que mon mec a la fâcheuse manie de foutre du fromage râpé sur tous mes petits plats mijotés (quitte à anesthésier le subtil goût de miel-paprika) (et parce qu’il fait partie de cette espèce d’hommes que seul le fromage rassasie vraiment), moi aussi j’ai ma « tare » culinaire. Et je suis née avec. Je mets de la sauce Maggi dans TOUS les plats. J’adore ça.
Quand j’ai pris mon indépendance, la sauce Maggi est devenue ma meilleure amie, mon réconfort, l’épaule gastronomique sur laquelle me poser : je savais que quelle que soit la merde que je me cuisinerais, mon repas étudiant serait goûtu.
À la manière du dandy qui ne se balade jamais sans sa flasque de whisky en métal, j’ai déjà songé à être une « dandette du condiment liquide » (terminologie très sexy) du genre à avoir dans son sac-à-main une petite bouteille de Maggi, à déverser dans les plats au resto, chez les beaux-parents ou sur les plateaux fades du RU. Mais ma grand-mère (dont les connaissances scientifiques se rapprochent étrangement de celles des gourous) m’a assuré qu’une sur-consommation de Maggi pouvait entraîner la chute des cheveux. Sachant que cette sauce est constituée de :
eau, sel de cuisine, protéine végétale hydrolysée biologiquement, exhausteurs de goût (E 621, E631), extrait de levure, acidifiants (E 330, E260), blé, arôme.
je veux bien gager qu’il y ait effectivement moins chimique. Mais FUCK.
2. Le Karaoké
En France, le combo « ce soir on sort entre amis » par excellence, c’est le ciné-resto-terrasse-boîte. En Asie, c’est la soirée karaoké. Et oui, c’est à la mode. Au Vietnam, aller boire quelques verres de mojito en poussant la chansonnette avec ses amis dans une salle de karaoké louée, c’est « COOL ». En France en revanche, le karaoké c’est plutôt du genre « activité ringarde de dimanche après-midi dans une maison de repos alsacienne » ou « soirée qui met mal à l’aise lors d’un mariage foireux durant lequel le beau-frère de la mariée, le visage rougi par les verres de Bordeaux, essaye de la draguer devant tout le monde ». Légèrement gênant.
3. Les mangues salées
Mangues ? Salées ? Oui oui oui. S’il y a bien un truc que je tiens de mon père, c’est la passion du mélange sucré-salé hardcore. Je dis hardcore, parce que le sucré-salé d’un mélange « carottes au miel », c’est du Bisounours à côté de ce que mon palais exige. Moi je veux du fruit frais sucré à tremper dans des mélanges très pimentés, très salés, très saumures de fruits de mer. Typiquement, le goûter « idéal » (c’est-à-dire « au goût prononcé » et « qui requinque ») chez moi, c’est une assiette de pommes granny smith coupées en tranches, et des petites coupelles façon dips, avec :
– du sel et du citron – du sel et du piment – de la pâte de crevette
Des fois, ça arrache la gueule et ça me donne un peu mal au bide. Mais quand je décide que j’en veux, je suis incapable de m’en passer. Je suis capable de traverser tout Paris pour aller dans le 13e acheter ma came, même un dimanche soir sous la grêle. C’est ma drogue à moi.
4. Le baume du tigre
Quand j’ai un coup de mou, ou pire, que je couve carrément un truc chiant de type grosse fièvre, mes parents me mettent au lit puis apportent « le baume du tigre » pour apaiser mes douleurs.
L’utilisation est simple, quoiqu’un peu étrange : il faut appliquer une noisette de ce baume sur le dos et gratter de manière régulière avec une pièce de monnaie ou une cuillère. Résultat : la peau rougit très vite si je suis effectivement malade. Pour enlever la migraine, autre technique : appliquer un peu de baume du tigre sur les tempes, et masser très fort en faisant un mouvement de cercle avec les doigts, puis pincer la peau du visage qui part de l’arête du nez jusqu’au front. Et ainsi de suite.
Je vous rassure : mes parents sont très loin d’être des ermites aux moeurs montagnardes étranges. Ils sont athées, croient en la médecine générale, m’emmènent chez le docteur si besoin, votent (ahah) et ne gagnent pas leur argent via une activité a) illicite, b) dangereuse, c) mystificatrice. ET POURTANT. Cette très vieille technique de médecine chinoise transmise de génération en génération fait bel et bien partie du corpus familial des traditions.
Et comme ça a toujours bien marché sur moi, je le fais aussi à mon mec quand il a une migraine, et je prévois de le faire à mes enfants. Cette technique survivra donc au moins jusqu’en 2032. Tout va bien, aucune faille spatio-temporelle à prévoir.
5. NGUYEN
Où que j’aille, on me trouve de la famille. OK, les grandes ramifications imaginaires font partie du concept de diaspora. Mais non, tous les Nguyen que vous rencontrez sur votre passage ne se connaissent pas forcément entre eux. Le nombre de Nguyen que vous connaissez est d’ailleurs inversement proportionnel à la possibilité qu’un Nguyen de votre entourage connaisse ce Nguyen que vous venez de rencontrer.
Ainsi, non votre médecin de famille appelé Dr Nguyen n’est pas mon père, non je n’ai pas de petite soeur Nguyen scolarisée en fac de droit à Paris, non je n’ai aucun rapport avec cette Madame Nguyen teinturière et membre du club de tarot de votre grand-mère, non je n’ai pas de frère Nguyen dans le judo et non je ne connais pas de couple Nguyen restaurateurs dans le 13e.
Quand je rencontre quelqu’un pour la première fois et que cette personne bloque sur mon nom de famille, notre conversation commence toujours de la même façon, comme une danse loufoque et fatigante à la fois, très codée et ritualisée :
– Hé, mais tu serais pas la fille / la soeur / la cousine de Untel Nguyen ?! – Ah non… pas vraiment. – T’es sûre ??! – Bah oui, mais tu sais, Nguyen est le nom de famille vietnamien le plus répandu sur terre et…
… et là, j’explique à mon interlocuteur que :
- En 1232, après la chute de la Dynastie Lý, Tr?n Th? ??, fondateur de la nouvelle dynastie impériale, força les descendants des Lý à changer leur nom en Nguy?n.
- Après le renversement de la Dynastie Tr?n en 1400 par H? Quý Ly puis la restauration des Tr?n au pouvoir en 1407, les descendants de H? Quý Lychangèrent leur nom en Nguy?n par peur des représailles.
- En 1592, après la chute de la Dynastie M?c, une partie des M?c changèrent aussi leur nom en Nguy?n.
- Puis, quand la Dynastie Nguy?n prit le pouvoir en 1802, les descendants des seigneurs Tr?nh, rivaux des Nguy?n, modifièrent également leur nom en Nguy?n en signe de soumission, alors que d’autres quittèrent le Viêt Nam pour la Chine.
(en gros) (merci Wikipédia et merci à mes parents pour leur tentative de vulgarisation de notre histoire)
Le plus chiant en fait, c’est cette foutue loi arithmétique qui veut que s’il y a autant de Nguyen, il y a forcément dans le lot certaines personnes de sexe féminin qui se seront aussi retrouvées à s’appeler Émilie (comme moi, donc).
Oui, j’ai donc un nombre incalculable d’homonymes. Et oui, on me confond régulièrement avec les autres Émilie Nguyen trouvables sur Google et tour à tour gynécologue, directrice clientèle chez YouTube, mannequin, étudiante en maths sup maths spé (AHAHAH non oui non, pour le coup je ne suis vraiment pas celle-ci), gérante d’un restaurant japonais, présidente d’une association appelée Les Amis des Chats, danseuse de ballet etc.
Voilà entre autres pourquoi j’ai choisi de signer mes articles par un pseudonyme : par peur d’être confondue avec ces Émilie Nguyen aux books de mode trop premier degré à mon goût (maquillage pourpre et arc-en-ciel en arrière-fond), ces Émilie Nguyen trop scientifiques pour être moi (une thèse sur les cations polyatomiques, vous dites ?) ou encore ces Émilie Nguyen suffisamment analphabètes pour qu’être prise pour elles me vaille une carrière en journalisme avortée (hihi dézo mé cé pa moua ki ti1 ce skyblog, sa se voa pa? ^^).
Mais comme le comique n’est véritablement comique que lorsqu’il est de répétition, devinez-quoi ? Le nom de famille de mon mec est Besse. Autant dire que si un jour on a la drôle d’idée de se marier, je vais m’appeler Émilie Besse et serais vouée à être l’homonyme d’une journaliste qui existe déjà. Sur Canal +. Et même qu’elle est méga bonne.
La prochaine fois, je vous parlerai de l’orientation souvent imposée par les familles asiatiques (et à laquelle j’ai réussi à échapper grâce à des parents qualifiés de « modernes » par la diaspora), d’un gratte-dos en forme de main qui fait flipper, du frasiatique, des enveloppes rouges et des sandwiches vietnamiens.
À LA PROCHAINE !
À lire aussi : Nos Racines – Romy et ses grand-mères chinoises
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires
Je retrouve toutes les petites habitudes de mon chéri dans ton article, ça m'a fait beaucoup rire ^^.