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Santé mentale

La pire année de ma vie m’envoie en clinique psychiatrique

Cette madmoiZelle, qui te raconte la pire année de sa vie, aborde dans cet épisode son passage aux urgences psy, puis en clinique psychiatrique, car elle n’en pouvait plus.

Bienvenue dans le Journal de la pire année de ma vie, le récit d’une madmoiZelle qui se replonge dans les mois cauchemardesques qu’elle a vécus.

Drames, violences, ruptures et harcèlement, des évènements qui se sont enchaînés jusqu’à l’attirer au fond du gouffre… avant qu’elle ne s’en relève, encore plus forte et épanouie qu’avant.

C’est une histoire douloureuse, mais elle finit bien, puisque cette jeune femme est encore là pour la raconter. En voici le sixième épisode ; la suite sera publiée chaque semaine sur madmoiZelle.

Le pétage de plombs de Thomas

Je pensais que t’étais différente des autres meufs, mais je me trompais. T’es pire, t’es la pire des salopes. Tu me donnes envie de gerber.

Ce sont les premiers messages que j’ai reçus de Thomas. Les suivants ont été pires.

Si j’avais su que tu prendrais ton pied à me détruire, j’aurais préféré crever en tombant, ça serait allé plus vite.

Pendant plusieurs jours, Thomas me harcèle de messages me traitant de tous les noms.

Si j’essaye d’abord d’y répondre, en lui demandant d’arrêter, j’abandonne : je le mets en sourdine, en accusant le coup et la violence tant bien que mal.

Jusqu’au moment où Thomas me prévient qu’il va faire en sorte de se faire mal, pourquoi pas en se faisant tabasser de nouveau, afin de me blesser comme je le blesse. Le tout en m’assurant que s’il lui arrive quelque chose ce serait ma faute.

Je finis par le bloquer, complètement désemparée.

J’essaye de tenir bon, de garder la face mais la spirale infernale me happe de plus belle.

Thomas se met en danger

Je prends d’abord cette promesse de se faire mal à la légère, mais au moment de partir travailler le lendemain, je reçois un Snapchat de sa part (plateforme sur laquelle je n’ai pas pensé à le bloquer).

Il s’agit d’une photo de lui dans une ambulance, avec simplement écrit :

Et voilà, direction les urgences. T’as gagné, grosse pute mdr.

Mon cœur s’échappe de ma poitrine, je cours aux toilettes vomir de la bile.

Je n’ai pas la moindre idée d’où est Thomas, de ce qu’il a. Le Snapchat date d’il y a quelques heures. Je deviens hystérique.

J’appelle ses parents, il est trop tôt. Aucun des deux ne me répond.

Je contacte alors ses potes d’enfance qui m’assurent qu’ils n’étaient pas avec lui hier soir, puis ses copains d’école qui me garantissent qu’il a quitté leur apéro en même temps qu’eux, mais à pied, et n’est jamais arrivé à la boîte.

Ils essayent de me rassurer, me promettant qu’ils vont le retrouver.

Le silence de Thomas

Ma matinée de travail tourne au cauchemar. Il est bientôt onze heures et je n’ai toujours aucune nouvelle.

Je me promets que si je n’ai pas plus d’infos à midi, j’appellerai tous les hôpitaux de la ville pour retrouver Thomas et m’assurer qu’il va bien.

Dix minutes avant l’heure fatidique, un ami de Thomas m’appelle.

Il m’explique que ce dernier, en les quittant la veille, est allé provoquer un groupe de mecs un peu craignos et s’est fait passer à tabac. Son épaule est luxée, mais à part ça il n’a rien de grave.

J’ai l’impression de nager en plein cauchemar.

Thomas me nargue, m’envoie un second message pour me demander si c’est moi qui ai vendu la mèche à ses parents (puisqu’il leur avait dit tôt le matin qu’il avait finalement dormi chez un pote).

J’appelle alors son père pour savoir ce qu’il lui a avoué. Celui-ci m’encourage à mentir à Thomas, à ne pas lui dire que c’est moi qui ai cafté, pour éviter qu’il ne me fasse morfler davantage.

Le harcèlement de Thomas continue

Thomas, peu crédule, ne me croit pas quand je nie avoir parlé à son père. Extrait d’une conversation qui m’a brisé le cœur :

— Ne refais plus jamais ça, j’étais à deux doigts d’appeler tous les hôpitaux de la ville. — Comment je m’en fous. — Si tu t’en fous, arrête de m’envoyer des messages comme ça. — Oh non ça j’aime beaucoup par contre. J’aime bien t’inquiéter. Et crois-moi, j’ai pas fini.

En lisant ces messages, j’ai le souffle coupé. J’arrête de respirer, je tombe sur mes genoux, je reste ainsi en pleine rue pendant près de dix minutes sans que personne ne s’arrête.

J’ai l’impression de faire un arrêt cérébral, je n’arrive plus à me relever, plus à déglutir, même plus à respirer. Ce harcèlement durera plusieurs jours.

Marie Lafond, psychologue, s’est penchée sur ce témoignage pour apporter divers éclairages, merci à elle ! Voici son 1er retour, sur le chantage au suicide.

Comprendre le chantage au suicide

Ce que décrit ici la personne qui témoigne, on appelle ça de la violence psychologique. Cet homme qui la harcèle la place sous son emprise, il joue avec ses sentiments pour lui faire du mal.

Il se place tout d’abord comme la personne vulnérable qu’il faut sauver, activant ainsi la capacité d’empathie de cette jeune femme.

Il va ensuite de plus en plus loin dans la mise en danger, pour l’inquiéter, pour qu’elle reste toujours à proximité — à disposition pour d’autres manipulations et surtout parce que sa plus grande peur est qu’elle l’abandonne pour de bon.

Le chantage au suicide est le moyen de pression ultime : « je ne peux pas le laisser mourir, je dois le protéger de lui-même ».

Beaucoup de femmes développent très tôt leur capacité à l’empathie, quitte à s’oublier pour s’occuper des autres. Cela les rend particulièrement vulnérables à ce type de manipulations.

Comment réagir face à un chantage au suicide ?

Bien sûr, il n’y a pas de bon ou de mauvais comportement face à ce chantage : chacun réagit en fonction de ses ressentis. Néanmoins, vous pouvez garder quelques pistes de réflexion en tête.

Une personne majeure qui se suicide n’engage que sa propre responsabilité, c’est une décision personnelle, surtout si le but est de faire pression sur une autre personne.

Rien de vous empêche de prévenir sa famille ou ses amis comme l’a fait la personne qui témoigne.

Une fois sûre qu’il est entouré, que des proches sont vigilants à son état et disponibles pour l’aider, pourquoi continuer à rentrer dans son jeu ? Est-il nécessaire de vous sacrifier pour alimenter un cercle sans fin, destructeur pour vous deux ?

La culpabilité que l’on éprouve à ce moment-là fait partie du mécanisme d’emprise, elle n’est pas rationnelle.

Rappelez-vous que si quelqu’un en détresse a un entourage attentif, qui est au courant du problème, il a d’autres personnes que vous à appeler à l’aide. Vous n’êtes pas « son dernier recours » contrairement à ce que la personne aimerait vous faire croire.

Marie Lafond conseille cet article pour en savoir plus sur le processus de violences psychologiques.

Je ne lui en veux même pas, à Thomas. J’assure à mes amis que même si je sais que c’est de sa faute à lui s’il se fait mal, pas de la mienne, je me sens terriblement coupable.

Je me dis que s’il se cause des séquelles irréversibles, s’il se tue, je ne m’en remettrai jamais.

Je n’arrive pas à le bloquer définitivement de partout, je me dis que si je le fais et qu’il s’en rend compte, il risque de faire « une vraie connerie ».

Je me convaincs qu’accepter de lire sa violence est le prix à payer pour garder le contact et m’assurer de ce qu’il fait, au cas où il faudrait que je prévienne quelqu’un comme pour l’histoire des urgences.

Avec du recul, je me rends compte que j’aurais vraiment dû le bloquer, mais sur le moment cette solution ne paraissait pas vraiment envisageable.

De nouveau, je ne mange plus, je ne dors plus. Je ne sais plus quoi faire. Je repousse de nouveau Félix alors que je pensais être enfin prête à reconstruire quelque chose de sain avec lui.

J’ai l’impression d’appeler à l’aide, mais personne ne m’entend.

Mais si personne ne m’entend, c’est aussi parce que je continue à ne rien dire ou presque…

Je m’enterre dans le silence, n’osant pas en parler à mes parents, encore moins à Félix dont je redoute la réaction.

Je suis à bout de forces.

La conversation entre Léna et Thomas

Je raconte cependant tout ce qui se passe à Léna, mon amie. Hors d’elle, elle me dit qu’elle va aller parler à Thomas.

La conversation qu’ils auront ne mènera à rien, Thomas fera la sourde oreille.

Après l’avoir vu devant chez lui, Léna se rend directement chez moi pour me raconter leur échange.

Elle me dit en haussant les épaules que Thomas est malade et qu’il ne vaut pas la peine que je m’inquiète pour lui. Elle ne se rend pas compte de la gravité du harcèlement que Thomas m’inflige, de l’impact que la situation a sur moi.

Je sais qu’elle fait de son mieux, mais malheureusement, même si je me sens coupable de le penser, j’ai l’impression que « son mieux » n’est pas assez pour me soulager.

En me conseillant simplement de l’ignorer, je réalise que Léna ne mesure pas l’intensité du mal-être dans lequel je suis.

Les choses sont loin d’être aussi simples. Je me sens tellement incomprise.

Penser à cette conversation entre Léna et Thomas me rend malade. Je congédie mon amie et passe ma soirée à vomir.

Je voudrais que quelqu’un comprenne à quel point je suis mal, sans que j’aie besoin de mettre des mots dessus. Peut-être que j’en demande trop…

Ma conversation avec le père de Thomas

Peu de temps après le passage aux urgences de Thomas et sa conversation avec Léna, son père me contacte.

Il me demande si Thomas me fait du mal « de nouveau ». J’ai du mal à retenir mes larmes.

Il me propose un rendez-vous, j’accepte en me disant que peut-être, quelqu’un m’écoutera et me comprendra enfin ?

Voilà plusieurs mois que je n’ai pas vu cet homme. À mon arrivée au rendez-vous, il marque une pause, me scrute de haut en bas.

J’ai énormément maigri, je le sais. Mes joues sont creusées, mes yeux sont cernés. J’ai perdu sept kilos et la moitié de mes cheveux.

Il me fait remarquer que je ressemble à un cadavre.

Nous parlons un long moment. Si, au début, je n’ose pas lui montrer toutes les atrocités que Thomas m’envoie (après tout c’est son fils), je finis par lui déballer ce que j’ai sur le cœur.

Je lui dis que je n’en peux plus, que je ne sais plus comment faire pour aller bien, que j’ai besoin qu’il demande à Thomas d’arrêter car je ne peux plus supporter la situation.

Il me promet de parler à son fils, de le forcer à aller voir un psy, et me répète que je peux le rappeler n’importe quand si j’en ressens le besoin.

Le jour où je me suis fait du mal

Je ne sais pas quel sera le vrai élément déclencheur. Je ne le saurai jamais.

Peut-être le fait que Thomas continue de plus belle après ma conversation avec son père.

Peut-être le fait qu’il ait dit à un de mes amis qu’il allait appeler Félix pour lui raconter tout ce qu’il m’avait fait, sexuellement parlant, afin de le briser aussi. Après tout, « il n’y a pas de raison pour [qu’il] soit le seul à avoir mal dans cette histoire ».

Peut-être le fait que personne autour de moi ne comprenne ce que je vis.

J’ai tellement mal, dans mon cœur, dans ma tête. J’ai tellement envie que ça s’arrête, que toute cette douleur s’en aille.

Je suis encore convaincue que je suis la fautive, que c’est moi qui fais de la peine à tout le monde. Je continue de ressentir une culpabilité mordante.

Je vis la peur au ventre.

Un soir, ma mère, qui ne sait plus quoi faire non plus, me propose de me faire couler un bain pour me détendre un peu.

J’accepte sans enthousiasme mais glisse tout de même dans l’eau brûlante.

Une fois immergée, je reste d’abord immobile, essayant de ne pas rider la surface. Quand soudain, mon regard s’accroche au rasoir posé sur le bord de la baignoire.

C’est la première fois de ma vie que j’ai envie de me faire mal physiquement. Pas pour mourir, enfin je ne crois pas. Mais pour avoir mal ailleurs que dans ma tête.

Je n’hésite pas très longtemps.

Je me suis mutilée et j’en ai honte

J’ai vite vidé l’eau du bain, dont la couleur avait changé, et j’enfile un énorme sweat malgré la chaleur estivale pour que ma mère ne voie pas mes avant-bras.

J’ai envie de parler à ma maman mais je n’ose pas.

Je me sens honteuse de ce que j’ai fait dans la baignoire, je me promets de ne jamais recommencer.

Après tout, je suis plus forte que ça, n’est-ce pas ?

Mais au beau milieu de la nuit, la plaie béante dans ma poitrine se remet à me lancer. J’ai envie de recommencer, plus fort, pour avoir plus mal aux avant-bras et moins mal au cœur.

Je ne suis pas plus forte, je n’arrive plus à être forte.

Le rendez-vous chez le médecin

Le lendemain, ma mère et moi prenons rendez-vous chez mon médecin pour mes problèmes de perte de poids, de sommeil, etc.

Je lui demande de m’accompagner. Je pleure sans arrêt depuis la veille, mes larmes ne s’arrêtent pas dans la salle d’attente.

Ma mère me prend la main, le tissu frotte sur mes coupures. J’ai mal.

« Il faut que je te dise quelque chose, maman. »

Je remonte ma manche, ma mère planque une main sur sa bouche et se met à pleurer à son tour. Elle me garantit que tout va bien se passer.

C’est la seule personne à qui j’ose parler, malgré la honte.

Une fois dans le cabinet de la médecin, mon cerveau se déconnecte. Elle et ma mère parlent beaucoup, j’ai l’impression d’assister à la scène comme si je regardais un film.

Puis soudain leurs regards se braquent sur moi. Elles me demandent si je voudrais aller dans une clinique, pour me reposer et être aidée.

La médecin me parle de me mettre dans un sommeil artificiel pendant plusieurs jours pour que je puisse enfin me reposer et aller de l’avant.

Alors mon cœur semble se desserrer un peu. Je n’y avais jamais pensé, à cette option. Je pensais que les cliniques étaient réservées aux fous, aux suicidaires.

Je n’avais pas la moindre idée que le sommeil artificiel était une option. Mais bizarrement, cette idée me rassure.

Je vais enfin trouver l’aide dont j’ai besoin. Je vais enfin aller mieux.

Les urgences psychiatriques

Le soir même, je suis admise dans l’hôpital où les flics m’avaient amenée faire des tests plusieurs mois auparavant.

Je passerai cinq jours aux urgences psychiatriques.

J’ai demandé à Marie Lafond de m’en dire plus sur les urgences psychiatriques, un aspect méconnu et parfois effrayant de l’univers médical.

Ce ne sont pas les psychologues qui gèrent ce parcours : à ce stade ce sont les médecins psychiatres qui prennent les décisions et qui évaluent la détresse psychique des personnes qui se présentent.

C’est la partie médicale qui prend le relais car souvent, en situation de crise, des médicaments sont nécessaires pour faire redescendre la pression, en attendant de trouver une autre solution.

Conseils concernant les urgences psychiatriques

Pour avoir travaillé quelques fois avec les urgences psychiatriques, j’ai quelques conseils.

Les services d’urgence psychiatrique sont souvent couplés avec les services d’urgence classique ; il arrive donc que l’attente soit longue avant une prise en charge.

Pour vous soutenir durant tout ce parcours, venir avec un proche en qui vous avez confiance est une bonne solution.

C’est un médecin psychiatre qui peut évaluer si votre état nécessite une hospitalisation. Il s’agit d’un entretien durant lequel il va essayer de comprendre votre situation et votre détresse pour avoir la réponse la plus adaptée.

On hésite souvent à se rendre aux urgences psychiatriques par peur d’une hospitalisation de force, mais dans la grande majorité des cas l’hospitalisation se fait avec l’accord du patient !

Tout l’enjeu à ce moment-là, c’est de pouvoir apaiser cette sensation d’être submergé par nos émotions, que tout va trop vite dans notre tête, car c’est pour arrêter tout ça que l’on peut arriver au passage à l’acte (mutilations, tentative de suicide).

En temps normal, le passage aux urgences psychiatriques avant l’admission en clinique est très rapide, mais ici le timing n’est pas idéal : je suis admise une veille de week-end, avec un pont et un jour férié en début de semaine suivante.

Pendant cinq jours, j’ai l’impression de me retrouver en enfer.

Je ne sors pas une seule fois de ma chambre, depuis laquelle je peux apercevoir le bâtiment dans lequel je m’étais retrouvée en sous-vêtements en septembre dernier.

Le personnel hospitalier, en sous-effectif, est très peu présent et disponible, toujours pressé.

Seule une infirmière passe me voir régulièrement mais je la déteste : elle m’engueule la nuit quand elle voit ma lumière allumée, ne comprenant pas que pour éviter les cauchemars, je préfère lire Harry Potter jusqu’à épuisement.

Le service est bruyant, j’entends des gens hurler nuit et jour.

Les journées sont longues, les visites ne sont autorisées que quelques heures dans la journée.

J’ai l’impression de toucher le fond et je commence presque à regretter ma décision de m’être fait admettre ici.

Je n’ai pas du tout l’impression d’aller mieux, au contraire.

Des nouvelles de Thomas

J’apprends plus tard que le soir de mon admission aux urgences, ma mère a donné rendez-vous à Thomas pour le supplier d’arrêter

, lui expliquant que je n’en peux plus et que s’il ne cesse pas de m’harceler, elle est prête à appeler la police pour me protéger.

Thomas changera radicalement de comportement à ce moment-là, prenant ma mère dans ses bras tandis qu’elle se met à pleurer.

Il insiste pour venir me voir à l’hôpital, et malgré le refus de ma mère, il vient me rendre visite aux urgences le jour suivant.

Cet après-midi là, mon père est avec moi et refuse de laisser entrer Thomas quand il se pointe sur le pas de la porte.

Je le sens bouillir, je sais qu’il pourrait lui éclater la gueule à tout instant.

Mais parce que j’insiste (j’ai besoin d’entendre que Thomas ne me déteste pas et qu’il ne pensait pas ce qu’il disait), mon père consent, à contrecœur, à le laisser me parler cinq minutes en laissant la porte ouverte.

Thomas me prend alors dans ses bras et me dit qu’il est désolé pour ce qu’il a fait. Il se met à pleurer ; mes yeux à moi n’ont pas séché depuis quelques jours.

Puis il commence à m’engueuler lorsque ses yeux se pose sur mon poignet.

Pourquoi t’as fait ça ? T’es malade ? Comment je ferais, moi, si t’étais plus là ?

Je hausse les épaules, je n’ose pas lui dire que c’est en grande partie à cause de son comportement récent que j’ai fait ça.

Il m’avoue sur le ton de la discussion qu’il a confié à Julia, son ex, qu’il venait me rendre visite aux urgences psychiatriques.

Je lui en veux d’en avoir parlé à Julia. Je lui en veux encore davantage quand il me raconte qu’elle a répondu à cette info en plaisantant :

Dis-lui de pas se louper la prochaine fois qu’elle fait une tentative !

J’ai l’impression qu’il ne se rend pas compte de la violence dont il a fait preuve ces dernières semaines, et de la violence qu’il m’inflige en me racontant ça, mais je ne dis rien. Je ne sais pas pourquoi…

Je ne suis même pas sûre que je m’en rends vraiment compte à ce moment-là, j’accepte presque son discours qui fait de lui la seule victime de tout ça.

Il me demande s’il peut continuer à prendre de mes nouvelles par téléphone. Je lui réponds qu’on me l’a confisqué.

C’est faux. Mais je n’ose pas lui dire que je ne veux plus lui parler.

J’ai dit la même chose à Félix, auquel j’ai confié que j’allais aller me reposer dans une clinique sans lui parler du harcèlement de Thomas.

Entendre ce dernier me dire qu’il est désolé m’apaise quelque peu, malgré tout, tant j’étais persuadée d’être la SEULE fautive dans toute cette histoire.

Mon admission à la clinique psychiatrique

Après mon séjour aux urgences psychiatriques, beaucoup trop long et compliqué selon moi, je suis enfin conduite en ambulance à la clinique dans laquelle je vais passer les dix prochaines semaines.

Marie Lafond explique l’intérêt de se reposer et se soigner en clinique psychiatrique :

Parfois la douleur est trop grande, et quand la personne n’a pas encore trouvé de solution pour la soulager, elle a besoin qu’on la protège d’elle-même.

Comme le décrit la personne qui témoigne, ce n’est pas un moment facile. Le but est de travailler avec la personne en souffrance pour qu’elle arrive à mieux cerner ce qui lui arrive et à apprivoiser ses émotions.

Par exemple, ici, elle est coupée de son environnement habituel, ce qui est un passage très difficile, mais ce qui peut aussi lui permettre de prendre du recul, d’adopter un regard extérieur sur sa propre situation et l’analyser sans être submergée par toutes les émotions qui sont liées à sa vie quotidienne.

La guérison est un processus plus ou moins long, car lorsque l’on est envahie par tout un tas de ressentis négatifs, il faut parfois du temps pour pouvoir penser ce qui est en train de se passer sans perdre le contrôle.

Cette sensation d’enfermement nous met face à nos émotions, que l’on s’emploie à éviter dans la vie quotidienne car elles sont porteuses de souffrance.

Il s’agit d’un cadre qui se veut neutre émotionnellement, pour que la personne puisse mettre en place des stratégies pour reprendre le contrôle de ses émotions petit à petit.

La clinique psychiatrique est un environnement difficile puisqu’elle regroupe différentes personnes en grande souffrance, mais elle est parfois nécessaire et bénéfique.

Le personnel soignant qui m’accueille est très gentil, les locaux sont plutôt jolis et lumineux. Pourtant, je ne peux empêcher l’angoisse et l’anxiété de s’emparer de moi.

Il m’est difficile d’expliquer aux personnes qui gèrent mon admission pourquoi je suis là.

Ça va pas trop en ce moment. Je suis fatiguée…

J’ai du mal à en dire plus, j’évoque seulement l’accident de Thomas comme élément déclencheur de mon mal-être.

Je suis terrifiée dès l’instant où mes parents doivent s’en aller. Je suis terrorisée à l’idée de passer une nuit seule dans un endroit que je ne connais pas.

Le personnel soignant me confisque mes chargeurs, mes écouteurs, mes lacets, mes ceintures, mon rasoir, le tuyau de la douche.

C’est la procédure, et heureusement que cette procédure existe, bien sûr.

Mais c’est très difficile pour moi, d’autant plus que j’ai du mal à comprendre à ce moment-là comment je pourrais me faire du mal avec des écouteurs…

Il m’est insupportable de voir ces inconnus me confisquer mes affaires. La batterie de mon portable est presque morte ; renoncer au contact avec ma mère n’est pas envisageable.

J’ai l’impression d’être tombée tellement bas.

Comment ai-je pu laisser quelque chose comme ça m’arriver à moi, la fille qui se veut forte depuis le début ?

Les premiers jours à la clinique psychiatrique

Pendant mes premiers temps à la clinique, je n’adresse la parole à personne. Je m’enferme dans un mutisme presque complet.

Je parle à mes parents qui me rendent visite presque quotidiennement (un jour l’un, le lendemain l’autre) mais à personne d’autre, même si les infirmières me répètent qu’elles sont là pour m’écouter si besoin.

Je ne parle pas aux autres patients. « Hors de question de me mélanger aux gens qui ont de VRAIS problèmes mentaux » — c’est mon état d’esprit à ce moment-là.

Je parle encore moins à mes amis, trop honteuse de leur avouer que j’ai été internée dans une clinique psychiatrique. Je disparais des réseaux, je cesse de répondre aux messages.

Si j’ai prévu Léna et Félix de mon hospitalisation, je ne l’ai pas dit à la majorité de mes amis, encore moins à ceux qui n’ont pas suivi le harcèlement de Thomas.

Ils mettront plus d’une semaine à se rendre compte que j’ai disparu des radars. Certains, que je considérais comme des amis proches, ne prendront conscience de mon admission ici qu’au moment où j’en sortirai…

Je quitte les réseaux sociaux

J’ai le droit de garder mon téléphone mais je le coupe presque tout le temps pour rester dans ma bulle. Ceux qui savent où je me trouve peuvent prendre de mes nouvelles par le biais de ma mère.

Félix et Thomas pensent que je n’ai plus mon portable et ne cherchent pas à me joindre, ce qui me fait le plus grand bien.

Je désinstalle Messenger, Facebook, Instagram et Snapchat, je ne le regrette pas une seconde.

Cette désintoxication des réseaux sociaux me permettra aussi de réaliser qui prend vraiment de mes nouvelles et s’inquiète de ne plus me voir active.

Mais si je parviens à me détacher de mon téléphone, je deviens vite accro à quelque chose d’autre…

Je reprends la cigarette en clinique psychiatrique

Je recommence à fumer. Voilà presque deux ans que je n’ai pas touché une cigarette.

Je fume beaucoup, enchaînant les clopes pour m’occuper les mains et l’esprit.

Je demande un coup à ma mère, un coup à mon père de m’en acheter pour ne pas les inquiéter encore davantage avec ma consommation de tabac croissante.

Je me dis que je leur donne déjà suffisamment de quoi se faire des cheveux blancs ces derniers temps…

Les médecins de la clinique psychiatrique

Je suis suivie par une psychiatre, qui me prescrit un traitement et l’ajuste régulièrement, ainsi que par une psychologue. Mais je ne leur parle pas beaucoup.

Il m’est difficile de devoir recommencer l’histoire du début à chaque fois.

J’ai déjà dû la raconter à mon médecin traitant, aux services des urgences psychiatriques, à plusieurs infirmières…

J’ai envie d’aller mieux mais c’est très dur pour moi de parler. Je n’arrive à blâmer personne d’autre que moi pour la situation dans laquelle je suis.

J’ai l’impression de mériter des punitions, je n’entends pas quand mes psy m’expliquent que je n’y suis pour rien.

Je n’entends pas non plus que Thomas est une personne toxique dont je dois me protéger.

Je prends mes médicaments quatre fois par jour sans broncher, mais je ne fais pas grand-chose de plus de mes journées.

La vie au sein de la clinique psychiatrique

Les autres patients sont gentils, mais je n’ai aucune envie de socialiser.

Par hasard, je me rends compte qu’un mec de mon ancien lycée est hospitalisé dans le même service que moi.

Adorable mais beaucoup trop envahissant, il fait en sorte que nous passions du temps ensemble.

Mais l’écouter me parler de ses problèmes est beaucoup trop pesant. J’ai déjà suffisamment de quoi cogiter avec les miens !

Vêtue quotidiennement d’un pantalon fluide et d’un sweat trop grand, cheveux relevé en chignon, écouteurs (que j’ai récupérés avec mon téléphone) vissés dans les oreilles, je sors de ma chambre le moins possible.

Je prends mes repas seule, me rendant indisponible aux conversations avec ma musique et mon tome du Prisonnier d’Azkaban que je ne quitte jamais.

J’enchaîne les jours rythmés par les séances avec mes psy, les séries, les bouquins et les dessins — voilà bien longtemps que je ne me suis pas sentie suffisamment apaisée pour faire ce que j’aime.

Je dors peu au début, je ne mange toujours rien. Les cauchemars, les crises de panique et de larmes me poursuivent pendant les premières semaines que je trouve interminables.

Les envies de me faire mal ne me quitteront pas immédiatement mais finiront par se taire définitivement au bout d’un moment.

L’évolution à la clinique psychiatrique

L’une des choses qui m’a le plus « étonnée » lors de mon séjour à la clinique a été la suivante : les gens qui sont là ne sont pas fous comme je le croyais.

Certains ont fait des tentatives de suicide ou souffrent de dépressions plus ou moins sévères comme moi, d’autres sont là pour des troubles du comportement alimentaires, une dépendance à l’alcool, à la drogue ou à la cigarette, d’autres encore viennent pour gérer leur stress, leur colère, leur tristesse

Bref, la clinique ne ressemble pas du tout à ce que j’ai imaginé. Ça m’apprendra à avoir des idées reçues !

Petit à petit, je trouve mes marques dans ces lieux où je me sens vraiment en sécurité. Je m’ouvre petit à petit à mes docteurs, discute avec les infirmières, je commence même à échanger un peu avec les autres patients.

Je ne m’ouvre vraiment, cependant, que lors des quelques heures durant lesquelles mes parents me rendent visite.

Le traumatisme enfoui : mon viol

Au fil de séances avec ma psychiatre, celle-ci se rend compte que ma dépression actuelle est peut-être en partie liée à des traumatisme plus enfouis.

J’ai l’impression d’aller mieux mais pour elle, il y a quelque chose de sous-jacent à ce que j’ai vécu ces derniers mois. Quelque chose qu’il faut guérir pour ME guérir vraiment.

Malgré mes efforts pour l’empêcher de s’aventurer sur ce terrain-là, elle déterre des éléments de mon passé que je pensais réglés et qui me font replonger complètement dans la dépression.

Selon elle, mon incapacité à me défendre face à la violence de Thomas (et à celle, ponctuelle, dont Félix a fait preuve) est due au viol que j’ai subi quand j’étais petite.

Je me bats d’abord pour ne pas en parler.

Après tout, je ne suis pas venue ici pour causer de ça et je n’ai aucune envie de revenir sur quelque chose qui s’est passé il y a douze ans.

Je n’en avais jamais reparlé avec mes parents (même s’ils le savaient depuis le début), mais dès que ma psychiatre a mis le doigt sur ce traumatisme, elle a insisté pour que nous le creusions ensemble — elle, moi et mes parents.

C’est la première fois que je vois mon père pleurer, et c’est terriblement difficile pour moi à gérer.

Je me sens terriblement coupable de faire autant de peine à mes parents, que je vois certes rassurés de me savoir entre de bonnes mains, mais aussi très tristes que je sois dans cet état.

Voici un éclairage sur les traumatismes enfouis, toujours par Marie Lafond.

On peut décrire le processus traumatique ainsi : c’est un événement qui fait effraction dans le mental de l’individu, qui n’est pas pensable car totalement imprévisible et/ou en dehors de ce que l’esprit peut accepter.

L’événement traumatique est tellement douloureux pour la personne que son esprit préfère fonctionner comme s’il n’avait pas existé, le refouler. Mais il revient régulièrement par une souffrance brute dont on ignore la cause.

Pour un individu, le travail sur ce traumatisme est douloureux puisqu’il faut se replonger dans l’événement pour pouvoir penser la souffrance que l’on a ressentie, et apprendre à gérer les émotions qu’il a provoquées.

Dans cette situation, on a souvent besoin d’aide, d’une personne qui nous met face à cet évènement traumatique et qui nous aide à l’apprivoiser.

La personne qui témoigne le dit très bien : les proches qui ne sont pas des professionnels du soin psychique sont rarement en mesure d’amorcer ce travail.

L’individu qui souffre a peur de les blesser, de se sentir incompris, il faut souvent l’intervention d’un professionnel pour qu’il puisse se sentir pris en compte dans sa souffrance sans culpabiliser.

Il faut parfois passer par une période difficile durant laquelle le traumatisme revient sur le devant de la scène, toujours aussi douloureux. Mais avec un bon accompagnement c’est pour aller vers du mieux et l’apaisement.

Pour aller plus loin, Marie Lafond conseille cette conférence de Boris Cyrulnik au sujet de la mémoire traumatique.

Mes parents et ma détresse psychique

Ces semaines me rapprocheront infiniment de mes parents.

Si je me suis toujours sentie très proche de mon père et ma mère, cette période me permettra de créer un lien encore plus fort avec eux, une confiance et une complicité encore plus grandes qu’avant.

Je ressens que mon père a enfin compris que ma dépression est sérieuse, qu’il s’agit d’une véritable maladie mentale, que « me secouer et faire comme si tout allait bien » n’aurait jamais été la solution.

Je suis très touchée quand il me confie que je lui apprends aujourd’hui, à 20 ans tout juste, ce que c’est que le courage. Il me dit qu’il est fier de moi. Ces échanges avec mon papa m’aideront à aller mieux.

Je n’aurai plus peur, à l’avenir, de lui confier ce qui m’a blessée. Je lui parlerai sans filtre de tout.

Mon petit frère ne viendra me rendre visite que deux fois pendant toute la durée de mon hospitalisation, un peu forcé par mes parents. Je pense que c’est trop difficile pour lui de voir sa grande sœur dans cet état.

Malgré ça, je ne me suis jamais sentie aussi soutenue de ma vie. Jamais aussi comprise, par ma famille et par mes amis. Je me sens enfin écoutée vraiment. Et ça fait du bien.

Si le chemin vers la guérison et la résilience n’a pas été tranquille et sans encombre, j’ai continué de l’emprunter et j’ai fait de superbes progrès dans les semaines suivantes.

À lire aussi : Après la haine de moi, après des scarifications… j’arrive enfin à m’aimer

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Les Commentaires

15
Avatar de ampw
12 juillet 2020 à 21h07
ampw
Depuis le début je tente de pas juger Thomas car il est clairement en souffrance...mais alors là le type et d'une perversion hallucinante. C'est con mais depuis le début je suis hyper en colère contre les parents de Thomas, et ENFIN ils ont l'air d'intervenir alors que clairement leur fils a besoin d'AIDE. Et d'être LOIN LOIN LOIN de l'auteure de ces textes.

C'est hyper courageux d'écrire toutes ces chroniques, comme c'est hyper courageux à un si jeune âge d'accepter une hospitalisation et prendre le temps de reprendre sa vie en main. Chapeau !
13
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