Alors que le rapport Lescure, rendu public le mois dernier, continue de faire débat (sur la question de l’exception culturelle comme sur celle de la mission d’envoi de courriers aux pirates), la sortie de ce texte sur l’Hadopi et la lutte contre le téléchargement illégal est l’occasion de revenir sur l’absence d’offres légales intéressantes en France.
Des voix s’élèvent chez ceux qui piratent la culture « faute de pouvoir faire autrement », à l’instar de Yann Guégan, rédacteur en chef adjoint du site d’informations Rue89. Dans une tribune intitulée « Je vous en prie, laissez-moi payer pour mes séries télé ! », celui qui est obligé de télécharger illégalement pour subvenir à ses besoins télévisuels regrette :
« Je gagne plutôt bien ma vie, je sais que les artistes et les techniciens qui produisent ces œuvres ne vivent pas d’amour et d’eau fraîche, je serais ravi de leur donner les moyens de travailler. Je vous assure, je suis prêt, j’ai déjà ma carte bleue à la main. Sauf que les lacunes de vos offres légales de téléchargement n’en finissent plus de me désespérer. »
Pour ces fans de séries (majoritairement) américaines, il conviendrait d’envisager le débat sur le téléchargement illégal sous un angle nouveau et moins inquisiteur.
Au lieu de chercher à moraliser coûte que coûte les comportements en ligne en matière de produits culturels, les pouvoirs publics devraient repenser la qualité de l’offre légale, argue un nombre croissant d’internautes. Lucie, grande consommatrice de séries américaines, s’exaspère :
« On nous taxe souvent bien vite de voleurs et d’internautes qui ne respectent pas les droits d’auteur. Mais il n’y a pas les gentils internautes d’un côté et les mauvais de l’autre. Je ne télécharge pas pour le plaisir de voler.
Si une plate-forme proposait les épisodes de Game of Thrones en bonne qualité et avec les bons sous-titres, je serais évidemment prête à y mettre quelques dizaines d’euros au mois pour regarder mes séries. »
Pour l’heure, une offre légale décevante
Quand la grande instance Hadopi a souhaité évaluer la pertinence des prix de l’offre légale, afin de tenter de comprendre ce qui conduit les utilisateurs à se tourner massivement vers des offres non légales, la réponse ne s’est pas faite attendre: 82% des sondés dénoncent une offre légale beaucoup trop chère (étude menée sur un échantillon de 1500 personnes).
Mais si l’offre légale de biens culturels sur la toile est globalement jugée satisfaisante (quoique trop chère, donc), elle reste peu attrayante pour les films et les séries TV.
L’étude est néanmoins biaisée, car une part toujours importante des internautes ne savent pas distinguer une offre légale d’une offre non légale. Ainsi, l’étude surnommée « T0 », publiée en janvier 2011 par l’Hadopi révélait que « si le service est payant, 50% des internautes pensent qu’il est forcément légal ». Or, si les plateformes MegaUpload, Rapidshare et consorts proposent un abonnement payant pour les débits de téléchargement plus rapide, ces sites restent bel et bien illégaux.Globalement, 30% des personnes interrogées n’ont pas su dire si « offre payante » veut dire « offre légale » ou non, ce qui ne laisse à l’arrivée que 20% des internautes sachant que les deux critères ne vont pas nécessairement de pair.
Quand gronde la critique
Comment songer à dissuader les internautes de télécharger gratuitement si l’offre illégale reste plus simple d’accès que l’offre légale mise en place ?
Régulièrement, le Tumblr « J’voulais pas pirater » épingle les « grandes et petites absurdités de l’offre légale ». Sur le site tristement humoristique s’alignent les captures d’écran de « tentatives d’achats en ligne » infructueuses.
« La dernière fois que j’ai mis 3,99 euros pour regarder
Paranormal Activity, j’ai mis 2h à essayer de lire le fichier, sans succès. J’ai lâché l’affaire et téléchargé le film en torrent. En 20 minutes, c’était bouclé. La légalité, c’est pas tout de suite pour moi ! », plaisante Marie, autoproclamée « experte en téléchargement illégal, pour que la grande consommatrice de films que je suis survive ».
Même son de cloche chez la blogueuse Klaire, qui a testé un par un les sites de téléchargement légal mis en avant par le label PUR. Dans un post intitulé « Ivre, Hadopi adopte le label PUR foutage de gueule », l’illustratrice peste :
« Des sites qui ne fonctionnent pas, des téléchargements qui échouent (…) et globalement une demi-douzaine de saisons orphelines de séries en VF qui se battent en duel avec des clips des années 90. Quelle récolte. »
Sur vingt sites homologués, seize seraient inefficaces ou ne correspondraient pas exactement à ce qui est annoncé.
Face à cette diatribe humoriste soulignant les irrégularités de la consommation légale de vidéos payantes sur internet, l’Hadopi a souhaité rappeler qu’il n’était pas de son ressort de « se prononcer sur la qualité des offres, ni même de revendiquer une quelconque exhaustivité des services référencés ».
« Une mise à jour du site Pur.fr est envisagée afin d’intégrer à chaque fiche descriptive les contacts des services clients. (…) Nous remercions Klaire pour l’investissement qu’elle a consacré à la conduite de ce test. Nous remercions également les responsables des plateformes qui ont répondu à nos sollicitations ou qui ont pris l’initiative de répondre à Klaire directement », a conclu Hadopi.
La propriété intellectuelle questionnée
Pour le président de la Spedidam (Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes) Jean-Paul Bazin, la question du téléchargement légal et illégal ne recouvre que la partie immergée de l’iceberg :
« Aujourd’hui, quelle que soit l’utilisation de la musique sur internet, la grande majorité des artistes-interprètes ne perçoit rien. Il y a là une injustice totale ! Il faut qu’on trouve un moyen pour que ça change. »
Depuis maintenant plusieurs années, l’organisme tente de faire entendre sa voix auprès des politiques et responsables de la culture pour mettre fin à l’hypocrisie.
Car si la loi Hadopi entend protéger les droits d’auteurs sur la toile, de quels droits d’auteur parle-t-on quand il s’agit des musiciens ? Que touchent réellement les artistes-interprètes lorsque leurs œuvres sont téléchargées légalement ou diffusées en streaming ?
Dans un article intitulé La propriété intellectuelle, c’est le vol, publié dans Le Monde Diplomatique, le chercheur Joost Smiers explique…
« A-t-on besoin d’un système de propriété intellectuelle pour promouvoir la création ? Pas vraiment. De plus en plus d’économistes, travaux à l’appui, soulignent que l’expansion des droits d’auteur favorise plus les investisseurs que les créateurs et les interprètes. En fait, 90 % des revenus collectés à ce titre vont à 10 % des artistes »
…avant de citer l’économiste britannique Martin Kretschmers, pour qui « la rhétorique des droits d’auteur a été largement portée par un troisième partenaire : les éditeurs et les maisons de disques, c’est-à-dire les investisseurs en créativité (plus que les créateurs), devenus les premiers bénéficiaires de cette protection étendue ».
Le blogueur et doctorant en droit Edile Max rappelle que télécharger, ce n’est pas exactement voler :
« Vous avez tous vu cette vidéo au début des DVD (achetés légalement), ou au moins entendu cette magnifique phrase : télécharger/pirater, c’est du vol.
[Or] le vol implique de soustraire matériellement quelque chose à quelqu’un. Le téléchargement, lui, ne fait rien disparaître, donc non, le téléchargement, ce n’est pas du vol. Il faut arrêter avec ce slogan, par pitié. […]
Le téléchargement, c’est de la contrefaçon, définie par l’article L335-2 du code de la propriété intellectuelle. »
En attendant, si les pouvoirs publics souhaitent réellement faire basculer les internautes vers une consommation légale des biens culturels en ligne, il va de toute façon falloir rendre celle-ci plus attrayante :
« Même si la rhétorique des droits d’auteurs ne me convainc qu’à moitié, le débat ne sera plausible que quand l’offre légale sera 1. complète, 2. efficace, 3. accessible. Autrement dit : le jour où une plateforme légale proposera enfin un épisode de série le lendemain de sa sortie aux États-Unis, en bonne qualité, avec les bons sous-titres, et pour un prix qui ne nécessite pas de vendre un rein à la fin de l’année ! »
conclut Arthur, un internaute qui, comme beaucoup d’autres, craint aujourd’hui de recevoir « un petit courrier Hadopi ».
Et vous, qu’en pensez-vous ? Seriez-vous prête à mettre le prix pour une offre légale de qualité ? Ou pensez-vous que la gratuité vous attirera toujours ?
Les Commentaires
Je me revois encore au taquet le matin avant d'aller à l'école pour enregistrer mes clips préférés dans Boulevard des Clips sur M6 (j'avais des cassettes entières de musique, c'était un travail de tout instant), ou encore enregistrer les chansons de dessins animés avec mon magnétophone Fisher Price posé à côté de la télé...
Et à l'époque, personne ne nous faisait chier pour ça.
Dernièrement, j'ai eu envie de me faire une collection de dvd plus fournie, histoire d'avoir mes films et séries préférés en bonne qualité et autrement que stockés dans un coin de mon disque dur. Et bien pour certains, la qualité est pourrie, et beaucoup ne passe pas ou très mal sur le lecteur dvd de mon ordi. Chouette. (Et je ne les ai même pas achetés sous le manteau dans le métro, hein, je vous vois venir).