On appelle « cododo » (co-spleeping en anglais), à la fois le partage de lit mais aussi le partage de chambre, entre parents et enfants. Rien à voir avec l’espèce d’oiseau disparue ! On utilise même le verbe un peu bizarre cododoter.
C’est une pratique qui revient en force ces derniers temps. D’abord car c’est un des aspects du maternage proximal qui a le vent en poupe, mais c’est aussi du fait que des instances médicales le préconisent les premiers mois de vie de l’enfant.
S’il est donc recommandé dans les premiers temps, ensuite — quand le bébé grandit — il peut être vu d’un mauvais œil. Et comme souvent en matières d’éducation, débarque la chevalerie : culpabilisation, critiques, avis non sollicités, etc.
Pourquoi le cododo fait-il l’objet de jugements ? Est-ce une pratique que l’on peut faire durer éternellement — ou presque ? On a tenté d’y voir plus clair avec pas moins de quatre spécialistes de la petite enfance ! Le sujet étant complexe, il faut ce qu’il faut.
On a donc invoqué Marie Chetrit, autrice de Éducation positive : une question d’équilibre ? Démêler le vrai du faux de la parentalité bienveillante, Héloïse Junier, psychologue spécialiste du jeune enfant et docteure en psychologie du développement, qui a publié Pour ou contre ?, Les grands débats de la petite enfance à la lumière des connaissances scientifiques, Caroline Goldman, psychologue pour enfants et adolescents, docteur en psychopathologie clinique, auteure de File dans ta chambre ! Offrez des limites éducatives à vos enfants et K. C., pédopsychiatre en hôpital, qui préfère garder l’anonymat.
Pour les nourrissons : le cododo, une bonne pratique
Durant les premiers mois, le cododo dans la même chambre, oui ! Mais pas dans le même lit.
L’Académie américaine de pédiatrie déconseille le cododo, avec partage de lit, car il augmenterait les risques de mort inattendue du nourrisson, notamment à cause des oreillers, de couvertures ou de couettes et d’un matelas inadapté au nourrisson. Héloïse Junier nous indique que ce sujet est un tel panier de crabes scientifique, avec des chercheurs pro-cododo et des chercheurs anti-cododo, que c’est à cette instance fiable qu’elle se réfère.
Pour l’OMS, le cododo est recommandé durant les six premiers mois de vie de l’enfant, dans la même chambre que les parents, et non dans le même lit. Mais des lits spéciaux pour le cododo existent maintenant, et ils sont collés au matelas du ou des parents. Très pratique ! Cela réduirait dans ce cas le risque de mort inattendue du nourrisson.
Caroline Goldman nous l’indique également :
« Dormir avec son bébé dans un couffin aux pieds du lit parental pendant les 6 premiers mois de sa vie est très pratique pour le rassurer et économiser une certaine énergie en allers-retours nocturnes à chaque fois qu’il appelle pour être nourri alors que dormir dans le même lit est lourdement déconseillé pour des raisons de sécurité. »
K. C., pédopsychiatre en hôpital qui préfère conserver l’anonymat, note que l’âge de 6 mois peut être une bascule :
« À six mois, l’angoisse de séparation débute pour le bébé. Après 6-7-8 mois, la séparation sera plus difficile.
Si on passe cet âge, il va falloir lui montrer que même dans sa chambre, il n’est pas seul. Ses parents veillent sur lui.
À partir de 6 mois, il y a une balance entre l’autonomie et le fait de rester avec ses parents car c’est encore des petits bébés qui ont besoin de beaucoup de soins.
Jusqu’à 6 mois, il y a un consensus global sur les bienfaits du cododo et après il y a plusieurs écoles. »
La pédopsychiatre ajoute que le changement de chambre se prépare, en mettant par exemple le bébé dans sa chambre pour les siestes pour commencer.
« Le bébé est très sensible aux odeurs, en particulier quand la mère allaite. L’odeur du sein est un repère olfactif. Il va la sentir dans la chambre, si elle lui donne le sein. Il saura que c’est l’endroit où il est le plus en sécurité.
Donc c’est important de mettre dans son lit, de façon à ce qu’il sente sa présence, un tissu qu’elle aura mis préalablement sur sa poitrine puis après de le déposer dans le coin du lit du bébé.
Progressivement, il peut gagner sa chambre. C’est important avant l’angoisse de séparation de montrer qu’on peut être séparés, en n’étant pas en danger. »
Ensuite il y a donc plusieurs écoles pour la suite, mais pas d’interdits formels.
De 6 mois à 4 ans, pas de contre-indication
C’est une tranche d’âge assez large, mais il n’y a priori aucune contre-indication à poursuivre le cododo, si tous les membres de la famille le souhaitent. C’est ce que nous indique Héloïse Junier :
« Une fois que la tranche d’âge à risque de mort inattendue du nouveau-né est passée, on peut directement dormir avec l’enfant, d’autant plus que le lit cododo du début de vie est rapidement trop petit ! Chaque famille fait ce qu’elle souhaite, l’essentiel étant que les deux parents soient sur la même longueur d’onde.
Le cododo peut faire l’objet de tensions dans des familles où l’un des parents est en désaccord avec cette pratique. Toutefois, si les deux parents y sont favorables, le cododo devient un non-sujet, un non-problème. Au contraire, c’est une expérience qui peut être fort appréciée de tous ! »
Cela dépend donc des envies de chacun, tant que cela se fait dans le respect.
Pour Caroline Goldman, aucune contre-indication non plus pour cette tranche d’âge :
« Jusqu’à l’âge de quatre ans et demi, je ne vois pas de contre-indication majeure à ce qu’un enfant partage la chambre de ses parents, même si je ne vois aucune vertu non plus à cela.
Puisque cette promiscuité tendra à lui signifier qu’il a un droit de regard sur l’intimité entre ses parents (ou sur l’intimité de son parent seul), ce qui peut être un peu insécurisant. »
À partir de l’âge de quatre ans, certains y sont favorables et d’autres non.
À partir de 4 ans, des avis différents mais pas d’interdit
Pour Héloïse Junier, cela peut continuer sans que cela pose de difficultés, si tout le monde le vit sereinement et sainement. Le seul problème sera le regard des autres et les possibles jugements :
« À partir de 4 ans, c’est un sujet tabou et controversé dans notre culture française.
À mon sens et au vu des travaux actuels en anthropologie et en psychologie interculturelle sur le sommeil partagé, il n’y a pas d’âge limite pour interrompre le cododo dans une famille équilibrée.
Tout est une question de culture, de sensibilité et de choix éducatifs. Tout cela est très individuel. »
Beaucoup de parents ont également peur d’une habitude irréversible. Même si ce n’est pas la cas, difficile de changer l’habitude prise, comme nous l’indique Marie Chetrit :
« Le phénomène d’habituation de l’enfant fait qu’il peut avoir besoin d’avoir toujours le parent près de lui pour pouvoir s’endormir. »
Héloïse Junier explique que ce n’est pas définitif :
« Dormir avec son parent est effectivement une habitude de sommeil que l’enfant va prendre. Cependant, il ne faut pas oublier que l’enfant est flexible, à l’image de son cerveau plastique et modulable, et qu’il n’y a jamais rien d’irréversible.
Quand la décision sera prise de le faire dormir dans sa chambre, il suffira de l’y accompagner et de mettre en place, avec sa participation, de nouvelles routines, de nouveaux rituels et de nouveaux repères dans sa nouvelle chambre. »
En ce qui concerne le couple, certains et certaines peuvent avoir peur du manque d’intimité, à juste titre. Mais cela dépend bien sûr des personnes. Pour Héloïse Junier :
« Dans notre société occidentale, nous avons particulièrement tendance à sacraliser le couple et notamment les relations conjugales et sexuelles dans la sacro-sainte chambre parentale. Bien sûr, si l’enfant dort dans la chambre, ses parents ne vont pas forniquer comme des lapins juste à côté de lui [rires] ! C’est du bon-sens !
Il y a d’autres endroits dans un domicile où les parents peuvent vivre leur intimité sexuelle.Une fois de plus, il est important que les deux parents soient favorables au cododo et à ce que cela implique pour que cela se passe au mieux. »
Pour Marie Chetrit, il faut aussi prendre en compte le fait que les parents dorment moins bien :
« C’est prouvé que les parents qui font du cododo dans l’ensemble dorment moins bien, car l’enfant bouge, remue, fait du bruit.
Ça me paraît important au bout d’un moment de sanctuariser la chambre parentale. Si l’enfant est maître de l’espace de jour et de nuit, ça peut être très aliénant. »
Pour Caroline Goldman, cela peut être problématique pour l’enfant :
« Le travail des parents est d’alimenter le réservoir d’amour des enfants, mais aussi de leur permettre de “refouler“ les représentations trop effractantes associées à cet amour, et aussi de structurer la différence des générations. L’espace différencié des chambres en fait partie (“ici c’est notre chambre et toi tu as la tienne“). »
Pour elle, il s’agit des limites à poser avec l’enfant, qui pense d’abord à son plaisir (comme on le comprend !) :
« Tous les enfants du monde aspirent à se nourrir de chips et dormir avec leurs parents. En réclamant ces privilèges, ils font leur travail d’enfants. Les parents doivent faire le leur en leur servant des légumes bons pour leur santé et en structurant le cadre de leurs nuits également. Avec douceur et fermeté.
Cette conviction parentale surplombante que leurs nuits se passeront bien et auront lieu dans leur chambre, est d’un très grand réconfort pour les enfants, qui épousent cette confiance parentale en leur capacité à “faire sans eux comme des grands.“ »
Pour la pédopsychiatre hospitalière, quatre ans est également un âge charnière :
« À partir de 4 ans, c’est le moment de la découverte du corps — en particulier comment il fonctionne, mais l’enfant n’y met pas une notion de sexualité.
À ce moment-là, si la limite n’est pas bien claire avec les parents, si en découvrant son corps, il a une réaction de plaisir lors d’un contact, il va l’affilier à ce contact, cela peut être problématique. »
C’est donc un risque. Mais elle nuance néanmoins :
« Dans une famille parfaitement équilibrée, où les choses sont claires et le cododo est vécu par les enfants comme un accompagnement pour s’épanouir, avec les limites fermement posées, tout doit être très clair et très bien dosé.
Si c’est flou, c’est l’ouverture aux pires turpitudes pour après. »
Voilà, pour les recommandations, mais nous ne sommes pas là pour culpabiliser les parents qui le pratiquent ou qui ne le pratiquent pas. Ce serait la meilleure ! On est sur Daronne tout de même.
Aucune pression : pas de mauvaise solution
Être adepte du cododo avec les enfants, si tout le monde est d’accord, que la famille est équilibrée, et que les bases sont clairement posées, Héloïse Junier ne voit pas de raisons d’arrêter.
« Si les astres sont alignés, le cododo peut être une vraie belle expérience de complicité entre les enfants et leurs parents. Les bienfaits peuvent être nombreux ! »
À mon sens, le cododo est à la base un non-sujet qui est devenu un tabou pour des raisons essentiellement culturelles. »
Pour Marie Chetrit :
« Que les désirs de chacun soient entendus et que tout le monde trouve une solution satisfaisante. Les parents comme les enfants. »
On ne dirait pas mieux !
On peut aussi ne pas avoir envie de faire de cododo du tout. Certains bébés vont directement dans leur chambre à la sortie de la maternité et ce n’est pas un problème, tant que l’enfant reçoit les soins et l’amour nécessaire et qu’il se sent en sécurité.
Personnellement, j’ai tenu deux mois avec mes jumeaux en cododo, un de chaque côté du lit, avant de les envoyer dans leur chambre, qui était juste à côté. On continuait de toute façon à passer nos nuits ensemble vu qu’ils se réveillaient toutes les trois heures. Je ne le savais pas avant d’en faire l’expérience mais les nouveaux-nés font beaucoup de petits bruits en dormant, qui peuvent être très sonores. J’avais l’impression d’être dans une véritable jungle, avec des petits bruits de phacochères. Pas idéal pour dormir les rares moments où cela était possible.
Pour résumer, jusqu’à 6 mois, le cododo est préconisé — mais pas du tout obligatoire —, dans la chambre mais pas dans le lit parental.
Ensuite, jusqu’à 4 ans, c’est au bon vouloir de chacun et chacune ! L’enfant est en route vers l’autonomie et cela peut passer par le fait d’avoir sa propre chambre et son lit.
Puis le cododo peut devenir plus compliqué si des bases et des limites ne sont clairement posées. Et le regard des autres peut s’avérer perturbant, mais il n’y pas non plus de contre-indication stricte. Chacun y verra midi à sa porte, ou plutôt dodo dans la chambre qu’il souhaite !
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Image une une : kevin liang/Unsplash
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Les Commentaires
Pour en revenir au sujet du cododo, nous avons un couple d'ami, ayant rejoint le pays de la Daronnie depuis 1 an maintenant, qui le pratique essentiellement en raison du manque de place chez eux (ils vivent dans le T2). D'après eux, çà les saoule car il ne fait pas encore complètement ses nuits.
Mais ils prévoient de déménager bientôt et du coup, leur petit aura sa chambre (c'est LA raison de leur déménagement).