Sur l’application préférée des jeunes, les vidéos sur la santé mentale accumulent les millions de vues. Parmi elles, celles qui les encouragent à comparer leurs symptômes à des troubles mentaux rares, remportent le plus de succès.
En tête d’affiche, des diagnostics tels que le trouble du déficit de l’attention, le trouble du spectre autistique, le syndrome de Gilles de la Tourette ou encore le trouble dissociatif de l’identité.
Résultat : une vague d’auto-diagnostics encouragée par de parfaits inconnus à peine en âge de voter met les psychologues et psychiatres en concurrence déloyale contre des vidéos virales.
Sous le hashtags #selfdiagnosis, plus de 221 millions de vues et autant de jeunes internautes qui pensent que leur scroll exploratoire vaut l’avis d’un ou d’une professionnelle…
En même temps, peut-on les blâmer ? Longtemps taboue, la santé mentale trouve enfin un auditoire réceptif. Mais à quel prix ?
Des diagnostics en carton
Beaucoup de ces vidéos sont publiées par des adolescents qui affirment avoir reçu ces diagnostics. D’autres, sont créées par des personnes qui prétendent être des thérapeutes. Leur point commun ? Ils et elles énumèrent des symptômes et des signes et les associent à des troubles tout en encourageant les internautes à s’auto-évaluer.
Des milliers d’ados en crise, fatigués ou déprimés s’identifient immédiatement, sans aucun avis pro, à des troubles bipolaires, borderline ou dépressifs. Ils et elles y trouvent un refuge, une communauté, et surtout, une manière de se sentir écoutés et validés.
Le fait de s’identification sans preuve à des diagnostics de santé mentale n’est pas nouveau, en témoignent les expressions erronées et psychophobes utilisées à longueur de journée, telles que « Olala, je suis en dépression aujourd’hui » ou « elle est vraiment bipolaire, elle change d’avis tout le temps ! ».
Le fait de se rapporter à certains symptômes d’un trouble ne permet pas de poser un diagnostic. On peut très bien présenter des symptômes de troubles mentaux mais ne pas répondre aux critères d’une telle évaluation. Je m’explique : lorsqu’un ou une professionnelle veut faire un diagnostic, la plupart du temps, il ou elle va rechercher ce que le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) en dit. Selon le magazine Psychology Today :
« Les questions que se posent de nombreux professionnels pour établir un diagnostic sont les suivantes : « Qu’est-ce que vos symptômes entravent dans votre vie quotidienne ? » ou « Quel est l’impact de ces symptômes sur votre capacité à vivre votre vie comme vous le souhaitez ? » Ainsi, bien que vous puissiez avoir des difficultés à soutenir votre attention, ignorer les détails, avoir du mal à vous organiser, être distrait, perdre des objets et éviter les tâches nécessitant un effort mental soutenu, si cela n’a pas d’impact sur votre fonctionnement ou n’interfère pas avec la qualité de votre fonctionnement, alors vous ne souffrez pas d’un trouble de déficit de l’attention/hyperactivité (type inattentif). »
On est loin du verdict élaboré en 30 secondes chrono sur TikTok…
Un phénomène dangereux
Leur auto-diagnostic en poche, certains et certaines s’identifient à ces troubles et attendent en retour des traitements ou des aménagements spécifiques. Pour Bre-Ann Slay, psychologue clinicienne à Kansas City, qui s’est confiée à The Wall Street Journal sur le sujet, les vidéos TikTok qui déstigmatisent la maladie mentale et incitent certains adolescents à chercher de l’aide peuvent être positives, mais seulement jusqu’à un certain point :
« Cela peut être délicat lorsqu’il y a un fort attachement à un diagnostic particulier »
L’article de Psychology Today parle même d’un effet horoscope, dont les mécanismes ressemblent à ceux de l’astrologie :
« Les gens lisent des symptômes en ligne ou entendent quelqu’un parler de son expérience et s’y sentent liés, à tel point qu’ils croient maintenant qu’ils doivent avoir le même diagnostic. Bien entendu, de nombreuses personnes ont en fait découvert qu’elles souffraient de troubles tels que l’anxiété, la dépression et le TDAH. Cependant, une communauté de jeunes a commencé à s’approprier ces symptômes et à proclamer qu’ils ont de nombreux diagnostics sérieux qu’ils n’ont peut-être pas en réalité. »
Mais contrairement à l’horoscope, ce phénomène a des conséquences bien plus graves que celles et ceux qui affirment se reconnaître dans la description du Taureau ou du Capricorne. Les pros voient même de plus en plus d’adolescents venir dans leurs cabinets avec des auto-diagnostics glanés sur TikTok.
Le pire étant que la plupart des diagnostics, vus des millions de fois sur la plateforme et dans lesquels des milliers de jeunes se reconnaissent, se rapportent souvent à des troubles rarissimes. Les vidéos sous le hashtag #borderlinepersonalitydisorder ont été visionnées 600 millions de fois, alors que, selon la National Alliance on Mental Illness, seulement 1,4 % de la population adulte américaine souffrirait de ce trouble.
D’ailleurs, ce trouble ne serait « presque jamais diagnostiqué chez les adolescents, car leur personnalité est encore en train de se former et parce que certains symptômes, tels que des relations personnelles instables et un comportement impulsif, sont difficiles à distinguer du comportement typique des adolescents. »
Autres conséquences de ces fausses évaluations : l’engorgement des cabinets médicaux et une augmentation du stress chez ces ados auto-diagnostiqués (tout comme Googler ses symptômes et découvrir que notre mal de tête persistant est peut-être une tumeur cancéreuse est aussi inutile et dangereuse qu’anxiogène !)
Que faire contre la désinformation ?
Pour contrer la désinformation, une poignée de thérapeutes ont investi TikTok et publient des mises en garde contre le phénomène. Mais les vidéos virales ont déjà pris racine. Don Grant, directeur exécutif des services externes du centre de traitement pour adolescents de Newport Healthcare, explique :
« Nous devons convaincre ces jeunes de lâcher leurs auto-diagnostics, mais lorsqu’ils sortent de notre cabinet, ils retournent directement dans la communauté TikTok, ce qui renforce leurs croyances. »
Il faut dire que TikTok ne facilite pas les choses. À peine deux ou trois vidéos au sujet de la santé mentale visionnées ou likées, et voilà votre fil d’actualité inondé d’auto-évaluations dangereuses.
Pour contrer les limites de son algorithme, TikTok a annoncé au début du mois vouloir tester des fonctionnalités permettant aux internautes d’éviter d’être confrontés à un seul et même type de contenus, ce qui, à la longue, peut être néfaste.
En attendant, la plupart des patients du docteur Grant suppriment carrément leurs comptes TikTok pour en créer un nouveau, rafraîchir rapidement leur flux et échapper à l’enfer des auto-diagnostics.
Alors, on efface tout et on recommence ?
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Crédits photos : Anna Shvets et cottonbro (Pexels)
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