La brillante Sandra Oh en rôle principal, ça ne se refuse jamais. Alors, quand j’ai vu son visage apparaître sur la page d’accueil de Netflix, j’ai cliqué avant même d’avoir vu le titre de la série, et me suis embraquée sans réfléchir les six épisodes de trente minutes de The Chair — Directrice en français.
N’hésitez pas à faire de même : le voyage en vaut la peine.
Laisser la place aux nouvelles voix
Dans l’université fictive où enseigne Ji-Yoon Kim (Sandra Oh), les décors sont facilement identifiables : les bureaux sont remplis de bois noble, de livres rares et de blasons obscurs. Remplis aussi de pontes du milieu académique, qui ont pour points communs d’avoir été des pionniers de leur discipline, d’être âgés, d’être, pour la plupart, des hommes blancs… et d’avoir oublié d’évoluer avec leurs étudiants et étudiantes en cours de route.
C’est une équipe de cet acabit que l’héroïne doit « moderniser », quand elle prend la tête du département de littérature anglaise de la très moyenne université de Pembroke. Car au sein de l’établissement, les élèves boudent les cours de lettres, et les vieux profs sont doucement poussés vers la sortie pour pouvoir rogner les budgets.
Un portrait du monde qui change
Pour les créatrices deThe Chair, Amanda Peet et Annie Wyman, l’université est très certainement une excuse pour raconter le monde en 2021, et les conflits générationnels qui le traversent.
On y observe une génération Z engagée et anxieuse face à des aînés qui refusent l’horizontalité qu’elle réclame, et qui ne comprennent pas ses codes. Des baby-boomers qui ne savent pas laisser de place aux nouvelles voix — surtout quand elles sont portées par des femmes racisées — dont les égos enflés cachent qu’ils sont à côté de la plaque. Et puis des jeunes un peu trop rapides sur la gâchette du jugement, influencés par les réseaux sociaux.
Un portrait qui manque de subtilité, avouons-le, mais toujours drôle et au casting sans faute : chacun des protagonistes est joué à la perfection, et porte des nuances émotionnelles qui nous font aimer des personnages auxquels on aurait très envie de mettre un pain ou deux dans la vraie vie (notamment celui de Bill Dobson, interprété par Jay Duplass).
Un plot twist traité avec tiédeur
Récapitulons rapidement l’évènement majeur de la série, traité avec une mollesse un peu décevante : Bill Dobson, professeur de littérature anglophone adoré des élèves en pleine période de deuil, se fend d’un salut nazi pendant un cours sur l’absurde.
Un étudiant le filme, le poste sur les réseaux sociaux, et c’est l’emballement ; le professeur est accusé d’être un néo-nazi (ce qu’il n’est pas), les médias s’en mêlent, et une colère étudiante immense s’abat sur lui, qui reste persuadé qu’il n’a rien fait de mal. Cet évènement, qui se veut être raconté avec nuance, n’est abordé qu’en surface.
Des positions défendues par les étudiants, nous ne saurons rien — si ce n’est la véhémence avec laquelle ils les affirment. La série se focalise sur l’umbroglio qui s’ensuit : comment une université désemparée tente de gérer une communication de crise, et comment cet homme blanc d’une quarantaine d’années réagit face aux accusations de néo-nazisme qui lui sont faites. Et surtout, comment Ji-Yoon Kim, en qualité de directrice, tente d’y faire face.
Et c’est là, que se trouve tout l’intérêt de la série. Car si l’on s’étonne peu de voir cet homme privilégié à tant d’égards aussi déconnecté des conséquences de ces actes, rares sont les représentations des femmes, a fortiori racisées, qui s’évertuent à gérer les choses à leurs places.
Dans The Chair, la chaise est une falaise de verre
C’est ici que la brillance du scénario, parfois drôle, parfois triste à en pleurer, se révèle : dans la fatigue et la résilience dont le personnage interprété par Sandra Oh fait preuve, face à la liste sans fin de demandes qu’est son quotidien.
Dans The Chair, Ji-Yoon Kim est la mère célibataire d’une petite fille, et la mère professionnelle de tous ces collègues de travail. Ce n’est pas glorieux, ce n’est pas une image d’Epinal de mère sacrificielle, c’est juste la réalité : un bordel rempli d’ingratitude.
La série, prise du point de vue de son personnage principal, est une tempête : en proie au sexisme, au racisme, à l’âgisme, on met entre les mains de Kim un monde qui s’effondre, et on la regarde se débattre. La solidarité partagée par les femmes du département et les ressources immenses de la protagoniste ne suffiront pas à redresser la barre.
Au point qu’elle en vient à se demander si sa promotion, en tant que première femme racisée directrice d’un département de littérature, n’est pas un cadeau empoisonné : un mise en scène de plus de la falaise de verre, qui place les femmes à des postes à responsabilité en période de crises pour mieux les voir échouer.
Le dos des femmes racisées, ce pont
En 1981 est publiée pour la première fois l’anthologie féministe This bridge called my back (Ce pont appelé mon dos, en français) aux États-Unis. On y trouve des textes de 16 autrices racisées, dont la célèbre Audre Lorde, qui explorent avec radicalité les intersections du sexisme, de l’hétéronormativité, du racisme, et la position des femmes non-blanches dans la société.
Le titre évocateur n’a eu de cesse de résonner dans un coin de ma tête, au long de la série. C’est la position de Kim, épisode après épisode : faire de son dos un pont, pour que d’autres puissent traverser la crise. Pour que son meilleur ami et intérêt amoureux Bill Dobson puisse conserver son poste, pour que la jeune et brillante professeure noire Yasmin McKay obtienne une titularisation, pour que les universitaires les plus âgés se remettent en question et attirent à nouveaux les foules dans leurs classes…
À chaque étape de ces déboires, on lui en demande plus, sans jamais écouter les solutions qu’elle propose. Et quand, faute d’avoir suivi ses conseils, tout éclate, c’est à elle qu’on vient demander des comptes, parfois violemment. C’est même elle qui paie certains des pots cassés : la série se clôture sur la fin de son court mandat en tant que directrice de département, quand elle se fait démettre de ses fonctions… Et on constate la libération que cela lui procure.
Il y a quelque chose de jouissif à se reconnaître dans les victoires, comme dans les défaites de Kim, face à l’insatiabilité d’un monde qui prend pour acquis le travail des femmes, et particulièrement celui des femmes racisées. C’est ce point que The Chair raconte avec le plus de justesse.
Regardez The Chair sur Netflix
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Crédit photo : The Chair (Netflix), Trailer / Capture d’écran Youtube
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Mais ce qui m'a touché : Ju Ju ! uppyeyes:
Jamais vu une petite fille de ce genre dans une série auparavant.