J’ai souvent entendu les gens parler de Sur La Route avec une pointe de frustration, voire de déception. Pour une œuvre emblématique que la planète entière se devait de lire, symbole de toute une génération, le tout les laissait un peu sur leur faim. Nous avons été nombreux à nous satisfaire de la version censurée, ignorant alors qu’elle l’était – et après avoir été bercés par le récit de Kerouac, il est temps de nous secouer un peu.
Cette nouvelle version, l’originale, telle qu’elle aurait dû être publiée, mettra une sacrée claque à ceux qui ont bien connu la première édition. D’abord, on oublie les pseudonymes. Tous les personnages sont présentés sous leur vrai nom. Leur sexualité n’est plus vaguement sous-entendue, mais exprimée à voix haute et sans aucune retenue. Les relations ne sont plus vaguement ambigües mais clairement définies, et les détails croustillants nous sautent à la gueule sans prévenir. Sans être prude et facilement impressionnable, le lecteur qui a connu la première édition aura quelques sursauts tout au long du livre, en réalisant ce qui se cachait vraiment sous les corrections de 1957.
Sur La Route fait toujours autant rêver, mais cette version bouscule encore plus l’imaginaire. La gentille image du road trip peinard entre potes se transforme en une aventure plus brutale, dont les limites s’effacent au fur et à mesure qu’on avance. L’absence de censure rend le tout plus « facile » à comprendre – non pas que ce soit une œuvre compliquée – parce qu’elle élimine toute impression de flou, et rend le tout moins énigmatique, justement parce que tout est exprimé et que l’imagination du lecteur est beaucoup moins mise à l’épreuve. L’effort que l’on faisait avant pour deviner ce qui se cachait sous les allusions de Kerouac n’a plus de raison d’être et le tout se déroule sous nos yeux sans que nous ayons à aller chercher les détails ailleurs.
Cette édition se savoure donc avec cent fois plus de force, de plaisir et d’intensité que la version censurée, pour toutes les raisons évidentes. Et ceux qui n’ont pas été convaincus par leur première lecture trouveront peut-être leur bonheur dans le rouleau original. Ne serait-ce que pour le plaisir de redécouvrir une œuvre qui a tant circulé, et qui a tant fait parler. C’est un nouveau classique, une nouvelle référence, il y a l’avant et l’après rouleau original et notre génération a la chance de pouvoir passer de l’un à l’autre.
Les fans de la première heure s’amuseront, comme moi, à faire une lecture comparative en parallèle. Jongler entre les deux éditions devient alors une sorte de jeu de piste, et permet de mettre en relief les grosses différences entre les deux versions.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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