Fût une époque où la plèbe se rencontrait sur le parvis des Églises, où elle chantonnait d’une seule voix aux exécutions publiques de la place de Grève et aux goguettes des samedis soirs fiévreux.
Fût une époque où les gens se rencontraient en masse quelque part dans l’illusion d’un brassage social somme toute très relatif : à notre époque moderne où les vérités sont enfin dites nous savons que Dieu est mort pour rien, que le meurtre d’un assassin est un crime comme un autre et nous ne nous retrouvons plus au zinc des bistrots depuis que nous n’y fumons plus de Gitanes Maïs ; en gros, aujourd’hui, on s’ennuie sévère.
Tout ce paragraphe inutilement réactionnaire et alarmiste pour arriver à quel constat ? Que sur l’autel sacré des croyances actuelles seule la consommation fédère le peuple et que c’est aux caisses des supermarchés que nous avons le plus de chance de rencontrer l’inconnu, l’aventure, notre voisin, la bourgeoise du quatrième et le fils du directeur.
Fouiller au fond d’un frigo pour trouver la DLC la plus éloignée et tout remettre en place, c’est une toquade que partagent tous les Français. Bien évidemment vous allez me dire que je mens, qu’il existe de véritables lieux de partage populaire bien moins trivial que ces temples honteux du capitalisme mais qu’importe puisque tout ceci n’est qu’une justification de plus, un prétexte éhonté pour parler de ma passion des supermarchés.
J’aime les petites, les grandes et les médiocres surfaces, les achalandages compliqués des épiceries arabes et les incongruités des boui-boui asiatiques. Pour toute personne normalement constituée, faire les courses est un calvaire de l’ordre du nécessaire, une corvée épuisante et ingrate. Mais à l’ère de Masterchef, à ce moment de nos vies où la bouffe est passée du domaine de la survie à celui, bien plus noble, d’art et de passion; on transforme la besogne en moment de plaisir.
Le supermarché nous flatte et achève notre lobotomie dépensière, comme Michel Houellebecq le versifiait dans ce poème minimaliste :
« Le samedi c’est bien On va au Monoprix Et on compare les prix Des enfants et des chiens, Le samedi c’est bien. » Michel Houellebecq, Poésies
ON FAIT QUOI POUR VOUS AUJOURD’HUI ?
Par dessus tout, c’est le Monoprix que j’aime et à qui je veux rendre hommage : ses rayons impeccables aux néons tamisés qui donnent bonne mine au plus blafard des clients, son savant mélange d’utile et d’agréable, ses bibelots ménagers qui égayent le rayon hygiène.
Ses fruits et ses légumes chatoyants, les têtes de gondole toujours en promotion, le juste équilibre des produits entre le bobo et le prolo; ce petit côté snob et sain que l’on retrouve au détour de chaque conserve.
Jusqu’aux emballages branchés aux jeux de mots médiocres dignes d’un Laurent Ruquier en petite forme, au design savamment pensé pour être à la fois rétro, minimaliste et totalement moderne. Monoprix est à la pointe du supermarché de quartier, il supplante tout les autres et écrase violemment le petit commerce de proximité ringard de ses allées brillantes, ses sacs plastiques roses et sa gamme de produits Gourmet.
Autrefois j’étais une simple cliente du Monoprix, je baignais dans ma crasse banalité de consommatrice infidèle et difficile, j’avais encore une once de sens critique à cette époque-là et je trouvais même qu’ils vendaient toutes leurs marchandises bien trop cher.Mais un jour ces fourbes m’ont fait tomber dans leur débauche d’offres promotionnelles et j’ai cédé à LA carte Monop’, moi qui me faisais une fierté de refuser toute étiquette, toute appartenance à une quelconque mouvance.
Quand la caissière me demandait « Vous avez la carte de fidélité ? », c’est fière, libre et insoumise que je lui lançais au visage mon « Non ! » revanchard, rempli de détermination, de prise de positions et d’affirmation de moi-même.
Mais il y a trois mois je me suis reniée, humiliée jusqu’à devenir « FAN » sur Facebook… D’ailleurs je ne faisais plus mes courses « au Monoprix », ma salade à un euro quatre-vingt dix les cent soixante quinze grammes ne provenait plus « du Monoprix », c’était « chez Monoprix » que je me rendais – j’y débarquais comme on se rend dans une grande maison, chez Monoprix, c’est un peu plus chic, on ne s’y radine pas n’importe comment.
TYPOLOGIE DE LA CLIENTÈLE
Le Monop’, c’est un sanctuaire urbain. La mixité sociale des héros du centre ville et de ceux qui ont perdu le courage de prendre le bus pour aller se ravitailler en périphérie pour trois fois moins cher. C’est un truc de petits bourgeois et de sales flemmards, en somme. Moi qui ne voulais que des tomates je ressors de là épileptique, les yeux exorbités avec des olives, du blanc de dinde, du taboulé en promotion et du houmous allégé sans même savoir ce qui a pu m’arriver.
Plantée au milieu des allées entre les invendus de la Foire aux vins et le débarquement des chocolats de Noël je prends le temps de regarder les autres clients et de remarquer qu’il n’y a que deux figures majeures parmi ces fidèles :
Ceux qui savent ce qu’ils veulent :
Les consommateurs élevés à la dure qui ne sont pas tombés dans le panneau, qui savent que faire les courses n’est pas une fête et qu’il n’y a rien d’heureux à claquer deux jours de travail au smic dans un panier trendy mais à peine rempli. Les plus méticuleux ont une liste (ce système archaïque qu’utilisaient vos mères pour ne pas oublier l’essentiel) et n’achètent que des produits bien spécifiques. On ne les verra pas claquer trois euros dans des tomates qui ne sont plus de saison, ni dans un paquet de farine à quatre vingt dix alors qu’ils vendent le même à Liddl pour quarante centimes. Ils sont imperméable aux pancartes colorées qui les bercent dans la douce utopie promettant une réduction sur le jambon.
Ceux qui font leurs courses comme on se promène dans un musée : «Ah tiens c’est quoi ça ? Oh c’est bien emballé, ça a l’air bon, j’connaissais pas, je devrais peut être goûter ?» Ils parcourent chaque rayon à l’affût de la moindre nouveauté, du produit incongru à essayer, tout est à portée de leur mains blanches qu’ils n’ont pas besoin d’avilir dans les bas rayonnages. L’oeil hagard et l’oreille distraite ils poussent la lobotomie jusqu’à écouter les jingles de Radio Monop’ et les conseils mode de Mademoiselle Agnès qui nous apprendra à nous déguiser en parfaite citadine-modasse à la pointe des tendances «Navajo» «Hippie chic» ou «Urban style».
?Les vieux sont rares aux caisses des Monoprix, ils ne font pas partie de la cible jeune, active et festive que l’enseigne veut séduire puisqu’ils sont vieux, bientôt morts et acariâtres, c’est un fait reconnu.
On pourra toujours en rencontrer aux abords de dix huit heures trente mais ceux-là appartiennent à une race particulière qui meuble ces derniers jours dans une résistance occupationnelle : ils prennent l’attention où elle se trouve, comme ils le peuvent, en commettant le pire crime possible aujourd’hui ; ils prennent leur temps.
Alors lorsqu’un un vieux distille sa ferraille à la jolie caissière du supermarché je prends le temps d’observer les courses étalées sur le tapis devant moi. J’ai bien conscience de violer un espace intime, car, hélas, ce qu’on achète signifie ce qu’on est. La curiosité est un infâme défaut mais elle nourrit mon imagination facile et j’aime me raconter des histoires. Cela m’occupe pendant que je vide mon panier sur le tapis roulant, en prenant soin d’emboîter mes achats de façon à ce qu’ils forment un beau tableau de Tétris parfaitement organisé.
Je m’invente une histoire et projette mon ennui sur le client précédent; je devine ses repas pour la semaine, son addiction au riz au lait, son mode de consommation équitable ou son intolérance au lactose.
Aujourd’hui c’est un homme au crâne dégarni, il achète du jambon découenné, une salade de tortis au saumon, du pain de mie sans croûte, un yaourt brassé saveur caramel et du papier toilette parfum Lagon.
Je l’imagine rentrer seul chez lui, dans son deux pièces biscornu au fond d’une arrière cour, des sacs plastiques roses pendus au bout de ses bras fatigués. Sitôt la porte refermée, il allumera la télévision sur France 2 et se dépêchera d’ôter l’opercule de sa salade de pâtes; il va maugréer quelque chose car le papier de protection sous le couvercle d’emballage se déchirera en deux et tombera dans la sauce, ce sera sale et contrariant. Il se servira deux tranches de jambon et les mangera rapidement pendant la première partie du JT, achèvera son festin par un yaourt saveur caramel et une fois que le ventre sera bien rempli il profitera de sa soirée saveur solitude.
Je reconnais le caractère arbitrairement triste de cette description, cet homme est peut être un grand festif après tout; mais j’aime projeter des intentions pathétiques à mes inconnus, ça fait plus d’histoires à se raconter.
L’autre jour comme je m’ennuyais de mon herbier humain et que j’avais envie d’un peu de folie dans ma routine alimentaire quotidienne; je me suis rendue dans une Biocoop. J’ai payé plus cher que chez Monoprix et le soir j’ai peut-être mangé plus sain mais je ne ressentais pas ce fanatisme imbécile propre à l’euphorie des courses en milieu bobo-ïsé.
La Biocoop, c’est le terne et le no-fun, le lieu des gens qui possèdent une éthique et qui ressemblent à ce qu’ils sont (des gens qui mangent du soja; je vous assure je ne suis pas raciste mais les gens qui se nourrissent essentiellement de SOJA ont une tête particulière, propre à manger du soja, ça ne s’explique pas).
Je suis allée dans une Biocoop donc; et à la caisse je ne pensais rien du client précédent, dans cet endroit très sérieux, le réel avait tué mon imagination. On était loin des caisses festives du Monoprix qui diffusent horoscopes et recettes de cuisine sur des écrans géants pour tuer le temps et nous bercer de musique lénifiante mais cette joie superficielle, je l’avoue honteusement, à demi-mot, en petits caractère mal assumés, cette joie bête et primaire, et bien, elle m’a manquée.
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