Être travailleuse du sexe, qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que ça englobe ?
La prostitution, suis-je pour ? Suis-je contre ? Pourquoi ? Quel est mon positionnement de femme et de féministe sur le sujet ?
Est-ce que je pourrais un jour coucher avec un homme pour de l’argent ?
Mes questionnements sur la prostitution
Ces questions, je me les pose depuis des années déjà et jusqu’à il y a peu, je n’y avais pas vraiment trouvé de réponse. La seule chose que j’ai toujours su, c’est que je ne veux pas être une prostituée.
Pourquoi ? Parce que dans mon esprit, la vision de « la prostituée » et de « la travailleuse du sexe » a pendant longtemps été celle de la femme qui vend son corps sur un trottoir et qui affronte nécessairement une violence sexuelle quotidienne.
C’est celle d’une femme dans une situation psychologique et matérielle instable, bref, une femme qui ne me ressemble pas.
Or cette vision tranchée, jugeante et sans nuance m’a bel et bien conduite à vendre mon corps en m’essayant au sugar dating, sans même m’apercevoir que j’étais moi-même devenue une travailleuse du sexe.
C’est quoi la définition exacte du sugar dating ?
Si on tape « sugar dating définition » sur Google, on tombe directement sur la définition du terme « sugar daddy » qui est très explicite :
« Le terme « sugar daddy » (littéralement « papa gâteau ») est un anglicisme argotique utilisé pour désigner une relation de prostitution dans laquelle un homme offre de l’argent et des biens à une femme bien plus jeune que lui. »
Prostitution. C’est clair. Et pourtant dans ma tête ça ne l’était pas, et j’ai la sensation que dans celle de beaucoup de gens non plus.
Il faut dire que le marketing de cette appellation est un peu plus sexy aux yeux de tous et toutes que le terme prostitution.
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Comment j’ai découvert le sugar dating
Pendant mes études supérieures, il est arrivé une période où tous les médias ont commencé à parler de sugar dating.
Cela venait principalement d’un scandale lié à un site qui avait fait sa publicité devant des facs belges et parisiennes, avec un slogan encourageant les étudiants et étudiantes à trouver un sugar daddy ou une sugar mama.
Le site en question mettait en avant une relation de qualité pour améliorer son style de vie et ne pas avoir besoin de prêt étudiant.
Personnellement j’imaginais la chose comme une relation entre une femme jeune (la sugar baby) et un homme plus âgé et fortuné (le sugar daddy), qui trouvait son plaisir dans le fait d’entretenir cette jeune femme.
Ou inversement à une échelle moindre entre une femme âgée et une homme plus jeune, ou de la même façon entre deux personnes du même genre.
J’avais dans l’idée que certains hommes trouvaient leur plaisir dans la relation de domination et de dépendance financière, sans forcément demander de relations sexuelles en échange.
Mon inscription sur un site de sugar dating
À cette même période, j’ai fait un devoir sur le sujet dans le cadre de mes études, ce qui m’a permis de prendre le temps d’écumer les sites de sugar dating et de me rendre compte de ce que c’était vraiment.
Pour mon devoir, je me suis inscrite sur un site en faisant un profil à la va vite. C’était justement le but : montrer à quel point il était simple et rapide pour n’importe qui de s’y inscrire.
Une photo, trois mots en description, en deux temps trois mouvements et sans aucun contrôle sur mon âge ou mon identité, mon profil était finalisé.
Cela ressemblait en tous points à une inscription sur un site de rencontres classique, à la différence que l’aspect financier était très vite présent. On me demandait par exemple à combien d’euros par mois s’élevait mon budget de vie.
Alors j’ai rempli en mettant tout au pif pour remplir les cases, et au bout de même pas une heure j’ai reçu une cinquantaine de messages.
Choquée, en rentrant chez moi le soir, j’ai lu avec minutie tous les messages que j’avais reçus dans la journée.
Les profils des sugar daddy
J’ai écumé les profils, il y avait des hommes d’environ 30 à 65 ans. Et bien sûr à cet instant précis dans ma tête il y avait une curiosité plus poussée que celle d’une simple étudiante bossant sur un devoir.
Dans le passé j’avais pensé à rentrer dans les sphères de l’escorting qui m’attiraient, pour comprendre, tester mes limites et évidemment pour gagner un peu d’argent de poche, parce qu’encore une fois, j’imaginais pouvoir exercer cette activité sans jamais devoir coucher avec quiconque qui ne m’attire pas.
Pour moi à l’époque l’escorting était bien loin de l’image que j’avais de la prostitution, et tout à coup, en voyant tous ces messages, je reconsidérais la chose.
Je me disais que je pourrais trouver un homme qui veuille juste que je l’accompagne à des soirées, passe du temps avec lui, sans avoir à coucher avec lui et qui en échange m’offrirait des objets ou me donnerait de l’argent.
Les profils des hommes sur ce site étaient particuliers : des photos publiques de leur visage et des photos privées auxquelles on pouvait avoir accès en envoyant une invitation, qui dévoilaient un peu plus leur corps pour les plus jeunes.
Mais surtout, en plus des habituels « corpulence, taille, âge » il y avait sur leur profil les précisions suivantes : revenu annuel et montant du patrimoine.
Mes discussions avec des sugar daddy
Dans la plupart des messages que j’ai reçus, je sentais constamment ce besoin de leur part d’une « relation complice » et d’une relation cérébrale.
Beaucoup me questionnaient sur ce que je faisais dans la vie, me challengeaient sur ma culture générale, mes goûts culturels, mon avis sur des sujets divers.
« Si je voulais coucher avec une pute, j’irais aux putes »
C’était une phrase récurrente dans leur discours.
Ils voulaient une pute qui ne fasse pas pute. Une femme très jeune, intelligente, sur qui ils auraient de l’emprise et surtout une relation exclusive (de son côté à elle évidemment).
Un vicieux mélange entre l’amante, la prostituée, et la petite copine… jolie représentation de la place des femmes dans notre société.
Petit à petit je me rendais compte que ce que je voulais, une relation sans sexe, était impossible. Et que la plupart des hommes, qu’ils l’assument vraiment ou non, ne voulaient que ça.
Mais ils étaient toujours très polis, toujours dans la séduction galante, parfois poètes et très imaginatifs. Voici quelques messages d’hommes que j’ai pu retrouver dans mes archives :
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Je ne suis pas une pute, mais pourquoi pas devenir une sugar baby ?
« Si je voulais coucher avec une pute, j’irais aux putes »
Finalement, être une sugar baby, ce n’est pas vraiment être une pute, non ? Derrière le mot « pute » utilisé par ces hommes, il y avait tout le poids jugeant de la société qui entretenait le cliché de la prostituée que j’avais moi-même en tête.
La femme vulgaire, désespérée, instable, qui n’a plus d’autre solution que de vendre son corps.
Moi, si j’accepte parce que j’ai envie d’argent de poche et que ça m’amuse, je ne serais pas vraiment une pute, non ? Puisque moi je n’ai pas le profil de la pute.
Je n’étais pas à la rue, je n’étais pas en situation particulièrement précaire.
Je me suis intéressée au sugar dating par pure curiosité et je m’étais fixé une règle, une limite, une chose que je ne voulais absolument pas faire : coucher pour de l’argent.
Même si je me rendais bien compte au fur et à mesure que le sugar dating était tout bonnement de la prostitution et que ça ne répondait donc pas à mes attentes, je me suis laissée aller dans des discussions avec beaucoup d’hommes pendant plusieurs semaines.
Et l’appel de l’argent, pour moi, petite étudiante qui avait bien envie d’avoir plus d’argent de poche pour faire des folies, a évidemment joué un rôle prépondérant.
Je testais plusieurs attitudes, plusieurs questions plus ou moins directes, ça m’amusait, c’était comme un jeu qui détachait de plus en plus ce que je faisais du travail du sexe dans mon esprit.
Et petit à petit je me suis dit… finalement, pourquoi pas ?
Pourquoi pas trouver un homme d’une quarantaine d’années qui me plaît et avec lequel je pourrais coucher sans me forcer ?
Mon cerveau faisait des allers-retours entre « quand même tu ne vas pas faire ça ? », et « est-ce que tu serais vraiment capable de faire ça ? », « ce serait quand même excitant de tester ça… au moins tu l’aurais vécu ! ».
Selon le jour et l’humeur c’était oui, non, peut-être. Parfois je trouvais des hommes d’une trentaine d’années qui me plaisaient, et puis finalement je n’avais plus envie.
Et un jour, j’ai rencontré Dominique*.
Le sugar daddy que j’ai choisi
*le prénom a été changé
Dominique* vit en Autriche, il a 37 ans, est en couple sans enfant et vit avec sa compagne.
Il a l’habitude de voir des jeunes femmes pour avoir des relations sexuelles extra-conjugales en secret.
Il apprécie les relations tarifées car elles le gardent à l’abri de l’attachement que certaines pourraient ressentir pour lui, et dont il ne veut pas.
Complicité oui, mais pas d’affection ou de dimension émotionnelle. Alors il voit des femmes dans des hôtels, de façon suivie ou ponctuelle.
Quand il m’a abordée il m’a dit habiter loin de la France et ne pas avoir pour habitude de contacter des jeunes femmes françaises, mais qu’il avait flashé sur mon profil.
Alors nous avons discuté longuement de tout et de rien, et petit à petit une relation tarifée à distance s’est instaurée.
Il me payait 200€ par mois en échange de photos et vidéos de mon corps la journée quand il était au boulot. Pour moi c’était un bon compromis : pas de messages le soir, pas de contact physique, un peu de sous…
Ma vie de sugar baby
Pendant trois mois, j’ai vécu ma vie de travailleuse du sexe sans même me rendre compte de ce que je faisais. Je m’amusais, j’avais totalement séparé mon activité de la notion de travail du sexe dans mon esprit.
J’en rigolais, j’en parlais à mes copines les plus proches en plaisantant, puis un jour j’ai eu une prise de conscience qui m’a fait me sentir extrêmement mal à l’aise :
Qu’est-ce que ce je suis en train de faire, exactement ? Pourquoi est-ce que je vends mon corps ? N’était-ce pas, justement, ce que je ne voulais pas faire ?
Est-ce que ça change vraiment quelque chose que je ne couche pas avec ce type qui paye pour se branler sur des photos et des vidéos de moi ?
Du jour au lendemain, j’ai mis fin à cette relation. Dominique était un homme poli et correct qui n’a pas essayé de me retenir, heureusement pour moi.
Alors pour continuer à créer un alibi dans mon cerveau qui me racontait que j’avais le contrôle de la situation, j’ai trouvé comme raison principale de cette décision que l’organisation était trop compliquée à gérer pour moi (ce qui était en partie vrai).
Quand je l’ai annoncé à mes copines, je leur ai donc donné cette excuse ainsi que le fait que je ne voulais pas être dépendante financièrement de cette relation, sans jamais leur expliquer mon malaise.
Et pendant tout le temps de cette relation, et même pendant plusieurs mois après, je ne me suis jamais avoué que oui, j’avais été une travailleuse du sexe pendant 3 mois.
Le sugar dating, la prostitution et le travail du sexe
J’ai écrit plusieurs versions de ce témoignage pendant plus d’un an, et au fur et à mesure des écritures, mon point de vue a changé, l’angle de ce texte a évolué et mon regard sur cette expérience en même temps.
Aujourd’hui, je crois que ce que j’ai réussi à exprimer est juste et reflète ce que j’ai vécu, sans te mentir et me mentir à moi-même.
Si j’ai décidé de l’écrire et de le partager à madmoiZelle, c’est d’abord parce qu’en découvrant tout cet univers et en en parlant à plusieurs personnes, je me suis rendu compte du décalage entre l’image que les gens ont du sugar dating et sa réalité.
Le sugar dating est de la prostitution déguisée, mais de la prostitution quand même.
La dynamique est d’autant plus vicieuse qu’elle n’apparaît pas vraiment comme de la prostitution et que même en discutant avec des hommes ou des femmes sur un site Internet dédié, on peut se raconter des histoires si l’on n’est pas avertie, exactement comme je l’ai fait.
Mais la deuxième raison qui me semble plus importante encore c’est de montrer et pointer du doigt la vision de la prostitution que m’a fait intégrer cette société.
Vision qui, je pense, ne m’a pas permis d’y voir clair entre les choix que j’avais à disposition : ce dont j’avais vraiment envie et ce qu’englobe et implique vraiment le travail du sexe sous toutes ses formes.
Est-ce que je suis devenue une travailleuse du sexe alors que je ne le voulais pas parce que la société m’a fait rentrer dans le crâne que mon corps était un produit consommable ?
Ou est-ce que je voulais devenir une travailleuse du sexe mais que le regard jugeant et étriqué de la société sur les « putes » m’a empêchée de m’en approprier le sens et de m’en rendre compte ?
Où commence le travail du sexe ? Est-ce qu’il commence dans la chambre à coucher lorsqu’on a une relation sexuelle avec son mari alors qu’on n’en a pas envie pour conserver sa relation et/ou sa situation financière ?
Ou est-ce qu’il commence sur le trottoir du Bois de Boulogne ?
Où est-ce que je me situais, moi, avec mes photos et vidéos à caractère sexuel envoyées à un homme contre de l’argent et pas parce que ça m’excitait ?
Il n’y aura pas vraiment de réponse dans cet article, parce que je ne pense pas en avoir.
La question de la définition du travail du sexe que je pose juste au-dessus est complexe, et le seul support dans lequel j’ai pu trouver quelques pistes de réflexion est le podcast Intime & Politique produit par Nouvelles Écoutes et sa saison La Politique des putes réalisée par Océan.
Il faut parler du travail du sexe et sortir du cliché de la prostitution
Oui, j’ai été une travailleuse du sexe pendant 3 mois. Oui, je pense que j’aurais pu passer à l’étape supérieure et avoir des rapports sexuels pour de l’argent.
Et si j’avais passé cette étape en n’étant pas au clair avec moi-même sur mes motivations, mes envies, et la réalité de l’activité que j’entreprenais, cela aurait pu avoir des conséquences vraiment néfastes sur mon regard sur moi-même, ma construction en tant que femme, mon rapport à mon corps et à ma sexualité.
J’aurais pu en venir à m’en vouloir, me déprécier, m’enfoncer dans un mensonge et un cercle vicieux qui m’aurait poussée à continuer sans réelle envie.
Mais comment m’en rendre compte quand tout ce qu’on dit de la prostitution dans le débat public parle de femmes immigrées, de trafics humains, de violences sexuelles et de tout un tas de choses qui sont extrêmement loin de moi ?
À cette époque de ma vie, du haut de mes 20 ans, je n’étais ni assez informée, ni assez mature pour avoir conscience de ce que j’étais en train de faire.
Des jeunes femmes comme moi qui ont fait la même chose que moi, il y en a plein, tous les jours.
Des jeunes femmes qui comme moi ne rentrent pas dans le vieux cliché de la femme prostituée désespérée et en grande précarité qui « tombe » dans la prostitution et se fait violenter et exploiter.
Des jeunes femmes qui peut-être vont plus loin que moi en se racontant l’histoire que je me suis moi-même racontée, et donc sans aucun recul et aucun choix éclairé.
Je regrette fortement que le débat public autour de la prostitution ne serve qu’une dynamique clichée de prostitution (qui existe réellement, il ne faut pas le nier), parce que ce cliché invisibilise toutes les facettes du travail du sexe, celles que je n’ai pas pu identifier.
Il me semble vraiment urgent d’informer et d’écouter les principales concernées qui sont elles aussi les premières à souffrir de cette catégorisation.
J’ai été une sugar baby et j’aurais pu en souffrir
Au bout du compte, j’ai été une « pute » pendant 3 mois, et j’ai eu la chance, malgré toutes les contradictions et le déni dans lequel j’étais plongée, de ne pas avoir dépassé mes limites.
Parce que oui, aujourd’hui avec le recul et l’expérience je le sais : être travailleuse du sexe ce n’est pas juste coucher pour de l’argent.
C’est susciter le désir sexuel, l’attirance et instaurer une relation tarifée dans laquelle le produit est le corps sexualisé.
Aujourd’hui je vois cette expérience comme une anecdote amusante de mon passé et qui reflète bien la place de femme dans laquelle j’ai grandi au cœur de cette société.
Mais j’ai bien conscience que ça aurait pu aller bien plus loin et que je n’étais pas armée et assez informée pour m’engager sur cette voie dans toute mon âme et conscience.
Je n’avais pas besoin de cet argent pour vivre et donc n’étais pas dépendante matériellement de cette relation, ce qui m’a permis de m’en détacher facilement quand j’ai commencé à ressentir un malaise.
Je suis une femme privilégiée, qui l’a toujours été, et cette expérience dans laquelle je me suis engouffrée ne m’a pas amenée à me détester, à perturber le regard que je porte sur ma féminité, mon corps, ma sexualité.
Mais j’aurais pu continuer et ressentir des dommages collatéraux, puisque, sans conscience aucune de l’activité que j’ai entamée, elle ne résultait pas d’un choix mature et éclairé.
Avec cet article, je ne suis pas en train de diaboliser la prostitution, puisque, comme je l’expliquais beaucoup plus haut, je n’ai pas d’avis tranché dans ce débat féministe.
Ce que je déplore, c’est bien l’absence de représentations fidèles de la réalité et d’informations qui m’auraient permis, à l’époque, de réellement identifier ce dans quoi je m’embarquais.
Une travailleuse du sexe peut être une fille comme toi, comme moi, une fille de tous les jours avec qui on va en cours ou on prend un apéro entre potes.
Et je pense que pour ne pas risquer de s’y perdre, il est précieux d’y être sensibilisée et d’avoir trouvé ses propres réponses aux questions que je posais plus haut.
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