— Article initialement publié le 9 novembre 2015
Londres, 1912. Des femmes se mobilisent pour faire entendre leur voix, et obtenir du gouvernement britannique qu’il accorde le droit de vote aux femmes. Leur mouvement a une cheffe : Emmeline Pankhurst (Meryl Streep à l’écran).
Lorsque la voie parlementaire se révèle être une impasse, elle exhorte les militantes à pratiquer la désobéissance civile, à défier le gouvernement pour qu’il entende enfin leurs revendications.
On va suivre le parcours de Maud Watts, jeune ouvrière qui se retrouve embrigadée aux côtés des Suffragettes, et qui paiera très cher son insolente aspiration à… être considérée l’égale d’un homme.
L’histoire oubliée… d’une Histoire déterminante
Je déteste les films historiques : j’ai toujours peur que les libertés qu’ils prennent avec l’Histoire, la vraie, n’interfèrent avec mes connaissances (ou leur absence !) sur le sujet.
Mais c’était avant que je réalise que cette fameuse « Histoire » qu’on apprenait dans les livres avait été écrite par les hommes…
De fait, il lui manque toute celle que l’on n’avait pas jugée digne de postérité.
C’est à ces pionnières, héroïnes et martyres, que Sarah Gavron, la réalisatrice, a voulu rendre hommage.
Grand bien lui en a pris, car la noble « Histoire » avec un H majuscule avait réduit le droit de vote des femmes à « un repère spatio-temporel » dans les programmes du Brevet des collèges.
En vérité, il fut durement acquis, et marqua un jalon déterminant pour le progrès social.
Avec Les Suffragettes, Sarah Gavron a voulu réhabiliter ces militantes, et leur offrir la reconnaissance que l’Histoire leur devait :
« Le terme « suffragette » a été inventé par la presse britannique pour tourner en dérision les activistes du mouvement en faveur du suffrage des femmes, mais celles-ci se le sont approprié.
Les Suffragettes perturbaient les communications en sabotant les lignes télégraphiques ou en faisant exploser les boîtes aux lettres publiques, mais également en s’attaquant aux biens.
Elles ont été emprisonnées et ont entamé des grèves de la faim pour faire connaître leur combat pour l’égalité face à un État de plus en plus répressif.
J’étais stupéfaite que cette extraordinaire et poignante histoire n’ait jamais été racontée. »
– Propos rapportés dans le dossier de presse
Et ce film est poignant, grâce à la force de son scénario, à la passion et à la justesse de ses interprètes, à la pudeur de sa réalisation.
On ressent la violence sans avoir besoin de litres de faux sangs, on ressent l’émotion et le drame sans avoir besoin d’abuser des violons, on ressent la solennité et le poids de l’Histoire sans recours excessif aux plans stéréotypés du héros-seul-contre-tous.
Une vraie leçon de lutte
C’est facile, pour moi. Je suis née juste à temps pour jouir des mêmes droits civils et politiques que mes frères.
Et j’ai l’impression qu’il est loin, le temps où ce n’était pas le cas…
Pourtant, ce combat n’est pas encore gagné partout dans le monde, et partout ailleurs, d’autres fronts sont ouverts, d’autres luttes font rage.
Combien d’entre nous ont le courage et la détermination de celles qui ont tenu des grèves de la faim en prison ? Qui ont résisté face à l’alimentation forcée ? Qui sont passées de sympathisante à militante, de militante à activiste, d’activiste à… martyre ?
Je suis née à la frontière allemande, quelques décennies à peine après l’une des pires guerres de l’Europe, et sans doute de l’humanité.
Et cette question me hante à chaque nouveau débat violent au sein de la société : est-ce que j’ai choisi le bon camp, celui de la justice ?
Si oui, et si je sens que l’on bascule dans l’autre sens, jusqu’où suis-je prête à aller pour défendre mes convictions, celles que j’estime juste et bonne pour le bien commun ?
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J’ai pris la plume contre la Manif Pour Tous, l’extrême droite, et régulièrement contre le sexisme.
Mais irais-je en prison pour ça ? Accepterais-je de tout perdre, tous mes biens matériels, tous mes liens familiaux, accepterais-je de remettre en jeu mon statut social (certes insatisfaisant) au risque de tout perdre, quand l’espoir de gain est un idéal ?
Maud Watts, campée par une magistrale Carey Mulligan, méconnaissable en ouvrière textile du début du siècle, montre l’exemple que j’aurais aimé suivre. Je me demande simplement si j’en aurais été capable.
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« On ne veut pas violer la loi, on veut l’écrire »
J’ai le sentiment que tous ces sacrifices étaient démesurés, eu égard aux revendications qui étaient avancées : « on ne veut pas violer la loi, on veut l’écrire », proclamait Pankhurst à ses troupes, et je ne l’aurais pas mieux résumé.
Pourquoi, encore aujourd’hui, tant de combats légitimes en viennent aux armes et au sang, alors que l’une des parties réclame simplement le droit aux mêmes conditions d’existence ?
L’enjeu n’est pas simplement le vote, mais l’égalité des droits
On ne va pas se mentir, je ne serais pas morte pour le droit de vote.
Non, vraiment, je crois qu’il ne vaut pas la peine de mourir, ni même de passer une seule journée en prison, pour obtenir « le droit » de choisir entre Chirac et Le Pen au deuxième tour d’une élection présidentielle.
De choisir entre deux ou trois partis qui font les mêmes promesses illusoires et irresponsables.
Mais ne nous leurrons pas. Derrière la lutte pour le droit de vote, ce n’était pas « le droit de vote » qui était en jeu : c’était la reconnaissance des femmes comme individu à part entière.
C’étaient tous les droits civils et politiques qui allaient de paire avec le statut de « citoyen », que les Suffragettes revendiquaient.
Et oui, ne nous voilons pas la face : je serais morte pour un monde où j’aurais eu les mêmes chances dans la vie que mes frères. Je serais sans doute déjà morte si j’étais née dans un pays où ce n’était pas le cas.
Un hommage au courage des pionnières, une inspiration révolutionnaire
C’était pourtant pas demander la lune, mais il a fallu qu’elles luttent, qu’elles risquent et perdent tout, jusqu’à leur vie, pour que le gouvernement britannique daigne reconnaître que le fait de naître femme n’était pas une raison valable pour être privée de citoyenneté.
Je déteste la violence, mais je conçois qu’elle soit parfois l’ultime recours.
Même en plein désespoir, c’est contre elles-mêmes qu’elles osent encore la retourner. « La guerre est le seul langage que les hommes comprennent ! » répondra Maud Watts à ce vieux bedonnant, bien installé dans ses privilèges, qui lui demande de déposer les armes.
J’ai envie de leur dire merci.
Merci à toutes celles qui ont mené les combats que j’ai le privilège de pouvoir considérer comme acquis.
C’est grâce à ces femmes, à leur détermination, à leur courage, à leurs sacrifices — et je réalise aujourd’hui le prix que certaines ont dû payer — que j’ai le privilège de considérer mes droits comme dus, comme des évidences.
Ils ne l’ont pas toujours été.
À nous d’assurer la relève ?
Le générique arrive en rappel salutaire, qui serait presque une leçon de morale à ces messieurs, quant à leurs privilèges. Vous trouvez que Les Suffragettes sentent bon les années 20, qu’on est bien passé à autre chose depuis ? Vous vous trompez.
1928, la Royaume Uni accorde enfin aux femmes le droit de vote. Ajoutez donc huit longues années au calvaire de Maud, que vous avez suivi pendant 1h45 seulement.
En 1944 — honte à elle, la France daigne enfin en faire de même. Dix ans après la Turquie, cette grande démocratie…
On fait mieux que la Chine, qui ne l’accorde qu’en 1949 — m’enfin, pour ce à quoi il sert en ces contrées !
Mais je le redis : ce n’est pas à proprement parler du droit de vote dont il s’agit. Selon la santé de nos démocraties, il a plus ou moins d’importance.
Ne croyez pas que les Maud Watts d’hier, ou les Malala Yousafzai d’aujourd’hui se battent pour avoir la même existence misérable que les hommes : non. De tous temps, les opprimé•e•s se battent et se sont battu•e•s pour acquérir un statut équitable.
Pour être considéré comme l’égal•e de l’homme, pour ne pas être subordonné•e, inféodé•e à la volonté d’un autre individu.
Pour avoir le droit d’exister, et de déterminer sa propre vie. Est-ce vraiment si déraisonnable ?
J’espère que nous aurons tous et toutes ce film, et cette question à l’esprit, la prochaine fois que nous considèrerons un privilège pour acquis, la prochaine fois que nous considérerons une oppression comme normale.
C’est dans ce contexte que des discours, et des programmes comme HeForShe prennent tout leur sens. Si demain, les « droits des femmes » devenaient secondaires — et nous devons savoir qu’à la prochaine crise économique, ils le seront — que ferions-nous ? Et vous messieurs, que feriez-vous ?
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Les Suffragettes réhabilitent ces héroïnes dont on parle trop peu, ces pionnières dont on a tendance à perdre la trace. Tant que nous ne serons pas l’égal de l’homme, il restera des combats. Le film sera en salles le 18 novembre. À ne pas manquer !
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Les Commentaires
Un de mes films préférés.