Ce 2 juillet dernier marquait la date du grand retour de l’émission culte Strip-Tease. Ce retour dans nos petits écrans était attendu avec impatience après de longs mois d’absence sur France 3.
Programmé juste après L’Amour est dans le pré sur M6, l’épisode d’hier s’intitulait Recherche bergère désespérément et présentait une vision toute autre de l’amour dans les champs. Réalisé par Véronique Houth, l’épisode nous « raconte » l’histoire de Damien, un jeune agriculteur célibataire dont les grands-parents ont fait appel à une sorte d’entremetteuse qui profite du désespoir des gens en leur fournissant une épouse pour leur fils contre de l’argent. L’épisode commence à l’arrivée de la jeune Roxana, qui ne parle pas un mot de français et rencontre celui qui tombera amoureux d’elle en 3mn30, apéro compris.
L’émission se divise en deux parties. Dans la première, on se focalise sur Roxana, la jeune Roumaine qui arrive dans une famille dont l’ouverture sur le monde extérieur est proche du néant. On sent alors à travers son regard tout l’abattement d’une gosse qui ne sait plus trop ce qu’elle fait là. Dans la seconde partie, Roxana est partie et on se concentre alors sur la tristesse infinie d’un Damien qui pensait déjà être amoureux. Pendant tout ce temps, les grands-parents paraissent complètement à côté de la plaque malgré toute la bonne volonté dont ils semblent faire preuve.
À la suite de l’émission, les réactions ont été nombreuses et les esprits se sont quelque peu échauffés. Au fond, personne ne semble tout à fait d’accord avec personne pour exprimer ce qu’il a ressenti pendant la diffusion de cet épisode.
De la télé-réalité, vraiment ?
Certains ont vu dans ce nouvel épisode de Strip-tease du pur voyeurisme et de la télé-réalité de caniveau. C’est le cas de Bruno Roger-Petit, chroniqueur politique, qui a vu dans cet épisode un symbole de la trash-tv qui permet aux classes supérieures de se sentir encore plus au-dessus du petit peuple :
Au total, 53 minutes de misère sociale, humaine, psychologique, sexuelle, filmée avec l’empathie d’un scalpel en action ; 53 minutes de tragédie vraie, livrée aux téléspectateurs de France 3 ; 53 minutes de télévision du réel au service d’un voyeurisme bourgeois, la caméra étant œil hypocrite d’une domination culturelle de classe parée des atours du documentaire.
Bruno Roger-Petit explique dans ce billet combien il trouve le programme malsain, toujours à la recherche de situations extrêmes pour maintenir en haleine de télé-spectateurs qui se gargariseraient de regarder la pure tragédie que vit cette famille au Nord de Paris. Erwann Gaucher, journaliste, a décidé de répondre à ce billet. Dans un post intitulé C’est dur d’être regardé par des cons, il explique en quoi Strip-Tease ne sera jamais de la télé-réalité et combien c’est une erreur de la qualifier comme telle :
« Le problème de fond vient d’ailleurs sans doute de cette mauvaise dénomination que l’on a apposé aux émissions nées de Secret Story et qui sont tout, sauf de la télé de la réalité justement. Situations écrites, rebondissement scénarisés, protagonistes sélectionnés et influencés plus ou moins ouvertement, mise en scène maximale, ce que l’on appelle la téléréalité est dans la forme à l’exact opposé de Strip-Tease. Et dans le fond également. C’est là, aussi, que Bruno Roger-Petit se trompe. »
Comparer Strip-Tease à de la télé-réalité (avec la signification qu’on lui donne) est un pur non-sens. Preuve s’il en est : interrogé par Télé-Loisirs, Jean Libon (l’un des créateurs de l’émission) explique comment sont filmés et montés les épisodes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça n’a rien à voir avec Nice People ou Secret Story
:
« Dans ce cas là, je dis toujours qu’il faut filmer les pires situations, et on réfléchit après, au moment du montage. C’est un vieux truc de grand reporter. Mais ne pensez pas que dans Strip-Tease, on met les choses les plus abominables hein ! Moi je suis un peu le garant de ça et on met à la poubelle des séquences sur lesquelles d’autres équipes de télévision sauteraient. »
Pourquoi un tel choc ?
Pendant la diffusion de l’émission, je commentais en parallèle sur Twitter. En lisant les réactions des autres sur le hashtag #Striptease, j’ai tellement craqué mon slip Petit Bateau que j’ai failli faire une Sylvie Vartanite en hurlant « C’EST FINI PLUS JAMAIS JE LIVETWEET UN PROGRAMME AVEC VOUS VOUS ETES PRESQUE TOUS TROP CONS ».
Entre les moqueries sur le physique de Damien, le placement intempestif du mot « prognathe » que l’humanité toute entière semblait apprendre, les indignations politiquement correctes (« Non mais France 3 cautionne la prostitution, ALLÔ quoi« ), et les réactions complètement moralisatrices (« Bande de voyeurs vous êtes dégueulasses de regarder la misère humaine comme ça !« ), mon intérieur était bouillant tel un ragoût qu’on aurait trop laissé chauffer. Et puis j’ai réfléchi.
Le fait est que beaucoup d’entre nous étaient choqués par ce qu’ils voyaient. Mais pourquoi être choqués par une simple réalité ? À mon niveau, je pense que c’est tout simplement parce que nous ne sommes pas forcément tous habitués à nous renseigner sur des gens qui mènent une vie à des milliers d’années-lumières de la nôtre.
Tout dans cet épisode est fait pour nous rendre peut nous rendre profondément tristes : le fait qu’une famille fasse appel aux services d’une marieuse pour trouver une femme à leur petit-fils pour qu’il ne finisse pas ses jours seuls. Le fait qu’une jeune Roumaine cherche à tout prix à venir en France, quitte à être déracinée et larguée dans une famille qui n’a probablement jamais vu un étranger de sa vie. Le désert culturel et social de certains gens. Le temps gris, la pluie, le décor. Le fait qu’une marieuse manipule et tire profit du malheur et de la naïveté des deux parties.
COMIC RELIEF : chez Damien, on nourrit les animaux au biberon-Stella Artois (via @AlexHervaud)
Alors oui, c’est une situation bien triste qui nous est présentée là, mais crier au scandale et au voyeurisme parce qu’on nous montre cette réalité revient à s’enfouir la tête bien profond dans la terre et attendre la mort en se préservant bien de voir ce qu’on trouve trop sombre et trop chiant pour nous. Dans l’interview avec Télé-Loisirs, Jean Libon met d’ailleurs un petit coup de taquet derrière la nuque de notre génération :
« J’ai moi même un fils de 32 ans et une fille de 25 ans, et je trouve que cette jeune génération est dans une position assez moraliste et un peu gnangnan ! C’est-à-dire que vous avez été bassinés pendant toute votre adolescence par la télé-réalité qui donnait une image de la société autrement plus ignoble, crapuleuse et glauque ! Mon but est de montrer le monde sans fioriture et je trouve ça plus sain, ça apporte une réflexion plus intéressante que de digérer du Secret Story où tout le monde est beau et où tout est scénarisé. »
Et il a pas tort au fond : depuis l’enfance, on nous refile des images édulcorées, scénarisées en faisant passer ça pour la réalité. Si avec le temps, on a su faire preuve d’esprit critique et qu’on a compris que la réalité était toute autre, on a peut-être encore un peu de mal à se faire à l’idée que certains modes de vie sont à ce point différents des nôtres.
Pendant l’émission, mille fois j’ai failli pleurer, mille fois j’ai failli zapper. Pourtant, je suis restée, j’ai tout regardé en détails, j’ai souri quelques fois, j’ai été émue et touchée par la misère humaine et sociale que j’avais en face de moi grâce à l’absence de vision manichéenne du programme. J’avais envie de débouler chez Damien pour jouer aux cartes ou je ne sais quoi avec lui quand il s’est mis à pleurer à chaudes larmes et j’ai cru mourir de tristesse quand j’ai appris qu’il s’était isolé avec une corde. Est-ce que ça fait de moi une sorte de voyeur ? Peut-être. Est-ce que ça donne de moi une image de neuneu hypersensible ? Ouais, carrément, mais j’m’en fous.
J’y ai pensé une bonne partie de la nuit et après la grosse claque télévisuelle j’ai pris du recul. Car c’est là tout l’art de Strip-Tease : on subit la force des images comme si on nous les faisait bouffer à l’entonnoir, puis on les digère et on analyse. On observe, puis on essaie de comprendre. On moufte, et on accepte un peu, et on essaie de remettre en question toutes les certitudes qu’on peut avoir sur la vie des autres.
Dans ce programme, il n’y a pas la volonté d’être drôle, d’être subversif ou de faire dans le racolage : Strip-Tease est une émission qui propose un constat brut d’une frange de la population dont on ne parle d’habitude pas autrement qu’en se moquant car elle n’est pas « vendeuse ».
Pour revoir l’émission sur Pluzz Tv et te faire un avis dessus, c’est ici.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
j'arrive pas à croire qu'on puisse défendre une émission qui a manipulé une pauvre famille trop faible et influençable pour comprendre les conséquences de la diffusion d'une telle émission et qui a organisé son humiliation publique.
la phrase finale à terminer de m'achever.
"qui propose un constat brut d’une frange de la population dont on ne parle d’habitude pas autrement qu’en se moquant car elle n’est pas « vendeuse » "
genre ils ont voulu parler d'une population dont on parle jamais car c'est pas vendeur. ON SE MOQUE DE QUI LA?
depuis des décennies, la provocation fait vendre. c'est exactement ce qu'ils ont fait. ils ont pris tous les ingrédients afin de faire le buzz. Leur sujet était plus que vendeur.
Ils ont humilié une famille et en plus on veut nous faire croire qu'ils défendent la veuve et l'orphelin ?
bravo.