Il fut un temps où le matou téméraire que vous connaissez n’était qu’un chaton timide. Un temps où je tremblais d’émotion à l’idée de porter cet uniforme qui vous séduit aujourd’hui. Un temps où le métier de pompier me faisait plus fantasmer que toute la rédac, Fab compris. Bref, vous l’avez compris : il fut un temps où j’étais un petit puceau pas sûr de lui. Et c’est à cette époque que je fis ma première intervention.
Je n’étais pas encore pompier, juste un stagiaire à qui on fait enchaîner 3 gardes de 24 heures en une semaine. Un pantin à qui l’on apprend les gestes et les automatismes. Un bizut’ à qui on laisse le soin de porter les victimes recouvertes de merde, de pisse ou de vomi. Mais tout ça je ne le savais pas encore en montant pour la première fois dans l’ambulance, direction l’enfer.
J’apprends une fois à bord que nous allons porter secours à une personne ayant fait une chute à vélo. « Rien de bien méchant », je me dis. Et en effet, lorsque nous arrivons sur les lieux, la cycliste est consciente et entourée par la police municipale. Tout est sous contrôle. Un flic nous briefe rapidement : « La victime a coincé sa roue dans les rails du tram, elle est tombée et comme elle était très déboussolée des passants vous ont appelé. Elle dit qu’elle a mal au genou et à la poitrine. On vous la laisse. ».
Sur le coup, on ne comprend pas bien ce qu’il veut dire par « déboussolée
». Mais on se concentre sur le plus important : localiser le foyer de la douleur pour évaluer les blessures. Désigné volontaire, j’entame donc la palpation de la jambe de la victime par-dessus son pantalon tandis que mes coéquipiers dialoguent avec elle pour la rassurer. En une minute on apprend donc qu’elle s’appelle Mireille, qu’elle ne s’est jamais fixée car « il ne faut pas s’encombrer d’un homme », mais que nous, elle nous trouve bien gentils. Ça nous fait une belle jambe, et à elle aussi vu comme son genou est gonflé. On resterait bien à tailler le bout de gras au milieu des rails du tram, mais les badauds qui se penchent par-dessus notre épaule pour voir si la vieille est toujours en vie commencent à nous taper sur le système. Et puis de toute façon il se met à flotter.
– Bon, on la met dans l’ambulance, on sera plus tranquilles pour finir l’intervention, décide le chef d’équipe. Le Matou, vous finirez de l’ausculter dans le véhicule avec moi. – Oui j’ai mal à la poitrine. Il faut regarder ma poitrine, ajoute Mireille. – Oui Madame, on va regarder ça.
Et un, deux , trois (putain elle pèse son poids), on la hisse sur la civière (pfiou !) et hop dans le camion ! Une fois au sec, je reprends donc mon auscultation côté genou. Mais la victime se met à protester :
– La poitrine ! Il faut me regarder la poitrine ! – Oui Madame, mais je finis votre genou d’abo… – Ma poitrine, regardez-moi la poitrine je vous dis !
Et joignant le geste à la parole, la vieille ouvre en grand sa chemise pour découvrir une magnifique paire de gants de toilette, libres comme l’air.
– Merde, c’est un Cheval de Troie ! glisse le chef en se retenant de pouffer. – Un quoi ?! (moi par contre je ne ris pas du tout) – Un Cheval de Troie. Son problème il est dans sa tête, pas dans son genou… Et maintenant qu’elle est dans l’ambulance on va se farcir ses hallucinations pendant tout le trajet. – Ha. – Ouais, ha. Allez, on part pour la clinique avant que ça n’empire.
Épilogue
Rejoindre l’hôpital, ça prend quand même cinq bonnes minutes, même en ambulance. Et ce furent les minutes les plus longues de toute ma vie… Car notre chère Mireille décida également de nous montrer son genou en baissant son froc. Mais on vit surtout son minou, en fait.
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